tbo
LE
PARNASSE BRETON
CONTEMPORAIN
Œuvres je Louis Tiercelin I Je J.-Huy Ropartz.
LOUIS TIERCELIN
POÉSIE
Les asphodèles.
Primevère, poème.
L'oasis.
Les anniversaires.
La mort de Brizeux, poème.
Les cloches, poésies (en préparation).
TnÉATRE
L'occasion fait le larron, comédie en un acte, en
vers (épuisé).
L'habit ne fait pas le moine, comédie en deux actes,
en vers.
MARauERiTE d'Ecosse, poème dramatique en un acte.
Les noces du croquemort, comédie en un acte, en
vers.
L'heure du chocolat, proverbe en un acte, en prose.
Un voyage de noces, drame eu quatre actes, en vers
(Odéon).
Stances a Corneille, (Comédie Française).
Corneille et Rotrou, comédie en un acte, en vers
(Odéon).
Le rire de Molière, à-propos en un acte, en vers (Co-
médie Française).
Amourettes.
La comtesse Gendelettre.
J.-aUY ROPARTZ
Ad.\oiettos, poésies.
Victor Massé, élude.
LE
PARNASSE BRETON
CONTEMPORAIN
PUBLIÉ PAR
LOUIS TIERCELIN & J.-GUY ROPARTZ
PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR, PASSxVGE CHOISEUL
RENNES
llnn CAILLIKRK, ÉDITEUR, PLACE DU PALAIS
1889
FEB -7 '1957
^8 S 7
T5-
Rennes, le lo février 1889.
Lorsque l'idée nous vint, à J.-Guy Ropartz et à moi,
de réunir en un volume quelques-unes des œuvres de
nos poètes bretons contemporains, les prévisions les plus
favoraljles sur le nombre des appelés de cette anthologie
s'étaient arrêtées à une trentaine de noms. Nous n'étions
même pas sans crainte sur le succès de notre tentative,
dans une province où, selon le joli mot du cardinal
Saint-Marc, rien ne prend que le feu; et ce fut timidement
que nous fîmes appel à tous les poètes nés en Bretagne
ou issus de parents bretons. Mais bientôt nous étions
rassurés : les manuscrits et les livres nous arrivaient en
grand nombre et la presse de Bretagne nous appuyait
chaleureusement.
« Avez-Yous des, assimilés? » me demandait, un jour,
M. de la Borderie avec quelque malice dans le sourire. Et,
comme je ne paraissais pas très fixé sur le sens de ce
vocable, notre savant et spirituel historien m'expliqua,
toujours souriant, l'artitice par lequel, dans l'archéologie
d'une province, — pas la nôtre, bien certainement, —
quand une époque semble pauvre en grands hommes
indigènes, on l'enrichit par l'adjonction de tous ceux qui
ont séjourné ou simplement passé dans le pays. Il sou-
riait encore, quand je lui aftîrmai, preuves en main,- que
notre Bretagne poétique contemporaine pouvait se passer
de ces assimilations.
Donc, tous nés en Bretagne ou issus de parents bre-
tons. C'est à ce dernier titre que nous avons la bonne
fortune de pouvoir ranger parmi nos poètes notre maître
Leconte de Liste,' qui, né à l'île Bourbon, se rattache à
notre province par les origines dinannaises de sa famille.
LE parnassk breton contemporain.
Nous devons signaler pourtant une troisième caté-
gorie. S'il était autrefois de certains pays où le ventre
anoblissait et, par ce beaic privilège, comme dit Molière,
rendait les enfants d'un vilain gentilshommes, nous
avons pensé qu'en Bretagne et en poésie, cette faveur pou-
vait être étendue jusqu'aux pères. Nous avons donc
admis ceux, très rares, d'ailleurs, qui, nés hors de notre
province, ont établi sur notre sol cette perpétuelle de-
meure dout parle le Code, s'y sont mariés et y ont fait
souche dcliretonà; ceux-là que des biographes en pénu-
rie d'hununcs illustres appelleraient des acclimatés.
Maintenu dans ces limites, le volume que nous pu-
blions aujourd'hui contient les œuvres de quatre-vingt-
dix élus.
Élus est le mot, car le nombre des envois a été consi-
dérable et nous avons dû choisir. Nous l'avons fait,
croyons-nous, avec impartialité. Sans tenir compte de
nos sympathies personnelles ou de nos préférences d'é-
cole, nous avons accueilli les vers de tous les poètes
ayant publié un volume et, parmi les inédits, qui nous
semblaient mériter plus de sympathie encore, nous avons
inséré tout ce qui nous a paru olfrir un intérêt. Dans les
envois de chaque poète, nous avons pris une ou plusieurs
pièces, sans avoir la prétention de tenter des jugements
littéraires et de marquer des suprématies dont le nombre
de vers ou de pages deLerminerait l'ordre et la mesure.
L'ordre d'iu.-.cription nous a été fourni par l'alphabet.
Une seule dérogation a été laite [)our Leconte de Lisle.
Tous comprendront ce témoignage de respect bien du au
Maitre incontesté autour duquel s'est l'ait le mouvement
de rénovation poétique de cette tin de siècle, et dont les
poèmes, d'une inspiration si haute, d'une forme si pure,
en même temps qu'ils sont un modèle pour tous ceux qui
veulent s'initier a l'art des vers, demeureront pour les
véritables artistes, loin des bassesses et des banalités
qui les assaillent, le refuge sacré des rêves tiers et des
émotions sereines.
Et SI l'on nous demandait compte de la mesure que
nous avons faite à tel ou tel, nous pourrions alléguer
une foule d'excellentes raisons : proportion de l'insertion
avec l'importance de l'envoi; variété dans les sujets et les
rythmes; des considérations typographiques même. Nous
y ajouterons très sincèrement, dussions-nous offenser
les personnes graves, l'aveu d'un peu de hasard, d'un
brin de fantaisie, d'un soupçon peut-être de bon plaisir.
Nous voulons remercier ici tous les poètes qui ont
répondu avec tant d'empressement à notre appel. Notre
idée a pris comme le feu et notre province, parfois si
lente à s'émouvoir, s'est montrée, cette fois, prompte-
ment et de tous côtés, sympathique à une publication
dont personne n'a méconnu l'intérêt.
Cet intérêt, tous pourront en juger à la lecture de ce
recueil de poésies dont les sujets sont si variés, l'inspi-
ration si différente, les procédés si divers.
Est-ce donc pour le seul plaisir de réunir tous ces étran-
gers et de fixer leurs antilogies que nous avons fait ce livre ?
Nous avons espéré, au contraire, que de cette réunion
fortuite l'union naîtrait entre ces passionnés du même
art; qu'eu apprenant à connaître les autres, chacun se
jugerait mieux; qu'eu groupant les poètes sous la ban-
nière de Bretagne, plus de sympathie irait vers eux, et
que l'etfort de plusieurs pour intéresser la critique et le
public serait plus fructueux que des tentatives isolées.
Nous avons cru ainsi, faisant œuvre de bons Bretons,
nouer un lien solide, favoriser un mouvement utile, pro-
voquer des jugements sincères et profitables et, par là,
déterminer un progrès.
Nous avons voulu encore, à travers tant de divergences
apparentes, témoigner de la persistance chez nous de
l'idéalisme, ce irait caractéristique de la race bretonne ,
si bien noté par E. Renan dans ses Souvenirs.
En parcourant ces nombreux volumes de vers, presque
tous d'une forme parfaite et raffinée, qui paraissent de-
puis quelques années et attestent une habileté rare, dont
les secrets s'apprennent, assez rapidement d'ailleurs, dans
les différents petits clans poétiques de Pans, nous pen-
sions à un joli quatrain que notre poète Joseph Rousse
adresse à un confrère sceptique :
En fixrint mon i^egard sur les vitres glacées
Qu'argentaiL un rayon, je songeais à tes vers:
Ils sont comme un tissu de brillantes pensées;
Mais j'aurais bien voulu voir le ciel au travers.
Et, nous aussi, nous avions le désir d'une poésie moins
IV LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
pleine de choses brillantes, moins faite d'après les recettes
de la mode actuelle, plus sincère, plus spontanée, ayant
la franche saveur de ce pays où le barde chante sii?^ le
seuil de sa porte'; une poésie à travers laquelle on verrait
encore le ciel, ce ciel breton aux nuages mélancoliques,
où le rossignol de nuit et l'alouette matinale ont des ra-
mages si doux.
C'est cette même impression que Jules Simon exprimait
récemmentd'une manière si pittoresque en tête àQ^Poèmes
Bretons de M. G. Boisson : Je ne sors jamais de l'Opéra
sans penser que je serais bien heureux d'entendre icn air
de biniou.
Et nous aussi nous souhaitions de l'entendre, cette
simple mélodie où peut vibrer toute l'àme bretonne.
Nous pensions qu'elle existait toujours, cette âme poé-
tique de nos bardes, de nos évêques et de nos mendiants
d'autrefois, et qu'elle pouvait inspirer encore des gioerz
héroïques, de jolis sônes, des poèmes vibrants, de suaves
cantiques, des légendes radieuses.
Le dragon rouge n'a pas écrasé toutes nos bruyères ;
la ileur d'or ileurit toujours aux landiers.
Les chansons d'autrefois, toujours nous les chantons;
Non, nous ne sommes pas les derniers des Bretons.
Mais cette âme, éparse en tous, flottante sur toute
chose, serait-il donné à quelqu'un des nôtres de l'incar-
ner en lui, de la répandre dans ses vers ?
Où sont tes fils, ô Gwenc'hlan, barde des grandes
colères? Où sont tes Tiloer, bon saint Hervé, roi des chan-
teurs? Où sont tes élèves , maître Brizeux? N'est-il plus
un Gwion pour boire l'eau magique du vase qui contient
la toute science! Est-elle perdue, la coupe de cristal-, si
brillante qu'elle est un flambeau; la coupe pleine d'une
liqueur si merveilleuse qu'une goutte seule rendrait
aussi savant que Dieu! Ne se lèvera-t-il pas quelqu'un
pour aller détacher, au chevet du lit de Merlin, la harpe
que retiennent quatre chaînes d'or pur? N'en ycra-t-il
pas un seul, i)arnii ceux qui ont sucé le lait d'une Bre-
1. J.-M. l.LziiL, Breiz-Izell.
2. La Ville.\iarqué. Introductiou du Barzaz-Breiz
PREFACE.
tonne, ce lait plus sain que du vin vieux, qui chantera
assez liant sa chanson pour qu'on l'écoute.
Ce n'est pas à nous de dire s'ils ont eu des héritiers
chez nous, les Taliesin, les Sulio, les Hyvarnion, ces
insulaires que MM. A. de la Borderie et J. Loth, qui furent
les historiens des émigrations bretonnes, donneraient,
je l'espère, au moins pour patrons à nos acclimatés.
Ce n'est pas à nous de dire si le mouvement poétique,
qui avait animé la première moitié de ce siècle en Bre-
tagne avec Brizeux, Turquety, H. du Pontavice, Boulay-
Paty, H. de la Morvonnais, M. Hippolyte Violeau et tant
d'autres, pourrait être réveillé de nouveau. L'ardente ima-
gination des Souvestre et des Féval n'a-t-elle brillé un
moment que pour s'éteindre à jamais?
Nous avons voulu seulement noter ces chants que
nous entendions autour de nous. « Les couplets se ré-
pondent de 7^ocUe en roche; les vers voltigent dans l'air
comme les insectes du soir ; le vent vous les fouette au
visage par bouffées, avec les parfums du blé noir et du
serpolets » Nous avons voulu cueiUir ces fleurs de la
lande bretonne que chante le kloarek triste d'amour, et
nous les aimons :
Et cette fleur-là, c'était une fleur de mélancolie ; elle en-
tra dans mon cœur, et depuis il est malaisé de l'en arracher.
Qu'on nous accuse de complaisance et de naïveté pour
avoir cru dans la magie de ces mots qu'on dit vides et de
ces choses qu'on prétend mortes : idéalisme, mélancolie,
poésie, BretagQc! N'importe! nous avons pour nous le
vieux proverbe : Le roitelet aime toujours les toits de
chaume où il est né et la voix de ses frères.
Et quoique, depuis le commencement de ce siècle, nos
plus grands poètes, Gliàteaubr-iand, Lamennais, Renan,
aient été des poètes en prose, on comprendra qu'il soit
permis à ceux qui aiment, d'un amour malheureux peut-
être, la Bretagne et la poésie, de dire leur chanson, tout
de même, pareille à celle des oiseaux à la cime des arbres,
chaciDi sa chansonnette, chacun à sa manière ; et puis-
sent-ils charmer votre esprit et réjouir votre cœur !
11 y a dans la vie de saint Lunaire^ un ravissant épi-
1. E. Souvestre, Les Derniers Bretons.
2. Saint-Lunaire, son histoire, son église, ses monuments, par A. de
LA Borderie.
VI LK I'AHNASSI': ItllKTON (;ONTK.\llM»UÀlN.
sode. Sur la côte sauvage où ils avaient abordé, le saint
évèque et ses moines étaient obligés pour vivre de chas-
ser et de pêcher; cette occupation et cette nourriture leur
semblaient, ajuste raison, peu monastiques; mais la faim
était leur excuse.
Un jour que Lunaire était à genoux dans la forêt, priant
Dieu de lui venir en aide, un petit oiseau vint se poser
près de lui , portant dans son bec un épi de blé. Ce fut
une lueur pour le saint homme. Du blé ! Il y en avait
quelque part aux environs ! Vite, il appelle un de ses frères
et commande à l'oiseau de les conduire à l'endroit où il
avait becqueté cet épi. L'oiseau vole, les moines le suivent
et ils arrivent à une clairière où reluisait au soleil un long
champ de froment, dernier vestige d'une culture an-
cienne, et qui, depuis la disparition des premiers habi-
tants, s'était ressemé de lui-même. Quelle joie ce fut pour
les deux frères et quel cantique la communauté dut en-
tonner au retour pour remercier Dieu de ce miracle!
Ne pouvons-nous pas dire aussi, Ropartz et moi,
qu'ayant recueilli l'épi de blé du petit oiseau, nous avons
voulu conduire nos lecteurs vers la clairière où surgit
la moisson abondante. Si, guidé par nous, quelqu'un y
trouve son poète, il pourra lui demander toute sa récolte,
dont nous avons donné seulement quelques bons grains.
Poète et lecteur nous diront merci ; nous n'en deman-
dons pas davantage.
LOUIS TIERGELIN.
Chargé, en l'absence de mon ami J.-Guy Roparlz, de la
révision des épreuves, j'ai cru devoir, au dernier instant,
hillcr les dédicaces beaucoup trop nombreuses et surtout trop
flalleuses que j'avais acceptées d'abord. Mes amis apprécie-
ront le sentiment de discrétion ([ui m'a guidé et me gaide-
roni pour leurs livres ces témoignages de sympathie qu'il m'a
paru impossible de me décerner à moi-même. Si j'ai lait une
exception , c'est qu'en ce cas je n'étais pas seul en cause ;
elle est de celles que tout le monde comprendra.
L. T.
CHAKLIiS LECONTE DE USEE
LE VASE
REÇOIS, pasteiiï' des boucs et des chèvres frugales,
Ce vase enduit de cire , aux deux anses égales.
Avec l'odeur du bois récemment ciselé
Le long du bord serpente un lierre entremêlé
B'hélichryse aux fruits d'or. Vue main ferme et fine
A sculpté ce beau corps de femme., œuvre divine.^
Qui, du péplos ornée et le front ceint de fleurs.
Se lit du vain amour des amants querelleurs .
Sur ce roc oii le pjied parmi les algues glisse,
Traînant un long filet vers la mer glauque et lisse,
Un pêcheur vient en hâte; et, bien que vieux et lent,
Ses yyiuscles sont gonflés d'un effort violent.
Une vigne, non loin, lourde de grappes mûres ,
Ploie; un jeune garçon, assis sous les ramures.
VI II LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
La f/arcle ; deux renards arrivent de côté
Et manr/ent le raisin par le pampre abrité,
Tandis que l'enfant tresse, avec deux pailles frêles
Et des brins de jonc vert, un piège à sauterelles.
Enfin, autour du vase et du socle Dorien
Se déploie en tout sens l'acanthe Corinthien.
J'ai reçu ce chef-d'œuvre, au prix, et non sa?is peine,
D'an (p'a)id frouKu/e frais rt d'une chèvre pleine.
H t'st à toi, bcr(/er, dont les cJuints sont plus doux
Qu'une fujue d'Aigile et rendent Pau jaloux.
(Poèmes antiques.)
LA MOliT DU SOLEIL
LE veut d'anlouitie, aux bruits lointains des mers pareil,
Plf'in, d'adieux solcu/wls, dr plaintes inconnues,
lidlana- trislrnivnt le long des avenues
Les lourds massifs /■tt////is de ton sang, ù soleil !
Iji /riiiltr m lourbillons s'rnvole par les nues;
7:7 l'ou voit osciller, dans un fleuve vermeil,
A ux approches du soir, inclinés au sommeil,
Dr (p'uuds nids teiutsjlr pourpre au bout des brandies nues.
CHARLES LECONTE DE LISLE. IX
Tombe, astre glorieux, source et flambeau du jour!
Ta gloire, en uappes d'or, coule de ta blessure,
Com.me d'un sein puissant tombe un suprême amour.
Meurs donc, tu renaîtras! L'espérance en est siire.
Mais qui rendra la vie et la flamme et la voix
Au cœur qui s'est brisé pour la dernière fois?
(Poèmes barbares.)
LES ROSES D'ISP AH AN
LES roses cVIspahan^ dans leur gaine de mousse,
Les jasmins de Mossoid, les fleurs de l'oranger
Ont un parfum moins frais, ont une odeur inoins douce,
0 blanche Leilah ! que ton souffle léger. -
Ta lèvre est de corail, et ton rire léger
Sonne mieux que l'eau vive et d'une voix plus douce,
Mieux que le vent joyeux qui berce l'oranger.
Mieux que l'oiseau qui chante au bord du nid de mousse.
Mais la subtile odeur des roses dans leur mousse,
La brise qui se joue autour de l'oranger,
Et l'eau vive qui fine avec sa plainte douce
Ont un charme plus sûr que ton amour léger !
LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
O Leilah ! depuis que de leur vol léger
Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce.
Il n'est plus de parfum dans le pâle oranger.
Ni de céleste arôme aux roses dans leur mousse.
L'oiseau, sur le duvet humide et sur la 7nousse,
Ne chante plus parmi la rose et l'oranger ;
L'eau vive des jardins n'a plus de chanson douce,
L'aube ne dore plus le ciel pur et léger.
Oh ! que ton jeune amour, ce papillon léger,
Reviemie vers mon cœur d'une aile prompte et douce,
Et qu'il parfume encore les fleurs de l'oranger.
Les roses d'Ispahan dans leur gaine de mousse.
LE PARFUM IMPERISSABLE
QUAND la fleur du soleil , la rose de Lahor,
De S071 âme odorante a rempli goutte à goutte
La fiole d'argile, ou de cristal, ou d'or.
Sur le sable qui brûle on peut l'épandre toute.
Les fleuves et la mer inonderaient en vain
Ce sanctuaire étroit qui la tint enfermée :
Il garde en se brisant son arôme divin.
Et sa poussière heureuse en reste parfumée.
CHARLES LECONTE DE LISLE. XI
Puisque par la blessure ouverte de mon cœur
Tu t'écoules de même, ô céleste liqueur,
Inexprimable amour, qui m'enflammais pour elle !
Qu'il lui soit pardonné, que mon mal soit béni!
Par-delà l'heure humaine et le temps infini,
Mon cœur est embaumé d'une odeur immortelle l
M
LA MAYA
AYA ! Maya! torrent des mobiles chimères.
Tu fais jaillir du cœur de l'homme universel
Les brèves voluptés et les haines amères.
Le monde obscur des sens et la splendeur du ciel ;
Mais qu'est-ce que le cœur des hommes éphémères,
0 Maya, sino?i toi, le mirage immortel?
Les siècles écoulés, les minutes prochaines ,
S'abîment dans ton ombre, en un même moment.
Avec nos cris, ?}os pleurs et le sany de nos veines :
Éclair, rêve sinistre, éternité qui ment,
La vie antique est faite inépuisablement
Du tourbillon sans fin des apparences vaines.
(Poèmes tragiques.)
;ia'ii'''mii'!imi|,îit,|tiiii|l!ilftm
m^ mr^ .5S;9-,^lMN-.r--S2ir-_ Mi»/ A^> ..-"^ ^^-ry<3. .^^ -^^<r>l/£^'S
CHARLES BAUDE DE MAURCELEY
LES VIEUX AMIS
A Georges Lorin.
QUAND la ueige des ans aura blanchi nos tètes,
Assis au coin du feu, décrépits et voûtés.
Loin de tous, las du monde et de ses vanités,
Ami, nous parlerons de nos vieilles conquêtes.
Nous ne fumerons plus ; nos goûts seront honnêtes ,
Et nos cœurs engourdis par les infirmités,
Nos vieux cœurs impuissants, à jamais désertés.
Ne connaîtront plus rien, ni les deuils, ni les fêtes !
L'àg-e anéantira les rêves d'avenir
Et nous ne vieillirons que pour nous souvenir,
Contents si le passé laisse une cicatrice !
En buvant, sans plaisir, une tasse de thé,
Nous attendrons l'instant où la mort bienfaitrice
Roulera nos fauteuils jusqu'à l'éternité !
LE PARNASSK BRETON CONTEMPORAIN.
SOUVENANCE
A Mademoiselle Marie M***
JE la vis une fois. — (Vêtait... près de Paris :
Blonde, d'un blond cendi'é. Les yeux bleus, d'un bleu gris.
Le profd régulier des Beautés disparues...
Sa démarcbe superbe est rare dans les rues...
Une robe très simple : un point bleu sur du blanc.
Puis, un large chapeau d'un tour leste et galant.
Pas d'ombrelle à la main ; mais des fleurs... quelques roses.
Un rayon de soleil enrubannait ces choses.
Les grands arbres du parc, la fierté du château.
Mettaient tout autour d'EUe un décor de \Yatteau.
Rien de plus ravissant que cette jeune fille
Que suivait, d'un œil dou.v, un groupe de famille...
Je l'admirai longtemps, sans vouloir lui parler,
Comme si, vision, elle eût pu s'envoler!
Des oiseaux s'adoraient, tout là-haut, dans les branches.
Et ses yeux, grands ouverts, images de pervenches,
Suivaient pensivement les gaîtés des oiseaux...
Un étang, près de là, dormait dans ses roseaux.
Après-midi' d'été Fleurs d'amours, fleurs de flammes,
Tout germait sous le ciel, sur terre et dans le> Ames.
La Vie était concjuise et le Rêve courait
Du parc à la pelouse et du lac en forêt.
Le grand livre (hi monde, ù i^ature r; vie,
Entr'ouvrait une page heureuse de la ie...
Quand le soleil tomba derrière les coteaux.
Laissant un éclat rouge aux vitres des châteaux,
(-oiiiiuc 1111 lrès,i:raiul srigneur jelle Toi- au passage,
Ma compagne, lixant des Heurs à son corsage,
CHAULES PALIUE 1)K MAURCELEY,
Reprit le grand chemin qui menait au perron
De l'élégant manoir. Là, lierre et liseron
Flanquaient d'ornements vifs les granits de vingt marches
Et, dans le vestibule ouvragé sous des arches,
Elle s'enfuit, légère, en chantant un vieil air,
Un lambeau de chanson très douce, en rythme clair...
A table, on nous plaça l'un à côté de l'autre...
(Je n'aurais pas donné ma place pour la vôtre).
Je regardais ses mains, sa nuque et ses cheveux,
En me disant : « C'est bien la femme que je veux. »
Nous avons quelquefois de ces cris dans nos êtres ;
Souvent, il nous suffit, aux balcons des fenêtres,
Aux bords d'une avant-scène, au détour d'un chemin,
D'entrevoir un bonheur, perdu le lendemain!
Un frôlement de robe, un regard, un sourire,
Nous donnent quelquefois l'occasion d'écrire.
Un rien peut nous livrer au rêve le plus fou...
En voulant trop monter, nous nous cassons le cou.
C'est l'histoire du monde en un instant vécue :
L'àme rêve un triomphe et la bête est vaincue !
Tout s'efface à la fois : image, amour, espoir ;
Le Matin n'est qu'un rêve et nous tombons au Soir,
Au Soir anéanti des voûtes sans étoiles,
Au Soir décourageant des tristesses sans voiles.
Nous nous enténébrons en nous retrouvant seul,
Et le lit qui nous prend a des airs de linceul...
Avez-vous éprouvé cet effet magnétique
Qui veut qu'en rencontrant, par quelque jour mystique,
Une femme inconnue, au regard attirant,
Vous ressentiez, soudain, le charme d'un courant?
On voudrait la poursuivre et lui dire ces choses
Qui naissent galamment des passions écloses ;
Mais la femme est partie et le rêve est brisé :
Vous avez tout perdu pour n'avoir point osé.
•i LE PARN.VSSE BRETON CONTEMPORAIN.
« Ton honneur était là! » dit une voix secrète...
Et Fespoii' de votre ànie, en cet instant, s'arrête.
Donc, nous étions à table, et je prenais plaisir
A guetter dans ses yeux le plus petit désir...
Je lui disais les riens dont s'occupe le monde,
Accrochant mes regards à ses cheveux de blonde...
Elle, d'un esprit net, chercheur, original.
Mettait un tour savant, coquet et virginal,
A ces menus propos qui remplissent la vie
Et qui font d'un désert une route suivie,
Tandis qu'autour de nous on causait gravement
Des devoirs négligés par le gouvernement...
De grands agriculteurs parlaient littérature ,
Et des littérateurs parlaient agriculture !
Des tinanciers, gainient, causaient du cœur humain,
Tout en établissant la rente de demain.
Les femmes discutaient les romans à la mode :
Qui n'aime point Zola, de Bourget s'accommode.
Et qui goûte Flaubert adore Maupassant.
Elles jasaient beaucoup, — cela dit en passant.
Le seigneur châtelain, très galant avec elles,
Leur décochait parfois d'aimables bagatelles...
Comme le voyageur, sur des rochers perdus,
Jouit, pour un moment, d'échos inentendus,
Moi, j'écoutais toujours la fine causerie
De ma voisine blonde. Et c'est ma rêverie
Maintenant. Je reviens à ce bon souvenir :
Chose de mon passé, qui ne peut revenir...
L;i lin de l'aventure, hélas! était prévue.
x^()us nous sommes quittés. Je ne l'ai pas revue,
Et depuis, je le sens, mon cœur en est épris...
Je ne la vis qu'un jour. C'était... près de Paris.
(C
FRANÇOIS BAZIN
PREMIERE COMMUNION
A ma Fille.
Comme une aube de mai de fraîcheur tout empreinte,
Comme un lis reflétant la pureté des cieux ,
Gomme une vision douce, aug-élique et sainte,
Tu m'apparais, ma fdle, en ce jour radieux.
Quel est donc ce mystère, et pourquoi cette larme
Qui de mes yeux, enfant, ce matin a coulé;
Et pourquoi dans ton cœur cet indicible charme
Qui vaguement peut-être un instant l'a troublé?
Ah! c'est que Dieu, mon ang-e, est entré dans ton âme
Pour en faire à jamais un asile sacré;
C'est qu'en toi j'ai vu poindre une petite femme.
Et c'est pourquoi je songe et pourquoi j'ai pleuré.
Ne grandis plus; demeure ainsi toujours, mignonne;
Garde pour nous et Dieu tous tes amours d'enfant,
Gardes-en les pensers simples et l'âme bonne,
Gardes-en la gaité qui du mal te défend.
6
LE PARNISSK BRETOTi CONTEMPORAIN.
Bien des jours rayonnants se lèveront, j'espère,
0 ma fille, pour toi dans l'avenir clément;
Mais de tous tes bonheurs , crois-en l'aveu d'un père ,
Celui-ci restera le meilleur sûrement.
C'est que la joie humaine a ses lendemains sombres ,
Que toujours le revoir est proche de l'adieu;
Seuls, les bonheurs que Dieu nous donne n'ont pas d'ombres ;
Ma fille, mets toujours ta joie aux pieds de Dieu.
Reste en cette clarté sereine où je t'ai vue,
Le iVonl !)aii;iié d'aurore et h'S yeux pleins de ciel.
Qui Taisaient (ju'on eût dit détaché de la nue
Le voile où tu marchais en allant à l'autel.
EDOUARD BEAUFILS
C
LES CLOCHES
LOCHES des vieilles tours, cloches crépusculaires,
Pleurez votre souffrance en vos robes fêlées ,
Et vos gémissements aux calmes envolées
Berceront nos dédains, nos mépris, nos colères.
Cloches, cloches du soir, cloches mélancoliques,
Vous évoquez l'effroi d'enténèbrements proches :
Le chœur des trépassés, ô cloches, pauvres cloches^
Se lamente parmi vos frissons métalliques!
On dirait, dans les soirs languissants des dimanches,
Que vous vous éteignez, et que l'élan des brises
Emporte dans son vol , au-dessus des éghses ,
Avec vos derniers chants, des âmes toutes blanches 1
Mourez-vous d'anémie et de pùles névroses,
0 cloches! que vos voix sont toujours si dolentes?
A-t-il neigé sur vous , ce deuil des neiges lentes
Où les êtres se sont effondrés, et les choses?
8 LE PARNASSE RRETON CONTEMPORAIN.
Vous me psalmodiez je ne sais quelles plaintes
Et quels vagues sanglots, veuves inconsolées,
D'amours ensevelis sous l'herbe des allées ,
De rayons disparus, d'auréoles éteintes.
0 cloches! vous sonnez d'étranges agonies
Pour les crucifiés des couchants grandioses ,
Et la mort du soleil nimbé d'apothéoses
Vibre dans votre angoisse en larges symphonies!
Vous sonnez de longs glas aux lassés de la vie,
A ceux c[ui n'ont d'espoir que dans la tombe seule ,
Et qui clament la mort, rêvant qu'on enliuceule
D'un éternel repos leur âme inassouvie !
Vous sonnez de longs glas aux jeunes fiancées
Qui, dans leurs blancs tombeaux baignés des lunes blanches,
Songent de purs hymens et de fières revanches
Sur l'insensible mort qui les a terrassées !
Vos rythmes lents, pareils aux voix des vierges pâles ,
Réveillent dans les cœurs les souffrances anciennes.
Vous les remémorez au chant de vos antiennes ,
Sur des rythmes très lents, graves comme des râles.
Lentement, lentement, dans la nuit souveraine,
La cloche triste épand ses notes cristallines ,
Et, des vais ignorés au sommet des collines.
Ses larmes de cristal la cloche triste égrène.
EDOUARD BEAUFILS.
Et, lasse eiitiii , l'ayant la douleur qui la liante,
Elle a laissé tomber ses battants inutiles,
Tandis que les rumeurs montant du sein des villes
Etouffent ses derniers soupirs d'agonisante !
SONNET
A Charles Collin.
NOUS avons tous au cœur quelque folle chimère,
Quelque rêve insensé dont le désir nous mord,
Et nous nous épuisons à maudire le sort
Qui s'oppose sans cesse à l'illusion chère.
Et nous nous lamentons sur l'existence amère;
Mais nous gardons en nous, même jusqu'à la mort.
Cet espoir, renaissant toujours comme un remord.
De voir enfin fleurir notre rêve éphémère.
Fantôme de bonheur sans trêve poursuivi ,
Combien t'ont pu saisir? Combien l'ont assouvi,
Ce désir lancinant d'un idéal qui leurre?
Oh! quand le marbre noir pèsera sur nos fronts.
Seigneur, est-ce le jour où nous les étreindrons.
Ces bonheurs des lointains paradis que je pleure?
10 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
D
SPES
A M. V. Basch.
ANS le vol large et blond des rythmes éperdus .
Le poète meurtri va calmer sa souffrance
Et puiser du cor rage à la vieille espérance
De retrouver là-haut tous les Edens perdus.
Que le ciel soit vivant ou qu'il soit chose morte,
Que le bleu firmament auquel nous aspirons
A^e soit qu'une ironie immense sur nos fronts;
Que l'au-delà soit vide, au poète qu'importe I
Qu'importe , puisqu'un jour l'espoir a dans son cœur
Ouvert, comme au hasard, sa floraison féconde,
Et jeté sous ses yeux la vision d'un monde
Où l'air serait moins lourd et le rêve meilleur !
Et qu'il soit vérité, ce réveil, ou soit leurre,
Le poète altéré , las désespérément ,
Boira comme un suprême et saint apaisement
Dans cet espoir lointain, ne duràt-il qu'une heure I
SONNET
A Ch.ii-l.'s Saint-Mieux.
SI lu te s(!ns atteint des modernes névroses,
l']t si ton dés(;sp()ii' est encor plus profond ,
Après avoir vidé, sans ci'ainte , jusqu'au fond,
('es coupes (pii, de loin, ont le parfum des roses;
EDOUARD BEALFILS. 11
Si nos vieilles cités où stagnent les chloroses ,
Si les hommes pervers et le vain bruit qu'ils font
Ont à jamais blasé ton cœur qui se morfond,
Impuissant à tromper Tennui des jours moroses;
Fuis courageusement nos villes de péché,
Et sans te souvenir que tu fus débauché .
Cherche l'apaisement des solitudes hautes,
Afin qu'après avoir, dans leur sérénité ,
Endormi ses douleurs comme oublié ses fautes,
l'on âme sans frayeur songe à l'éternité!
PREMIER soin
C'ÉTAIT le jour fatal de la première faute.
La vie apparaissait aux pâles voyageurs ,
Pénible et rude, ainsi qu'une montagne haute.
Le soir venait splendide, et ses calmes rougeurs
S'épanchaient à travers l'Eden rempli d'ivresses ;
Eve était prèsd'iVdam, tous deux marchaient songeurs.
Eve laissait flotter au vent ses longues tresses
Qui retombaient sur elle avec les ondoiements
Des chevelures vierges d'ardentes caresses.
Adam, sous le fardeau des destins iucléments,
N'admirait plus la femme en sa splendeur première,
Le regard plein d'éclairs et d'éblouissements!
12 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Autour d'eux, cependunt, pâlissait la lumière,
Les clairs rayonnements s'éteignaient dans le soir,
Et les étoiles d'or entr'ouvraient leur paupière.
Ainsi que des parfums montant d'un encensoir.
Des ombre'% s'élevaient lentement dans la nue;
Et c'était effrayant et lugubre de voir
Les formes se noyer dans la nuit inconnue.
Le ciel se remplissait d'une obscure lueur
Que les premiers humains n'avaient pas encor vue.
Et blêmes , dans l'atroce attente et la frayeur,
Tous deux, comme effarés de ces métamorphoses
Dont le mystère étrange épouvantait leur cœur.
Rêvèrent comme on rêve au long des soirs moroses ,
Et, sous l'inaltérable et stellaire clarté.
Ils versèrent longtemps des larmes sur les choses.
0 les pleurs, les premiers pleurs de l'humanité!
MARCEL BÉLIARD
AUX POETES BRETONS
JE suis fils de marin : j'aime la mer sauvage
Qui vibre follement sous l'archet du Noroît,
Et la vague qui vient, balayant le rivage.
Souffleter le rocher dans son orgueil de roi.
Je suis fils de Bretagne ! 0 mère, le breuvage
Qui sort de ta mamelle ardente, c'est la foi,
L'honneur, l'amour du nid, la fierté, le courage,
Et tu m'as baptisé chrétien, digne de toi.
Bardes de l'Océan , poètes de la lande ,
Voulez-vous un joyeux de plus dans votre bande?
J'ai dix-neuf ans à peine et jamais un souci.
Parmi vos nobles chants mon bégaiment détonne,
Pardonnez-moi ! le nom que je veux, le voici :
Le plus petit follet de la côte bretonne.
O^-^'i^''
\ ivi |.
?rj^<a#
>.ri3^^/iî%Hc-i-,s^i
'^:fidJ^.A.lA>-^^0^
HENRI BERNÉS
VIEILLESSE
L'homme disait un jour à la Vieillesse : « Arrière !
Tu fais pencher mon front, tu fais trembler mes pas ;
Ta main sèche et glacée ouvre sous ma paupière
Une source de pleurs qui ne tarira pas.
Devant mes yeux ton aile sombre a mis un voile
Qui ternit la splendeur divine du matin.
Les regards amoureux dont je cherche Tétoile
Semblent fuir et s'éteindre au fond du ciel lointain.
Je suis comme le tronc dépouillé d'un vieil arbre,
Où les oiseaux chanteurs n'osent plus se poser.
Et la tombe vers moi tend ses lèvres de marbre
Quaiul je cheiche un baiser. »
Et l'autre répondit : « Ta blasphèmes. Sois juste,
Cœui's battants, regards fous, longs jjaisers, chants joyeux,
('ela, c'est la Jeunesse, amoureuse et robuste.
Et c'est bon d'être jeune... et c'est beau d'être vieux.
HENRI IIERNKS. 15
Ne me fuis pas. Car je suis l'heure solennelle
Où, dans l'apaisement du soir silencieux^
Parmi les visions dont s'emplit ta prunelle,
La blanche Vérité descend du haut des cieux ;
Où semblent s'entr'ouvrir, dans l'air pâle et limpide,
D'étranges profondeurs; où, se sentant ailé,
Ton esprit plus léger rêve un essor splendide,
Une fuite sans lin dans l'abimc étoile.
Tout grandit, au toucher divin du jour qui baisse.
Sur les yeux qu'alourdit l'approche du sommeil,
Ses rayons veloutés mettent une caresse ,
Plus douce qu'un baiser à l'instant du réveil.
La paix est une fleur au crépuscule éclose.
Viens. Le repos est bon, même au bout de l'espoir.
Viens à moi. La jeunesse est l'aube ardente et rose;
Moi, je suis le lever de l'étoile du soir. »
MORS, VIT A
JE vis la Mort debout dans l'Univers, marchant
Comme le moissonneur que chaque été ramène,
Et qui parfois, couvant du regard son domaine,
S'arrête sur sa faulx pour tàter le tranchant.
Elle riait, son bras implacable fauchant
La profonde forêt des épis lourds de graine,
Et mêlait à son rire une voix surhumaine
Qui semblait un sanglot et qui semblait un chant.
16 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Un vent froid et muet Ijalayait le champ sombre.
Tout près — l'une des deux de l'autre est-elle l'ombre?
La Vie au clair regard, au pas jamais lassé,
Traversant l'Infini du môme geste immense,
Chaque fois que la faux sifflante avait passé,
Jetait aux sillons nus la nouvelle semence.
SONNET
A Feyen-Perrin.
QUAND la fille des eaux, la blonde Aphrodite,
Sur l'écume pareille aux corolles écloses,
Dans le rire du ciel et la senteur des roses ,
Jaillit, belle de grâce et de divinité ;
Quand, près des flots muets , dans la sérénité
Du sommeil et le frais arôme des chairs roses.
Les nymphes s'endormaient, les lèvres demi-closes,
A l'ombre . après le bain, aux jours brûlants d'été ;
Ton âme errait alors dans le souffle des brises
Qui, frôlant mollement les nudités surprises.
Gardaient, comme un parfum, le reflet des couleurs ;
Et la forme entrevue au vol de l'heure brève,
Dans le vent de la mer ou l'haleine des fleurs,
Charme éternellement le regard de ton Ilève.
LÉON-L. BERTIJAUT
AU POETE
POÈTE, enfant chéri de l'éternelle Attique,
Toi qui souffres le plus des humaines douleurs.
Tu caches aux regards tes tourments et tes pleurs ;
Tu fais de ton sanglot d'agonie un cantique.
Immortel primitif, dans ton ;nne ascétique
Tu vois les songes bleus crouler sous les malheurs :
Et, le front haut, l'œil sec, superbe en tes pâleurs,
Tu vas résolument, fier sous la dalmatique.
Si parfois tu connais louanges et parfums,
N'as-tu pas le regret de grands amours défunts?
Ton chemin n'est-il pas un chemin de calvaire ?
Cependant, flagellé du rire des passants.
Tu chanteras toujours, ô sublime Trouvère,
Ton invincible espoir des amours renaissants.
18 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
LA REINE MARGUERITE A DAMIETTE
L'épouse du saint roi, retenant le sanglot,
Sur un lit de douleurs, solitaire, est couchée ;
Sa tête penche : telle, une fleur desséchée
Que l'ûpre vent du nord effeuillera bientôt.
Tn chevalier, vieillard d'imposante stature,
Qui porte sans fléchir ses quatre-vingt-dix ans.
A cet honneur insigne, hommage aux cheveux blancs,
De veiller là, debout, le fer à la ceinture.
Jeune, dans la bataille, et portant l'étendard.
Au fort de la mêlée, il s'écriait : Montjoie I
Devant la femme en pleurs le guerrier s'apitoie.
Mais l'àme du héros survit en ce vieillard.
Cors, sambutes, clairons, répondent aux cymbales :
Louis n'est-il pas mort frappé par l'Osmanh?..,
A chaque bruit nouveau, l'épouse sur le lit
Tressaille. L'homnui marche à grands pas dans les salles.
« S'ils entraient, Monseig-neur, dans le camp des Français,
« Ne voudriez-vous point par grand'pitié m'occire ? »
Le croisé releva son visage de cire.
Tira le glaive, et dit : « Madame, j'y pensais. »
FRÉDÉRIC BLIN
LES POETES
ILS sont fous, disent-ils en leur dédain moqueur.
— Vous qui versez, gardant pour vous la lie anière,
Du ciel mystérieux et calme où votre àme erre.
Le vin pur de vos chants bénis en notre cœur!
Fous ! ces chantres divins, impérissable chœur
Emporté dans le vol ardent de la Chimère ,
Ces Poètes ! Hugo ! Dante ! Virgile ! Homère I
Pères des rimes d'or et du rythme vainqueur 1
Oui ! les voilà, ces fous sacrés, dont la démence.
Jetant aux quatre vents du ciel son Verbe immense,
A le suprême orgueil de tutoyer les dieux !
Ceux qui, fuyant la terre où l'ombre tend ses toiles,
Dans l'éternel azur du Rêve radieux,
Ont eu le front fêlé par le choc des étoiles !
20 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
LES AN CET DES
HANTÉ de visions vaguement apparues,
Je rêve bien souvent, et ce rêve me point.
Aux poètes vêtant la grègue et le pourpoint,
Qui jadis s'en allaient en flânant par les rues.
Et je les vois passer encor. bayant aux grues,
(ihassant et bataillant, faucon ou dague au poing,
Ou discutant maint texte obscur en plus d'un point,
Chimériques toujours comme coquecigrues.
Humant le piot^ chantant l'amour à pleine voix,
Savourant les vins vieux et les propos grivois.
Moins prompts à manier la plume que l'épée,
Tels ils étaient, seigneurs, escholiers, damoiseaux.
Qui prenaient autrefois les vers à la pipée ,
Comme un vol éperdu de célestes oiseaux!...
JAMAIS
PrisoiK tout nous sépai'c ici-bas désormais,
Hélas!... Puisqu'au milieu des ivresses bénies,
Ils ne s'unii'ont pas sur nos lèvres unies.
Nos deux noms radieux qu'en secret je nommais!
FFIKDÉRIC. liLIN. 21
Puisque Tàpre destin à qui je me soumets
A versé dans mon cœur toutes les agonies,
Et puisque , sur le seuil des amours infinies ,
Il a crié trois fois un éternel jamais !
Oh! laisse ma pensée ardente à ta pensée
Se joindre ; sois ainsi la chaste fiancée
Vers qui monte son vol mystérieux et sûr !
Et, taisant cet aveu que jamais nous n'osâmes,
Mon rêve ira trouver ton rêve dans Tazur
Pour consommer l'hymen idéal de nos âmes !
PARA DIS PERDU
LORStjVAi X prières dM'^ve Adam s'étant rendu,
Mit entre Eden et lui sou crime pour barrière,
Par Tordre du Très-Haut, un auge de lumière
Vint défendre le seuil de son glaive étendu.
Pourtant, la nuit, furtif, souvent l'Homme éperdu ,
Plein de chers souvenirs, des pleurs sous la paupière,
Sans espoir de pardon, revenait en arrière
Pour contempler encor son Paradis perdu!
Tel, devant le Jardin de nos jeunes années,
Nous montrant sans pitié toutes leurs fleurs fanées.
Se tient le spectre en deuil de nos illusions.
Souvent aussi, malgré la fatale défense,
Je reviens, l'œil rempli de fraîches visions.
Regarder dans ma vie aux jours de mon enfance!,..
22 I,F. PARNASSE BRETON TONTEMPORAIN.
LE BLE
A J.-M. de Heredia.
L'ombre emplissait les champs de ses vagues murmures,
Quand les fiers moissonneurs ont repris les chemins
De la ferme, la tâche faite. Dans leurs mains
Les faux en se heurtant avaient des bruits d'armures.
Lentement, les grands hœufs, couronnés de ramures,
Avec l'air résigné de leurs yeux presque humains.
Ont porté ce suprême espoir des lendemains :
Le saint et glorieux fardeau des moissons mûres.
Or, ce matin^ tandis qu'en un large tapis
Les hommes ont jonché l'aire de blonds épis.
Le ciel comme une forge à l'horizon s'allume ;
Et bientôt, bondissant en un rythmique essor,
Le dur fléau, comme un lourd marteau sur l'enclume,
Frappe. Et le blé jaillit en étincelles d'or!
LÀ VENUS DE MIIJ)
A Lecuutc de Lisle.
LE marbre viei'ge où dort l'immuable beauté
S'anime. Dans le bloc parait ta forme altière,
0 Vénus; et, donnant la \u\ à la matière.
L'artiste y fait sui'gir ton immortalité.
FRÉDÉRIC BLIN. 23
Mais quand la vision de son rêve sculpté,
Radieuse, est venue éblouir sa paupière,
Il crut voir rayonner une àme dans la pierre.
Empruntant sa splendeur à ta Divinité !
Alors, fou d'un amour monstrueux, ù statue,
Il chercha sur ton corps la volupté qui tue.
Dans un embrassement d'une sublime horreur.
Et, comme ta froideur de marbre, sans rien craindre
De ses rudes baisers, irritait sa fureur,
Il a brisé tes bras impuissants à l'étreindre !
ECROULEMENTS
A H. de Beaulieu.
QUAND la foi rayonnante et forte de jadis
Illuminait les cœurs simples que rien n'altère.
Ils n'étaient soucieux que du divin mystère
Qui fait s'ouvrir le seuil rêvé du paradis !
Mais depuis nous avons goûté les fruits maudits
De l'arbre décevant de la science austère.
Et nous cherchons en vain à crier vers la terre
Des mots mystérieux, qui ne seront pas dits !
Rêveurs toujours hantés d'une impossible envie.
Nous jetons dans le vide éternel de la vie
Ces lamentables cris à jamais sans écho I
Et leur clameur fait choir du haut de l'ànie sombre,
Comme les effrayants clairons de Jéricho,
Tous les espoirs divins qui s'écroulent dans l'ombre.
RAOUL DE BOISTAEL
(EUGÈNE DE KERLINOU)
LA STATUE DE BRI Z EUX
SCULPTEURS, il VOS iiiarteaux ; vous. fondeurs, à Fouvmge ;
Poètes, composez des vers laborieux;
iMupruntez à la terre uu pur retlet des cieux
Pour prouver que le barde a pu \aincre l'orage.
Que tous les sons bruyants luttent et fassent rage;
Musiques, en avant! noirs canons furieux
Et discours apprêtés, faites à qui mieux mieux
Autour de ma statue un infernal tapage!
Mais ce n'est pas ainsi qu'on peut me plaire , oh non !
Je n'ai jamais chanté qu'une douce compagne,
La liberté, la foi. la mer et la Bretagne.
Si ([lU'lqu'un maimc encor, qu'il vous dise en mon nom :
l*our m'honorer moi-même autant (]ue nui patrie,
Dressez mon piédestal et phicez-y... Marie.
ARTHUR DE LA BORDERIE
L'ÉGLISE DU FOLGOET
A M. Paul Delangle.
LA, jadis, se dressait, sombre, un vieux bois celtique;
Dans les arbres le fol Salaiin se berçait,
Priant Jésus, Marie, et les saints d'Armorique,
Et, comme un cliant d'oiseau plaintif, son doux cantique
Des grands chênes moussus, nuit et jour, s'envolait.
Il mourut là, chantant toujours, et sur sa tombe,
De son cœur même on vit tout à coup émergeant
Un lis, plus pur, plus blanc que la blanche colombe,
Ilautainement dresser sa fleur d'or et d'argent.
Le vieux bois est rasé, la pauvre tombe est vide,
Depuis longtemps, hélas! le lis est effeuillé.
0 miracle! Cent fois plus haut et plus splendide.
Un autre lis fleurit le sol émerveillé.
Non un lis, mais plutôt, fière sous sa couronne.
Une rose enlacée à maint tendre bouton,
Éclose aux doux rayons de la piété bretonne,
Epanouie aux purs sommets de l'art breton.
26 LK PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
0 rose du Folg-oët aux mystiques corolles,
Enchantement des yeux , de l'esprit et du cœur,
Merveille du Léon, où prendre des paroles
Pour dire ton parfum, ton charme, ta splendeur?
11 faut te voir!... il faut voir tes fines dentelles
De pierre ouvrée à jour, tes fleurons, tes festons,
Broderie à l'aiguille, et ces guirlandes frêles
Où la vigne s'enroule aux feuilles des chardons.
Il faut voir le jubé gardien du sanctuaire ;
Le Guide vous dira que c'est du kersanton :
?»J'en croyez rien, il ment... c'est du point d'Angleterre!
Jamais reine n'en eut de tel à son jupon.
Et le porche, où, songeurs, yeux baissés, front austère,
Leur barbe descendant en ondes sur leur sein.
Les Apôtres, ligués pour conquérir la terre
En semant Jésus-Christ au cœur du genre humain,
Sont là, prêts à partir, le bâton à la main.
Il faut voir les autels aux sveltes arcatures.
Aux anges chevelus, aux blasons curieux.
Il faut voir les meneaux, les tympans en guipures,
Aux fenêtres, dardant leurs trèfles radieux.
Il faut tout voir ici, car tout est admirable;
Tout est fin, ciselé, gravé, comme un bijou.
La pierre ici vaut l'or. Chef-d'œuvre incomparable,
Né du lis qu'engendra le cœur du pauvre fou!
ARTHUR DE LA lUmni.RIK. 27
PRIERE A SAINT YVES'
A l'occasion de la mort de Mai- Bouché, évéque de wS'-Brieuc et Tréguier.
YVES, patron cVArvor, qu'aux sphères éternelles
Les anges radieux couvrent de leurs deux ailes',
De ces nuages d'or, là-haut, où vous planez,
Voyez ici vos fils humblement prosternés.
Ce sont, tous, des Bretons dont la voix v^ous implore.
Pour eux votre nom luit plus brillant que l'aurore :
Par l'orage et la foudre assaillis trop souvent,
Brûlés par le soleil ou glacés par le vent,
Comme petits enfants qui réclament leur père,
Ils se tournent vers vous du fond de leur misère.
Soutenez leur faiblesse, éclairez leur chemin,
Sur leur tète étendez votre puissante main.
Ah! n'abandonnez pas notre pauvre Bretagne
A tant de loups maudits cjui pillent sa campagne!
Gardez-lui ses trésors : la foi dans tous les cœurs,
Son idiome d'or, sa franchise, ses mœurs.
Innnortel avocat de la race bretonne,
Vous en qui Tréguier voit sa palme et sa couronne,
Couvrant d'or et de fleurs votre chef précieux.
Pour vos enfants, parlez! plaidez leur cause aux cieux.
1. Imité de Hi'izeiis, dans la Prière des laOourrurs : « Saint de notre
pays, qu'aux sphères éternelles... » Non seulement on a employé ou
adapté ici plusieurs vers de ce grand poète, mais on a surtout tenté de
suivre l'inspiration de cette pièce et d'en reproduire le mouvement.
2. Vers de Brizeux.
28 LK PARLASSE RRKTON CONTE.NfPORAIN.
Et près de vous, là-liaiit, placez dans votre gloire
Celui que nous pleurons, dont la noble mémoire
Chez les Bretons, toujours vivante, restera :
Car c'était un Breton fidèle, celui-là;
Breton des jours anciens, or pur, granit et flamme!
A la gloire d'Arvor dévoué corps et âme ;
Evêque à son troupeau prodiguant tout son cœur,
Mourant pour le servir comme le bon Pasteur.
Il aimait nos vieux saints, les saints de nos ancêtres;
Il combattait pour eux, pour Dieu, contre les traîtres.
Grand saint, il vous a fait un tombeau triomphant :
Sa place est près de vous, dans le ciel rayonnant !
Yves, patron d'Arvor, qu'aux sphères éternelles
Les anges radieux couvrent de leurs deux ailes.
Gloire à vous ! Nous, vos fils, à vos pieds, nous chantons :
« Défendez la Bretagne et sauvez les Bretons! »
DOMINIQUE CAILLÉ
i^ÈcmriJBE nr moht
A ma Mhvp.
LK cher enfant mourut et fut mis dans la bière.
Après l'avoir conduit dans le vieux cimetière,
Nous rentrâmes chez nous . des larmes dans les yeux.
Son petit lit était vide; une odeur de cierge
Et d'encens s'exhalait de ses rideaux de serge
Que naguère au matin il entr'ou^ rait joyeux.
Les livres, les joujoux de cet ange éphémère
Étaient encore épars dans sa chambre ; et sa mère
Les recueillait, trésor léger, mais précieux I
Tout à coup, on la vit, prise d"un trouble extrême,
Lire dans un cahier, à la marge d'un thème.
Ces mots, qu'on aurait dit écrits par lui des cieux :
« Ma petite maman, de tout mon cœur je t'aime! »
30 LE PARNASSE DRETOxN CONTEMPORAIX.
LE REVE
E venais tristement de conduire à la tombe
Celle que j'adorais. C) ma chaste colombe.
Trop vite dans le ciel vous aviez pris l'essor I
Et je me rappelais sa charmante figure,
Ses doux baisers, sa voix mélancolique et pure.
Son front blanc, ses yeux bleus et ses longs cheveux d'or
Et je rentrais chez moi la tristesse dans l'âme.
J'y trouvais mon foyer solitaire et sans flamme ;
Triste, l'appartement par sa grùce embelli.
Dans la chambre témoin de notre mariage.
Mes yeux en pleurs voyaient là-haut sa douce image
Suspendue en un cadre au-dessus de mon lit.
J'entendais retentir les horlog-es dans l'ombre :
Elles semblaient sonner à travers la nuit sombre
L'inexorable glas de mon bel avenir.
Mon cœur aurait voulu douter qu'elle fut morte;
Mon oreille écoutait chaque bruit de la porte,
Comme si sous mon toit elle allait revenir.
Distraitement je pris un livre d'Euripide,
Je l'ouvris au hasard, et, de mon œil humide.
J'y lus ces quelques mots sur le terrestre sort :
« Peut-être, Homme du jour, la mort qui vous effraie
(( Est le commencement de l'Existence vraie !
(( Et peut-être la Vie est pour vous une Mort. »
DOMINIQUE CAILLÉ. 31
Et, je ne sais pourquoi, cette profonde idée
Pendant longtemps plana sur mon àme obsédée ;
Et, le front dans mes mains, auprès de mon flambeau.
Je m'écriai : « Mon Dieu, n'est-ce rien que la vie;
Les biens que nous cherchons sont-ils dignes d'envie;
Ne faut-il ici-bas qu'aspirer au tombeau? »
En méditant ainsi je m'endormis. La Morte
M'apparut et me dit : « 11 faut que je t'emporte
Avec moi dans le ciel. » Je me sentis frémir.
Mais, sur mon front soudain mettant sou doigt de llamme,
Avec elle, de terre elle enleva mon àme;
Et mon corps, sur mon lit, calme, semblait dormir.
?s'ous montâmes tous deux par-delà les étoiles.
Les anges et les saints m'apparaissaient sans voiles;
Les séraphins j ident un éclat radieux ;
Jéhovah rayonnait dans sa beauté suprême ;
Des astres d'or formaient son brillant diadème;
On entendait partout des chœurs mélodieux.
Comme j'étais saisi d'une extase profonde.
Elle me dit : « Regarde en bas et vois le monde.
Veux-tu reprendre un corps et revivre, dis-moi? »
Et me penchant alors au-dessus de l'abime.
J'aperçus l'homme en proie à la misère, au crime.
Et je lui répondis : « Non, je reste avec toi. »
Nous primes notre vol dans la voûte infinie
Où tout n'est que lumière, où tout n'est qu'harmonie,
Où les astres brillants célèbrent le Seigneur !
A mes yeux enchantés disparaissait la terre.
Et mon àme planait à travers le mystère.
Dans le ravissement, l'extase et le bonheur.
32
LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Soudain je m'éveillai. Mon rêve comme une ombre
Disparut. Je revis la terre froide et sombre
Où l'homme, nuit et jour, ne cesse de souffrir.
Depuis, les yeux tournés vers la voûte céleste,
Le cœur plein de dégoût pour ce monde funeste,
Je demande au Seigneur de me faire mourir.
[Au bord de la Chrz-ine.)
YAN CARNEL
(LUCIEN NOALEX)
LES CHAPELLES BRETONNES
Vous avez visité, certes, des cathédrales.
Maisons de marbre et d'or où glissent en spirales
Les escaliers du maitre-autel;
Ils sont beaux, n'est-ce pas, ces monuments gothiques,
Ces frontons découpés, ces trèfles, ces portiques,
Ces clochers qui montrent le ciel !
Vous avez admiré les tours de Notre-Dame
Qui semblent deux g-rands bras de géant, et votre âme
Elevait vos pensers vers Dieu ;
L'œil fixe, le front nu, vous restiez en extase.
Contemplant les vitraux que le soleil embrase
Pour illuminer le saint lieu.
Dehors, les monstrueux profils des arabesques,
Cuivres, nains, basilics, chimères gigantesques
Ravis par un ange à Tenfer ;
Au dedans, les piliers portant de vastes dômes.
Aussi froids et muets que le sont les fantômes,
Immobiles, les bras en Tair.
34 LE PARNASSE BRETON TOMEMPORAIN.
Croyez-vous qu'il ne soit que ces hautes églises,
Vieilles comme le temps, avec leurs rides grises.
Que l'on puisse admirer encor?
Dans mon pays natal, dans ma chère Bretagne,
J'aime les vieux clochers perdus dans la campagne
Et la flèche où perche un coq d'or.
J'aime le toit d'ardoise et la porte rouillée,
La balustrade en bois, la muraille mouillée
Et le grand saint Roch et son chien ;
Puis , le haut bénitier d'une forme grossière,
Les saints, les rois, taillés dans une immense pierre.
Menhirs coupés par un chrétien !
Au fond, brillent toujours plusieurs cierges de cire,
Devant une madone où le pâtre vient dire
Son chapelet et son Pater ;
Au sommet de la voûte, ex-voto des naufrages,
Un navire avec ses mAts blancs, ses noirs cordages,
Tourne au bout d'un long fil de fer.
Souvent, pendant le jour, l'humble chapelle est vide
Seul, le soleil regarde, au soupirail livide,
L'ange de plâtre d'un tombeau ;
Dans une niche à jour reposent les reliques
Du patron du village, et quelques mots bibliques
Montrent la place d'un caveau.
Les pèlerins, qui font souvent de longs voyages,
Aiment à reposer dans ces frais ermitages
Leurs membres tremblants et lassés.
Et les petits enfants passant sur la colline
Viennent prier, le soir, à la maison divine,
Pour les âmes des trépassés.
i.iM|Blt!gir'^ Pi'l"!!y^y!!M!Pf iPIM^^ ^'"'l'" '" '" ^"''''' "' ^' "^^ ^W
— ^^^- ^^
v ^
COMTE ACHILLE DU CLÉSIEUX
LUX ET VIT A
LA poésie ardente emporta ma jeunesse.
Elle était née, un jour, d'une larme du cœur.
Le soml)re désespoir eût été son vainqueur,
Si Dieu n'avait sauvé l'esquif dans sa détresse.
Mais mon front a gardé son cachet de tristesse.
Le chant du rossignol ou des oiseaux en chœur,
Que leur accent perlé soit plaintif ou moqueur,
A peine à soulager le fardeau qui l'oppresse.
Le plaisir, la fortune et la gloire et l'amour,
En vain ont essayé d'embellir ce séjour
Où gémissait, sans fin, mon âme emprisonnée ;
Nul attrait, nulle force et nul enivrement,
Autre que vous, mon Dieu! n'adoucit mon tourment.
Je veux, près de mourir, bénir ma destinée!
vl'2
,tl^Jf^:^^p^'^l
SULLIAN COLLIN
CELLE QUE JE RÊVE!
CELLE à qui je vouclrais unir ma destinée.
Dans Fespoir de trouver le bonheur que j'attends,
Peut-être mon regard Ta déjà devinée...
— Je la rêve mignonne en ses dix-huit printemps.
Dans une ardente soif d'idéal qui TafTole,
Elle est comme embrasée au feu divin de l'art ;
Son front est couronné de lueurs d'auréole.
— Je la rêve adorant Lamar.'ine et Mozart.
Tremblant de la froisser et de ternir de larmes
Ce radieux visage où brille la bonté^
Nul n'a jamais osé lui dire tous ses charmes.
— Je la rêve modeste, ignorant sa beauté.
Elle ne connaît rien des douleurs de la vie.
Songeant à ce bonheur qu'on lui promet, un jour,
Elle s'en inquiète et cependant l'envie.
— Je la rê\e naïve, ayant peur de l'amour.
SULLIAN COLLO. 37
Mais bientôt elle aura dans son cœur un mystère.
Alors , levant ses yeux clans l'extase ravis ,
Elle dira mon nom dans sa douce prière.
— Je la rêve pieuse, au pied d'mi crucifix!
LENDEMAIN DE BAL
A mon ami J. Guy Ropartz.
IL est midi bientôt, et la mignonne dort
Sur son lit tout i^arni d'une dentelle rose ;
Le soleil, se glissant par la persienne close,
Avec les rideaux blancs fait des écliarpes d'or.
L'air rayonnant qui vibre en ce coin de décor
Est comme parfumé de lilas et de rose.
On dirait voir au ciel la blonde apothéose
D'une sainte endormie en les bras de la mort.
Et, tout en souriant des plaisirs de la veille,
Après son premier bal^ la belle enfant sommeille.
Enfermant dans son cœur, écrin de ses amours.
Le nom du préféré que poursuit sa pensée.
Aux rythmes des accords nonchalamment bercée,
Elle rêve qu'au ciel on valsera toujours.
38 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
SONNET-MADRIGAL
POUR obtenir de vous, mignonne, mon pardon,
Voici des fleurs. Hélas I déjà la saison passe.
Elles semblaient souffrir, tristes, la tête basse,
Quand ma main les cueillit pour vous en faire don.
Et je leur dis alors, murmurant votre nom :
(( Craindrez-vous de mourir pour embellir sa grâce? »
Le vent, q^ui va toujours chuchotant dans l'espace,
Avait parlé de vous, et toutes ont dit : Non.
Mais vous qui les verrez s'épanouir plus belles,
Avant que la mort vienne emportant avec elles,
Au paradis des fleurs, leurs souvenirs défunts.
Souffrez ({u'auprès de vous leui' amour les attire.
Et puissiez-vous leur faire , en leur tendre martyre ,
L'aumône d'un regard, pourtours derniers parfums.
LOUIS DALÏGAUT
EN VOYAGE
LE train sur ses deux rails glisse à toute vapeur,
Avec des meuglements sinistres qui font peur.
0 vertige grisant d'une course éperdue !
0 volupté de fuir, dévorant l'étendue,
Pareil au vil fétu qu'entraîne , en son courant ,
Au milieu des flocons d'écume, le torrent !
Le rêve vagabonde avec le paysage
Qui point, se développe et meurt, dans un passage
D'éclair. Et l'œil croit voir, dans les horizons bleus ,
Tournoyer le dessin de tapis fabuleux.
Qui déroulent sans fin leurs magiques richesses,
Étalés par les mains d'invisibles princesses.
Et l'on conserve en soi, de ce décor mouvant.
L'image enchanteresse et le reflet vivant :
Les coteaux aux blés verts, le lac aux ondes pures,
Les bois où les bourgeons naissants font des guipures,
Et, sous un ciel d'azur qui refoule les pleurs,
L'éblouissement d'or des landiers tout en fleurs.
JEAN DASQUINE
(HONORÉ BROUTELLE)
LES CLOCHERS
BÉiMS soient les clochers dans les horizons verts !
Pignons blancs lumineux, toitures ardoisées,
Où chaque aube suspend l'eau vierge des rosées
Au bec d'un coq d'étain rouillé par les hivers !
Pour les bons travailleurs des collines boisées ,
Leurs porches ont d'épais battants toujours ouverts ;
Le bleu des mois fleuris resplendit au travers
De leurs murs ajourés de fragiles croisées.
Aux corniches, des fils de la Vierge, ondulant
Sous les brises, avec un mouvement très lent.
Semblent le lin follet d'une énorme quenouille ;
Et c'est plaisir de voir les hauts clochers briller
Au-dessus des autels où la foi s'agenouille,
Où les simples d'esprit vont encore prier.
ARMAND DAYOT
LE DOLMEN
PENDANT que les guerriers aux fauves chevelures
Entourent le dolmen où vont parler les Dieux,
La prêtresse s'avance, en regardant les cieux,
Vers l'autel tiède encor des vermeilles souillures.
La blonde Alizia, la prêtresse d'Armor,
A revêtu ce soir sa longue robe blanche ;
Ses cheveux dénoués ruissellent sur sa hanche
Et ses doigts frémissants pressent le poignard d'or.
Dans ses yeux ténébreux luit une flamme verte
Et son souffle embrasé soulève ses seins nus.
Soudain, elle s'arrête, et des mots inconnus
S'échappent sourdement de sa bouche entr'ouverte.
Les guerriers sont muets. Dans les bois plus de bruit.
Les chênes ont cessé leurs chuchotements vagues
Et, sur les rochers noirs, le chant plaintif des vagues
S'éteint dans le silence et l'horreur de la nuit.
42 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Car la vierge d'Armor, pâle sous ses grands voiles,
Se dresse, l'œil chargé d'une farouche ardeur,
Et de l'autel sanglant monte un cri de douleur
Vers les Dieux attentifs au milieu des étoiles.
POESTUM
LES glaïeuls ont chassé la rose sans rivale,
Et de leur vert manteau qu'agite un vent de mort
Le souffle haletant du buffle noir qui dort
Comme un soupir géant péniblement s'exhale.
Dressant vers le ciel bleu, dans un suprême effort.
Son fronton chancelant que ronge la rafale.
Le vieux temple païen attend l'heure fatale
Pendant que sur ses murs l'aspic rampe et se tord.
Je me sens le cœur plein d'une immense détresse,
Au milieu de ces. champs où la mort est maîtresse,
Champs peuplés autrefois de rosiers et d'autels,
Et je marche pensif sur ces terres funèbres
Où gisent à jamais, dans les mêmes ténèbres,
La fleur qui vit un jour et les Dieux immortels.
ARMAND DAYOT. 43
NOCTURNE
A Mériem.
LES bois semblent rêver sous le calme des cieux.
Des fraîches profondeurs à la colline ardente
Pas un bruit ne s'élève, et la brise mourante
Arrête dans les airs son vol silencieux.
Je vais par les sentiers que le ciel pur arsente,
Sous les étoiles d'or, moins belles que tes yeux,
Ces yeux profonds et noirs , toujours mystérieux ,
Et j'écoute en mou cœur ta douce voix qui chante.
Puis, dans renivrement que me verse la nuit,
Au milieu des parfums qui flottent dans les branches,
Parfois je crois saisir tes mains douces et blanches.
Mais quel triste réveil lorsque le soleil luit !
Mon beau rêve s'enfuit dans l'aurore vermeille,
Chassé par les sifflets du merle qui s'éveille.
HENRI DRONIOU
PAYSAGE ARABE
UN coucher de soleil de couleur amarante.
Ni sentier, ni ruisseau, ni verdure apparente ;
Un terrain sec, uni, fauve, inculte et gercé.
Aucun explorateur n'a jamais traversé
De solitude égale à cette solitude.
Rien n'en accidentait l'uniforme altitude,
Et le regard, empli d'un morne accablement.
Souffrait de voir ainsi, mélancoliquement,
Se dérouler cette âpre et stérile nature.
Et, là-bas, seul, un cèdre à la haute stature
Coupait l'horizontal et flamboyant sillon
Qui rayait l'Occident teinté de vermillon,
Et, cône ombreux, dressait sa noire majuscule
Dans le rayonnement rouge du crépuscule.
Telle, et plus uniforme en ses aspects divers,
D'un bout à l'autre bout de l'immense univers ,
Et comme à la clarté d'un jour mourant d'automne,
La vie humaine étend son désert monotone.
HENRI DRONIOU. 45
Lumineux météore impossible à saisir.
L'espoir, obéissant à Fappel tin désir,
Eclabousse d'un jet de flamme occidentale
Le couchant vers lequel l'homme marche, Tantale
Séduit par un prestige ironique et trompeur.
Et, braves et poltrons, voici que tous ont peur,
Car, inondant soudain de son ombre ag-randie
Les lointains que l'espoir doucement incendie,
Surgit devant ces cœurs où tout un monde bout,
La Mort, fantôme noir à l'horizon debout !
PENMARC'H
A J.-M. de Heredia.
Penmarc'h ! voyez là-bas I voyez la barre sombre
Que le phare sur l'eau découpe obliquement!
La nuit, ce sont des feux, et le jour, c'est de l'ombre
Qu'il répand sous le vaste et brumeux firmament !
Là-bas, c'est l'Océan! Sa nappe occidentale,
Infini qui se perd dans un autre infini,
Sous le ciel lumineux, grande et calme, s'étale
Et roule, illimitée, à l'horizon bruni !
Là-bas, dans la vapeur transparente et bleuâtre
Que le regard confond avec l'azur des flots ,
Comme les noirs gradins d'un large amphithéâtre,
Se dressent mille écueils, surgissent cent ilôts!
46 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
D\m rempart naturel ils protègent les côtes.
Ces rocs, gardiens du sol, aussi vieux que le temps.
Ont repoussé l'assaut des vagues les plus hautes.
Assaillis sans relâche et toujours résistants.
C'est File de .Xona. C'est l'antre de la Torche :
La mer, tumultueuse et grosse de remous,
S'eng-ouffre en mugissant sous les ombres d'un porche
Dont l'écho souterrain remonte jusqu'à nous.
Car elle apparaît là dans sa sauvagerie,
La côte armoricaine aux horizons pensifs.
Et, par ce jour d'été, les flots avec furie
Suspendaient leur écume autour de ses récifs.
Pas de sahle : un amas désordonné de roches,
Escalier de granit qui descend jusqu'à l'eau;
Un éternel ressac en défend les approches ,
Et plus sauvage encore est ce sombre tableau.
Lorsque le vent de l'Ouest fouette de ses rafales
Les lourds paquets de mer qui se choquent entre eux,
Les roule eu masse blanche et bat sans intervalles
Le cap enveloppé d'un grondement affreux.
Equinoxes de mars! Equinoxes d'automne!
L'océan dans sa rage a ])risé tous ses freins ;
Le vent rugit, le flot saute, le rocher tonne :
0 la sublimité des spectacles marins !
Ces récifs autrefois formaient le patrimoine
Des pillardes tribus qui rançonnaient la mer.
Le sol a conservé des noms. Le Saut du Moine,
Vers le Nord, dans le roc, ouvre son puits amer.
HENRI DROMOU. 47
Le Bourg' est un débris de la guerre civile.
Quelques toits, le portail d'une église, voilà
Ce qui reste aujourd'hui de l'opulente ville
Qui se nommait Penmarc'h et qui florissait là.
Rien n'y témoigne plus des anciens jours prospères.
0 temps évanouis, n souvenirs lointains !
Des brigands t'épiaient du fond de leurs repaires,
Penmarc'h, et leur audace a changé tes destins I
L'abandon de ces lieux, où (luy La Fontenelle
Vint al)attre sou vol sinistre de vautour,
Saisit l'àme et la plonge en une solennelle
Tristesse (jui vous suit à l'heure du retour.
Lne campagne morne, aride et découverte.
Sans trace de culture et sans vestige humain,
rVous entoura longtemps avant que l'herbe verte
Ne revint tapisser les abords du chemin;
Le jour en déclinant doublait l'aspect sévère
Des landes que le soir allonge et rembrunit ;
De distance en distance un rustique calvaire
Dressait, gibet divin, ses branches de granit ;
Là-haut, scintillait Mars; là-haut, brillait Saturne;
Et là-bas, l'océan, d'une blancheur de lait.
Mettait sa ligne claire au bas du ciel nocturne
Où, comme un œil de feu, le phare étincelait.
48 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
AR BARADOZ
A Leconte de Lisle.
CE frais éclen existe au pays de la fable.
C'est un jardin fleuri plein d'un charme ineffable,
Un vaste et noble parc, enclos de toutes parts
D'une longue muraille aux pans garnis de lierre,
Dont l'œil poursuit au loin la courbe irrégulière,
A travers le réseau des feuillages épars.
Mille ruisseaux sableux aux bizarres méandres
Y circulent parmi des bouquets de fleurs tendres
Et s'étendent plus bas en large nappe d'eau ;
De hautes frondaisons recouvrent les deux rives
Et mirent dans l'azur du lac aux sources vives
Leur image flottante et leur glauque rideau.
Là, règne nn éternel et frémissant murmure.
De sinueux sentiers fuyant sous la ramure
Ont des aspects de sombre et moussu corridor,
Et, lorsque le soleil les frappe et les traverse,
Ses rayons tamisés y font connue une averse
Choir, à travers la feuille, une bruine d'or.
Aucun son étranger ne trouble le mystère
De cet enclos paisible, immense et solitaire;
Et Toreille aux aguets s'efforcerait en vain
D'y saisir un écho de la rumeur humaine :
Sous ces dômes touffus, où seul il se promène,
Le vent seul interrompt le silence divin.
HENRI DRONIOU. 49
Combien de fois j'ai vu, dans le bonheur d'un songe,
S'étaler devant moi le radieux mensonge
De ce paradis sourd, immobile et fermé !
Des massifs de verdure y figuraient des îles.
Quelle majesté douce au fond de ces asiles !
C'est là qu'il eût fait bon de vivre et d'être aimé !
0 le plaisir d'errer par ces calmes retraites,
De sonder du regard leurs profondeurs secrètes,
De sentir enfoncer ses pas dans le gazon
Des talus verdoyants toujours fleuris de roses.
Car jamais les hivers de nos pays moroses
jN 'attristent la beauté de ce clair horizon.
Aux chants plus adoucis de l'oiseau sous la feuille ,
Lorsque la nuit s'avance et que tout se recueille,
Combien j'aurais aimé, plein de fièvre et d'émoi.
Dans les détours connus de ce lieu de délices.
Transformés par l'amour en séduisants complices ,
Combien j'aurais aimé vous voir auprès de moi.
Vous, que je sens mêlée à toutes mes revanches.
Dont les regards de vierge aux teintes de pervenches,
Si fins, si transparents, si limpides, si bleus,
Sont les deux seuls flambeaux qui brillent dans mon ombre,
Depuis que des tourments accumulés sans nombre
Font un ciel de tempête à mes jours nébuleux!
Vers la cime du chêne aux frêles découpures
Aurait monté le cri de nos deux âmes pures.
0 la sérénité des bois autour de nous !
Rien n'y serait venu déranger notre rêve,
Et l'éternité même aurait été trop brève
D'une existence ainsi passée à vos genoux ;
50 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
A VOS genoux de femme , étonnée et ravie
Qu'un homme ait pu songer à faire de sa vie
Une oasis bien close, aux arbres toujours verts ;
L'esprit indifférent à tout ce qui se passe ,
Sans se préoccuper du temps ni de l'espace ,
Les yeux sur un but fixe obstinément ouverts !
Oui, c'est là, dans la paix du parc aux ombres graves,
Qu'il eût fait bon de vivre et d'aimer sans entraves,
Loin du monde, à l'abri de ses complots hideux ;
Sur un épais tapis de lichen et de mousse ,
C'est là qu'il eût fait bon de mourir sans secousse,
Dans les bras l'un de l'autre oubliés tous les deux !
UN VIEUX BOHÈME
CET homme était boiteux, petit, louche et bossu ;
Son nez, se compliquait d'une verrue énorme;
Pas de gnome rêvé qui fût aussi difforme.
D'où venait ce fantôme? On ne l'a jamais su.
Un silence profond laissait dans le mystère
Son passé, cendre éteinte où rien ne remuait.
Sans amis, sans parents, personnage muet,,
Mal accueilli partout, il vivait solitaire.
A quels malheurs son sort tragique était-il du ?
On l'ignorait aussi. Sa laideur était-elle
Une laideur innée ou bien accidentelle?
Personne à ces points-là n'a jamais répondu.
HENRI DRONIOU. 51
Les gamins l'insultaient du nom de vieille bête,
Ou tendaient méchamment, sur sa route, un lacet.
Lorsque, le long des murs, farouche, il se glissait
Roulant comme un crapaud des yeux à fleur de tête.
Loin pourtant de se plaindre, il semblait faire exprès
D'éviter les sergents, donneurs de coups de crosses,
Les tenant pour neveux de ces prévôts féroces
Qui commençaient par pendre et ne jugeaient qu'après.
Ses bras étaient velus comme hi peau d'un singe ;
Une fange durcie enveloppait ses mains ;
Depuis vingt ans, ce gueux, fuyard des grands chemins,
Ignorait la douceur d'être vêtu de linge.
Ce gueux avait sa morgue : il ne mendiait pas.
Tout au plus, en un coin de la sente isolée.
Dévorait-il la grappe ou la pomme volée
Que le sort complaisant jetait devant ses pas.
Il n'avait pas toujours traîné si maigre tripe :
Un tel oubli de soi ne vient pas d'un seul coup.
Mais il préféra fuir et vivre comme un loup
Loin de l'orgueil humain qu'il avait pris en grippe;
Loin de l'orgueil qui rend hypocrite et mauvais ;
Dans l'ère de progrès égoïste où nous sommes.
Onze mots résumant la morale des hommes :
« Faites ce que je dis et non ce que je fais ! »
Trop fier pour s'employer aux besognes serviles,
Et trop infirme aussi, trop vieux, trop repoussant.
Il se dérobait donc aux regards du passant
Et ne s'attardait pas sur le pavé des villes.
52 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Qu'on le crût idiot, je n'en suis pas surpris :
Quolibets et surnoms pleuvaient sur son passage ;
Mais, à regarder mieux les traits de son visage,
Le rictus de sa lèvre exprimait le mépris.
Les maîtres d'ateliers lui refusant leur porte,
Il menait l'existence errante d'un vaurien,
Sans beaucoup s'afl'ecter de ne compter pour rien
Dans ce flot de vivants que chaque année emporte.
Ses haillons recouvraient un homme même gai,
Lorsqu'il se sentait seul sous l'œil de la nature.
Parla lande et le bois marchant à l'aventure
Jusqu'à l'heure où son corps s'allongeait fatigué.
Le vol d'un papillon parmi l'herbe fleurie ,
La course du lézard sur le bord des talus,
Pour alléger sa marche, il n'en fallait pas plus,
Et pour qu'il oubliât sa longue pénurie.
Il est autour de nous de plus horribles maux !
Aucun sot préjugé ne lui forgeait d'entraves ;
Les hêtres fiers, le pin rêveur, les chênes graves,
Pour lui donner de l'omjjre inchnaient leurs rameaux ;
Le nid lui gazouillait sa chanson la plus douce ;
La plaine variait pour lui ses liorizons ;
Le printemps, sous ses pas, déroulait des gazons,
Et, dans la saison froide où la terre est sans mousse,
Combien de fois l'aurore avait réconforté.
Par un jet bienfaisant de sa lumière rouge,
(^e vagabond transi qui n'avait pas un boug-e
Et qui logeait dehors, rhivcr comme l'été !
HENRI D110>'I0U. 53
Oiiaïul le sort envers nous se montre avare et triche
A ce jen de la vie où tout semble incertain,
L'homme est sage qui sait accepter son destin :
Tout le monde ici-bas ne peut pas être riche !
Ce gueux, qui n'eut jamais dans sa poche un écu,
Vivait ouvertement des jours exempts de blâme ,
Et son plus cher espoir était de rendre l'âme
A la face du ciel, comme il avait vécu.
Si sa façon de vivre était une atrophie?
Je laisse au moraliste à décider ce point ;
Mais heureux l'indigent qui possède un pourpoint
Taillé dans le manteau de sa philosophie !
Abdiquons devant lui, bourgeois, notre fierté ;
Ce vieux indépendant n'eût pas troqué sa fange
Contre un habit doré, sachant perdre à l'échange
Ce bien qu'il ne trouvait qu'aux champs : la liberté !
'C^^-',
^> hî---^ '^.,
HIPPOLYTE DURAND
LA BRETAGNE
T |N pays nostalgique où croit la Fleur du Rêve!
U Un sol troué de rocs, tel un pauvre en lambeaux,
Et des oiseaux de deuil, goélands ou corbeaux,
Qui vont en tournoyant s'abattre sur la grève.
De vastes horizons , sous un ciel gris et bas ;
Des landes et des bois qui sont couleur d'automne.
Le vent se lève et court sur la mer qui moutonne ;
Des barques partiront qui ne reviendront pas !
Et , surgissant de terre , un poème de pierre
Yit dans le granit bleu : des dolmens ceints de lierre,
Des donjons que Ton dit de fantômes hantés ,
Des tours , des châteaux forts , des églises sans nombre
Et des cloîtres déserts où sommeillent à l'ombre
Les Reines et les Preux, dans des tombeaux sculptés!
*A>
LÉON DUROCHER
BRETONS TÊTUS
TÉTLs!...Les fils d'Arvor sont têtus: rieû n'enchaine
Leur front que la brise âpre et vierg-e rembrunit ,
Dur ainsi que les flancs robustes du granit ,
Noueux comme l'écorce intraitable du chêne.
Tiens bon! tiens bon, Breton têtu;
0 peuple indompté, race forte ,
Ton vieux tronc n'est point abattu,
Ta vieille souche n'est pas morte...
Dans les chanq^s remués par de vagues frissons.
Les Bretons éblouis par l'aube qui s'allume
Creusent le sol ouvert au germe des moissons
Et poussent en chantant le bœuf pesant qui fume.
Creuse, creuse, Breton têtu;
Du sein de la terre féconde
S'élancera l'épi... Yois-tu
Frémir d'aise sa cime blonde?...
Mais le ciel s'assoupit dans le manteau du soir;
L'automne aux fruits dorés a visité la ferme ,
Et la pomme g-émit sous l'effort du pressoir
Que les vaillants Bretons tourmentent d'un bras ferme.
36 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Presse , presse , Breton têtu :
Verse à gros bouillons le sourire
Du cidre frais dont la vertu
Déborde en rustique délire...
Vive la mer au sein grondeur, au front mouvant.
Et vive la rafale aux éclats de trompette!...
Dans leur hune qui grince et que berce le vent ,
Le col nu, les Bretons insultent la tempête.
Gai matelot, Breton têtu!
Bois l'embrun à pleine narine :
De sel et d'écume vêtu,
Découvre ta fauve poitrine.
Les Bretons , souriant à l'appel du tambour,
Marchent, mêlant à son crépitement sonore
Le pimpant souvenir d'un gai refrain d'amour,
Sous la chaude clarté du drapeau tricolore.
Marche , marche , Breton têtu !
Dans un nuage de poussière
Fais rouler le casque pointu
Dont l'orgueil luit sur la frontière.
De l'aurore au coucher sinistre du soleil ,
Les Bretons lutteront, loin des roses bruyères,
Parmi les fleurs de sang au calice vermeil ,
Le regard étoile du reflet des bannières.
Frappe , frappe , Breton têtu !
Frappe , rebelle à la souffrance :
Frappe!... L'on meurt, jamais battu.
Quand on bataille pour la France.
BERNARD D'ERM
UN SONNET
AMI , tu l'as voulu : je te fais un sonnet.
Rimer quatorze vers! Conçois-tu bien ma peine?
Me voilà du travail au moins pour la semaine.
En y songeant, déjà je me sens frissonner.
Du courage! Cherchons! Pourrai-je moissonner
Quelques mots pas trop creux, quelque parole saine?
Je veux aller au bout... Non! mon ardeur est vaine
Et Pégase a tôt fait de me désarçonner.
La chute était prévue et n'a rien qui m'étonne :
Rimer n'est pas mon fait; je rampe, je tâtonne,
Et pourtant je me mets la cervelle à l'envers.
Mais je ne puis finir, si les rimes fidèles
N'accourent avec toi pour terminer mon vers.
Oh! viens à mon secours, muse des Asphodèles f
o8 LE PARNASSK TIRETON (.OMKA[PnRAIN.
PENDANT UNE HEURE TRISTE
A Henri Droniou.
LORSQUE le désespoir, sous son manteau de givre,
Nous a glacé le cœur; quand le sombre Avenir
Ne montre que chagrins, luttes à soutenir
A l'œil épouvanté qui veut scruter son livre ;
Quand on est las de tous et de tout, qu'on est ivre
De dégoût, et qu'on sent fatalement venir
La haine universelle, avec le souvenir
Des coups injustement reçus!... A quoi bon vivre?
Pourquoi traîner encor cette amère rancœur?
Qu'attendre de la vie et du monde moqueur
Qui promet le plaisir et donne la souffrance ?
Mieux vaut se laisser choir dans l'inconnu béant!...
Salut, dernier refuge, ô Mort, ô Délivrance I
Toi qui seras l'Oubli, peut-être le Néant!
HEKRI FINISTERE
(ADRIEN OUDIN)
AU LION DE BELFORT
(vers écrits a la nouvelle de l'échec de lang-son)
A. M. Auguste Bartholdi.
QUAND le soleil d'avril, luisant sur le grès rose,
Dessine en plein relief tes musculeux contours ;
Quand le sol qu'en flânant la Savoureuse arrose,
Au souffle du printemps rajeunit ses atours ;
Loin de prendre plaisir à ces apprêts de fête,
Ton front parait plus sombre et ton corps plus raidi,
Et tout semble rigide, ô lion, sur le faîte
Où dans Tàpre rocher t'a rivé Bartholdi.
Mais, si les bruits du jour montaient à ton oreille,
Tu frémirais soudain de rage et de douleur.
Et ta voix, dans la nuit, retentirait, pareille
Au sinistre sanglot d'un oiseau de malheur :
— (( Hélas ! gémirais-tu, se peut-il qu'on oublie ?
« Revanche est un vain mot, Quand même un faux dicton !
c( Chez ce peuple léger la haine est affaiblie,
« Et rien ne vibre plus au cri du vieux Caton !
00 LK PARNASSK BRKTON COMTKMPORAIN,
« Delend'i CartJifigo ! (yost Berlin qu'il faut prendre !
u A quoi bon disperser vos forces au Tonkin?
<( L'Allemand qui vous guette est fatigué d'attendre :
u II regarde Paris quand vous fixez Pékin.
(< Delejida Carthagol Contemplez cette engeance
« Accroupie aux genoux du chancelier de fer!
« Avez-vous, dans le sang, éteint votre vengeance ?
(( Ou, damnés de la honte, aimez-vous votre enfer? »
— Arrête : c'en est trop, ta fureur est injuste.
Reste, dans le repos, comme un sphinx^ allongé.
Quand un canonnier pointe ou qu'un tireur ajuste,
La pièce est en état, le fusil est chargé...
Non! nous n'oublions rien! C'est toujours pour la France
Qu'on vainquit à Tunis, qu'on tombe en Orient,
Qu'on luttera partout, avec cette espérance
Que Strasbourg et que Metz attendent en priant.
Nous ne l'acceptons point, ton farouche anathème ;
Le sang qui coule au loin n'est pas un sang perdu.
Qu'importe le Jourdain si, du rouge baptême
Le flot, qui rend la force, est sur nous répandu ?
Laisse tes lionceaux sortir de leur tanière ;
Ils reviendront, grisés par l'horreur du sabbat,
Et te diront : — (( Lion, hérisse ta crinière !
Debout ! rui^is à l'aise, et marchons au combat !
L'INVENTION DU SONNET
L'Amoih, entre deux madrigaux.
De Pau raillait les vers rustiques :
— « Te tairas-tu, dieu des fagots,
« Depuis le temps que tu t'appliques
HENRI FINISTÈRE. Gl
« A moduler sur tes pipeaux,
« Avec des sons mélancoliques,
«■ De monotones bucoliques
« Et de sempiternels rondeaux 1
— « Assez I dit Pan, le front morose.
« Ferais-tu mieux, critique rose? »
L'Amour sourit d'un air moqueur,
Et de son carquois qu'il balance,
Comme un trait le Sonnet, s'élance...
Cupidon est toujours vainqueur.
JANUS
JUPITER a vécu ; l'Olympe est resté vide ;
Le Temps a, de sa faux, touché les Immortels,
Déshonoré leur culte, aboli leurs autels ;
Et Yirg-ile attristé soupire au bras d'Ovide.
Cependant, à qui sait, contemplateur avide.
Repeupler de vivants, cirques, temples, castels.
Un être monstrueux, aux traits sacramentels,
Apparaît, grimaçant, sphinx étrange et livide.
— « Ton nom? spectre. — Janus, homme-dieu, roi latin.
« Paix et guerre, passé, futur, soir et matin,
« Joie et deuil sont unis en mon double visage.
— « Bien : le calcul est vrai, le contraste plaisant.
« Mais pourquoi ne pas faire, humain autant que sage,
« Dans ton masque éternel une part au présent? »
62 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
LA NISMOISE
(sonnet DEDUICT SELONC LE GOUST DES VIEULX FRANHOIS)
A Mme A. B,
COMME Proserpine avant sa destresse,
Comme Hebe, la g-ente aux yeiilx de velours,
Comme Ampliitrite en ses glauques atours,
Comme l'Astarte, tant chière traistresse ;
Comme ung doulx perfum fleurant la tendresse,
Comme ung- oyselet au tems des amours,
Comme ung- guay soleil dorant les beaux jours,
Comme ung pur zepbir, comme une caresse :
Par aiusy vrayment, reluysant dans Fair,
Engeole et seduict vostre soubris cler ;
Dessoubs le visaige on void briller l'ame.
Pour lors, ie me sens tout regoillardi.
Comme ung cliat frileulx ronronne à la flamme,
Chaufant ma Bretaigne à vostre Midy.
FRANCIS FLEURIOT RERINOU
LA MORT D'UN LIGUEUR
LE comte d'Yverlaiid était homme de cœm- ;
Il l'avait bien prouvé dans quatorze batailles,
Où son parti toujours avait été vainqueur.
Or, il lutte aujourd'hui pour la Ligue et Mercœur,
Enfermé dans son vieux chAteau de Cornouailles.
Il a tenu vingt jours contre les Huguenots
Avec deux cents guerriers et d'ardentes prières,
Pointant contre eux ses longs et rudes fauconneaux,
Les criblant de boulets à travers ses créneaux,
De balles, à travers ses fines meurtrières.
Mais vainement l'ardent ligueur a combattu ;
Ses hommes sont tombés et la brèche est ouverte ;
Aucun secours humain du dehors n'est venu...
Ayant fait son devoir, le vieux château s'est tu
Avec ses dix canons coulés en fonte verte.
Gi LE l'ARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ce soir, près des créneaux, Yverland est debout,
Cuirasse au corps, un feutre au front ceint d'une plume.
Les ennemis, nombreux et forts, l'ont mis à bout :
Il a tout employé contre leurs assauts, tout!...
Il regarde le ciel où le couchant s'allume.
Sa jeune femme est là qui contemple, en rêvant.
Son mari brave et beau, comme elle est brave et belle;
Ils se sont épousés six mois auparavant,
Croyant, dans un mirage au charme décevant.
Que la joie ici-bas nous demeurait fidèle.
Mais les instants passaient sans trêve ni merci.
Le comte d'Yverland se tourna vers sa femme
Et dit : « Renée, il faut nous séparer ici !... »
Levant son beau regard par les pleurs obscurci.
Elle lui répondit : « Vous connaissez mon Ame ;
« Yous savez cpie jamais je ne vivrai sans vous ! »
Le jeune et noble comte eut un triste sourire :
« Oui, dit-il, je le sais, vivre ensemble est bien doux;
(( Mais mourir ? Yotre cŒ'ur est-il assez jaloux
« Pour vouloir partager la tombe où Dieu m'attire ?
« Je suis perdu !... Me rendre ou mourir, il le faut :
(( Presque tous mes soldats sont tombés dans la lande.
« Les païens ont la rage au corps et le cœur chaud ;
« Demain, au point du jour, ils tenteront l'assaut.
(( C'est fini!... — « Quel est donc celui qui les commande?
« Révélez-moi ce nom que vous taisez toujours. »
— '( C'est Tanneguy du Ker. .. » Il se fit un silence.
Renée alors revit l'éclat des anciens jours.
Son mépris pour du Ker, et ses nobles amours
Pour Yverland rempli d'honneur et de vaillance.
F. FLEURIOT KERINOU. 6S
Puis du Ker furieux et maudissant le sort,
Se faisant huguenot en haine de Renée...
Or, maintenant, bloquant dans le vieux château fort
Ces deux êtres charmants, il veut les mettre à mort
Pour assouvir Tardeur de sa haine effrénée.
« Écoute-moi, Renée, encor. Tu me connais :
« Pour la gloire et pour toi, souvent, l'àme ravie,
« J'ai des labeurs guerriers endossé le harnais ;
« Mais, plutôt que tomber aux mains du Béarnais,
« Je te le jure ici, je briserai ma vie. »
La jeune femme dit : « Attends encore un peu ! »
— « Non , non , tous les délais expirent à cette heure ;
« C'est fini. Je ne veux pas même faire un vœu.
« Le maitre de la Ligue est non Mercœur, mais Dieu ;
« S'il ne me secourt pas, c'est qu'il veut que je meure. »
Or, au bas du donjon, une porte de fer
S'ouvre en un souterrain secret : « Fuis là, te dis-je.»
La Bretonne hésitait, car son cœur était fier.
Elle porta les yeux sur les champs et la mer,
Comptant sur un secours, espérant un prodige.
Mais elle n'aperçut, au lointain des forêts,
Dont les arbres semblaient comme de noirs fantômes,
Que les chevau-légers, gens d'armes, argoulets,
Dont les piques lançaient de tragiques reflets...
Et de leurs rangs serrés montait le chant des psaumes.
Puis, elle regarda d'Yverland à son tour :
Elle le vit paisible à cette heure suprême,
"Si noble, fier et grand sur cette vieille tour.
Que, méprisant la vie et toute à son amour.
Elle bondit vers lui, criant tout haut : « Je t'aime, »
5
66 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Le Ligueiu' un instant resta silencieux ;
Puis ouvrant les deux bras, il dit : « Viens, mon hermine ;
(( Pour jamais, nous allons nous unir dans les cieux! »
Et l'éclair du bonheur illumina ses yeux,
Quand il tint son trésor pressé sur sa poitrine.
Or, Tanneguy du Ker, environné des siens,
Se tenait comme un tigre à raffut de sa proie ;
Il regardait le haut castel aux murs anciens ;
Puis, parfois, en lui-même il disait : « Je les tiens... »
Et son front trahissait une infernale joie.
Soudain, une lueur monta subitement,
Illuminant les bois et les landes prochaines ;
Elle grandit sublime et rouge en un moment,
Projetant ses éclairs des tours au firmament,
Ecrasant les remparts, déracinant les chênes.
Enfin, un bruit tonna, terrible et destructeur,
Fendant les rocs, gontlant les flots de la mer haute.
Frappant les Huguenots d'une immense terreur.
Du Ker tordit les poings et rugit de fureur :
« Mille enfers ! cria-t-il, c'est le château qui saute ! »
Le lendemain , à l'heure où l'aube prend l'essor.
Furieux d'avoir vu son attente trompée.
Errant par les débris noirs et fumant encor.
Il vit, sous une croix étincelante d'or,
Des cheveux blonds auprès d'une garde d'épée.
lrl^■^ës;|plpw^l||l|p||ll||||||l|ll^f^-^^^
T
r \ { \
MADEMOISELLE ZÉi\AIDE FLEURIOT
IL EST HOUX DE MOURIR
IL est doux de mourir! L'Ange de l'Espérance
Au chevet du chrétien apparaît cahiie et fort.
0 triste humanité ! chante ta déUvrance
Et souris en tomhant dans les bras de la Mort.
Mourir ! c'est déchirer la pesante tunique
Qui captive notre àme en ses épais replis ;
C'est voir se dérouler l'horizon magnifique
Que notre langue infirme appelle Paradis.
Mourir ! c'est voir crouler la cabane d'argile
Où notre être immortel frissonne à tous les vents ;
C'est sentir se briser, comme un cristal fragile , :
Un cœur mortel, tenté de bonheurs décevants.
Mourir ! c'est déployer librement ses deux ailes ;
C'est planer au-dessus de ce terrestre enfer ;
C'est ouvrir son regard aux clartés éternelles ,
Après qu'on a vécu, c'est-à-dire souffert.
68 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mourir! c'est deviner rénigine redoutable
Des jours courts et mauvais que nous avons vécus ;
C'est connaître pourquoi, sur ce monceau de sable,
Ce sont parfois les bons que le sort a vaincus.
Mourir ! c'est retrouver son élément, sa place ;
C'est s'asseoir pour toujours à l'éternel foyer.
Mourir ! c'est rencontrer notre Dieu face à face ,
Et c'est dans l'Infini pour jamais se noyer.
Il est doux de mourir ! L'Ange de l'Espérance
Au clievet du chrétien apparaît calme et fort.
0 triste humanité ! chante ta délivrance
Et souris en tombant dans les bras de la Mort.
DEVANT LE SAINT AUGUSTIN D'ART SCHEFFER
A la Révérendo Mère ***
LA grâce est triomphante , et , par elle dompté ,
Augustin suit Monique aux régions de lumière :
Dieu, l'Amour absolu, Dieu, la Beauté première,
Saisit, dans son élan, ce grand cœur agité.
Et les voici, tous deux, devant l'immensité,
Au bord de cette mer dont la rumeur profonde
Semble un gémissement, comme si, dans cette onde,
Passait en sanglotant la triste humanité !
MADEMOISELLE ZÉNAÏDE FLEURIOT. 69
Sur ces beaux fronts d'élus quelle sérénité !
0 mères, méditez cette leçon sublime :
La prière et les pleurs l'ont repris à l'abîme...
Séparés... puis unis pour une éternité I
Les voilà , savourant leur immortalité ,
Paisibles et rêveurs, affamés d'immuable,
Détournant leurs regards du monde misérable ,
Où tout s'use, où tout meurt, où tout est vanité...
STABAT MATER
(tableau de PAUL DEL A ROC II e)
DEVANT ces yeux sans pleurs et ces lèvres sans cris,
Chrétiennes qui souffrez, étouffez le murmure.
La douleur, la voilà ! la douleur sans mesure :
La souffrance et l'amour divinement compris !
(Les mauvais jours.)
JACQUES 1 LEURY
ROTHENEUF
(fragment)
A ma fille Henriette.
SUR les bords de la Manche, auprès de Saint-Malo,
J'ai placé mon castel au détour d'un ilôt.
La mer, de siècle en siècle, a rongé la falaise
Pour coucher mollement et bercer plus à l'aise
La vague fatiguée aux coups de tous les vents.
Entre deux rocs aigus, quelques sables mouvants,
Sous l'assaut éternel des flots, de la tempête.
Ont fléchi, puis croulé de la base à la tête.
Laissant un grand sillage ouvert au choc des eaux.
Comme un vallon se creuse au pied de deux coteaux.
L'Océan, goutte à goutte, élargit l'ouverture,
Créa le petit havre, orné d'une ceinture
De caps inoflensifs, de pointes, de rochers^
Où l'on voit s'abriter la barque des nochers.
A peine est-ce la mer, c'est plutôt une esquisse,
L'image en raccourci d'un beau lac de la Suisse.
J'ai mis là mon logis coquet, mignon, tout neuf,
Un peu loin du village. Il a nom Rothéneuf.
En face du goulet, sur un terfre, il élève
Ses balcons ajourés qui dominent la grève.
JACQUES FLEURY. 71
L'œil étonné, ravi, tourne et flotte incertain
Sur les brillants tableaux qui parent le lointain.
A l'endroit où la mer dans ses bornes s'irrite,
On voit à l'horizon l'Océan sans limite
Marier ses flots bleus à la voûte du ciel
Et prendre au firmament un baiser immortel.
Le canot du pêcheur sous la voilure blanche
Suit le souffle du vent, se couche sur la hanche,
Pareil à l'alcyon par l'onde balancé.
S'en va de lame en lame à peine cadencé ;
Tandis que du steamer la masse lourde et sombre
S'enfuit et disparait et sème comme une ombre,
Sur l'écume des flots haletants de stupeur.
Les nuages épais de sa noire vapeur.
Sur les eaux étendue, au loin, lile Besnard
Aux assauts de la Manche oppose un fier rempart.
Ce pilier de granit aux flancs nus et sauvages
Rappelle éloquemment la lutte des orages.
A ses pieds dédaigneux, des rocs que les Titans
Dans leur fuite ont laissés pour témoins éclatants,
L'un sur l'autre entassés dans un désordre informe,
Font reculer les flots devant leur masse énorme.
Là, le pic de la Chèvre enfoncé comme un coin
Semble dire à la mer : tu n'iras pas plus loin !
Là, des blondes moissons couvrent la cime altière;
Ici, la lande étale un tapis de bruyère.
Revêt de pourpre et d'or la pente du coteau,
Peint sur le noir rocher les fleurs de son manteau.
(Réveils poétiques.)
FRÉDÉRIC FONTENELLE
(FRÉDÉRIC LE GUYADER)
GLOIRE A LA LANGUE CELTIQUE
Hommage à M. F. -M. Luzel.
LE Celte se parlait, clans sa beauté première,
Sous le ciel d'Orient, d'où vient toute lumière.
Il a couru le monde avec les conquérants,
Il a suivi le flot des vieux peuples errants.
Et fier, libre, invaincu, farouche et solitaire,
S'est fait une patrie aux confins de la terre.
Nul dialecte humain n'est plus noble que lui.
Vieux comme l'homme, il est encor jeune aujourd'hui.
Aussi, quelle vigueur, quelle force est la sienne!
Dans ses virilités, on sent la sève ancienne.
On croit entendre comme un écho souverain
Des peuples qui, naguère, ont vu l'âge d'airain.
Il n'a point la douceur des langues éphémères,
Mais l'accent guttural et dur des langues mères.
Ceux qui l'ont enfanté dans leur cerveau puissant
Etaient d'âpres guerriers et des hommes de sang.
FRKOKRIC rONTKNKLLE. 73
— Non, ce n'est point le chant cadencé de Mireille,
Ce chant sonore et doux qui caresse l'oreille,
Patois charmant des bruns félibres chevelus ,
Né d'hier, et qui, demain, ne se parlera plus.
Le Celte, sans détour, sans vaine fioriture,
Est rude, honnête, franc, brutal. Il est nature.
Homère eût emprunté ses vocables railleurs
Pour outrer les discours des Ajax batailleurs.
Juvénal, pour fouetter les empereurs infâmes ,
Eût pu prendre leçon près de nos vieilles femmes,
Qui , l'écume à la bouche et le sang- dans les yeux.
Font voler l'hyperbole en verbes furieux.
Rabelais , ce (uiulois , amoureux de la Grèce ,
Aurait trouvé chez nous des mots de haulte gresse ,
Des devis pimentés, des farces de conteurs,
Dont il eût enrichi ses livres enchanteurs.
Ah ! cette langue-là ne doit rien à personne !
Depuis quelques mille ans, sou dur accent résonne.
Durant cinq siècles, Rome avec elle a compté.
Et s'est heurtée en vain à son rythme indompté.
Les conquérants Romains, leur orgueil, leur victoire.
Dorment dans le linceul qu'a recousu l'Histoire :
Les Césars ne sont plus, et le latin est mort...
Mais le breton se parle aux rives de l'Armor.
Caprice singulier des fortunes humaines !
Oui, l'écho foudroyant de ces gloires romaines,
La langue des Césars , des Brutus , des Catons ,
Est morte, et nous parlons le celte, nous, Bretons !
0 langue glorieuse ! ô langue maternelle !
Tu semblés, dans les temps, devoir être éternelle:
Victrice des vainqueurs et des invasions ,
Tu peux servir d'exemple aux vieilles nations.
Tu restes réfractaire au mélange des races :
Les avides Romains et les Northmans voraces ,
74 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Les hardis Espagnols , les Anglais ennemis ,
Ont souillé notre sol et ne Tout point soumis.
0 vieille langue ! avec tes allures sauvages
Tu survis aux rochers qui peuplent nos rivages ;
Tu résistes ! mais eux , ces lâches de granit ,
Se laissent entamer par le flot qui hennit ;
Ils s'émiettent, jetant au vent leurs grains de sahle,
Pendant que toi, du moins, tu vis impérissable!
LE COMBAT DE LA POINTE SAINT-MATHIEU
(1513)
HERVÉ de Portzmoguer montait la Cordelière ,
Une frégate à cent canons, fine voilière.
Toute neuve , sortant des chantiers de Morlaix ,
Qui nous coiitatrès cher, mais moins cher qu'aux Anglais. . .
En vain , durant des mois , le vaillant capitaine
Promena dans leurs eaux sa croisière lointaine ,
Et l'on disait déjà partout que Portzmoguer,
Avec son vaisseau neuf, avait purgé la mer.
Quand, un jour, l'amiral anglais se crut de taille
A venir aux Bretons présenter la bataille.
L'endroit de l'Océan où le combat eut lieu
Est terrible : c'était en face Saint-Mathieu ,
A Penn-ar-Bed, qui veut dire Fin de la Terre.
C'est là qu'on rencontra la flotte d'Angleterre,
Au fond, là-bas, devant Brest et son noir Goulet,
Le Toulinguet hurlait, sous la mer qui roulait.
Un gros vent de Noroit, soufflant sa froide haleine,
Arrivait par-dessus Ouessant et Molène.
A droite, l'horizon, comme une ligne en deuil,
Montrait le Raz-de-Sein, ce formidable écueil
FRÉDÉRIC FONTENELLE. 75
Qui berce, à lui tout seul, sous les plis de son onde,
Plus de morts qu'à la fois tous les écueils du monde.
Portzmoguer, carrément, courut droit sur l'Anglais,
Et, sitôt, commença la danse des boulets,
Danse où la Cordelière allait faire merveille
Avec ses cent canons frais fondus de la veille.
Les cent gueules d'airain, par cent sabords ouverts,
A bâbord et tribord balayaient les flots verts.
Or, la bonne frégate, avec quelque imprudence,
Sans compter les Saozons était entrée en danse.
Elle se fit un jeu de mettre au fond de l'eau
Maint petit galion et maint méchant brûlot
Qui voulaient, s'il vous plaît, la trouvant très mignonne,
Caresser de trop près la pimpante Bretonne.
Mais d'autres survenaient , et puis d'autres encor,
Ayant en tète un beau vaisseau chamarré d'or.
Majestueux et haut comme une cathédrale...
Portzmoguer reconnut la frégate amirale.
C'est elle qu'il cherchait! elle était sous ses yeux.
Il se frotta les mains avec un air joyeux.
Bientôt les deux vaisseaux, amenant leur voilure,
S'envoyaient leur bordée à moins d'une encablure.
Et la mer, et le ciel , et la terre d'iVrmor
Furent témoins d'un duel qui fut un duel à mort.
Dieu sait combien de temps les monstres combattirent.
Mais les haines, au feu, s'attisent et s'attirent :
Noirs de poudre , n'ayant plus rien d'êtres humains ,
Tous brûlaient de se joindre et d'en venir aux mains.
Il fut terrifiant, le choc des deux colosses ,
Quand on vit, allongeant leurs gueules de molosses,
La Cordelière et la Régente bord à bord.
Alors, on s'empoigna de sabord à sabord,
Tuerie à bout portant, sauvage et meurtrière...
Portzmoguer, l'œil à tout, sur le gaillard d'arrière,
Rayonnait... Tout d'un coup, pâle, il crispa ses poings :
La Cordelière était en feu sur quatre points!
70 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Son beau vaisseau tout neuf se chang-eait en fournaise!
Un hourrah retentit sur la frég-ate anglaise
Qui, triomphante alors, dégag-ea son avant,
Recula , se couvrit de toile , et prit le vent.
0 rage ! la Régente était victorieuse !
La voilà qui partait , superbe et glorieuse !
Et le vaisseau de la reine Anne, tout fumant,
Inutile, était là, qui brûlait lentement...
Allons , si la victoire aux Bretons est ravie ,
L'honneur est sauf ! Et Brest est tout près... C'est la vie...
— La vie?... Il s'agit bien de cela! Portzmoguer
Voyait , voyait, là-bas, gagnant la haute mer,
La Régente à ses mâts déployant l'oriflamme...
Et Portzmoguer sentait qu'elle emportait son âme !
Ah! ce ne fut pas long! — « Toutes voiles dehors! »
S'écria-t-il , « et droit sur les Saozous ! » Alors ,
L'Anglais vit, sur la mer, grandir la Cordelière.
C'était , nous l'avons dit , une riche voilière ,
Servie avec amour par ses bons matelots.
Elle ouvrit sa voilure immense sur les flots.
Sa coque tout en feu, qui craquait dans les flammes.
Sinistre, bondissait, ensanglantant les lames...
Tragique et prompt, le choc inéluctable eut lieu.
Effroyable d'horreur, la Cordelière en feu
Mordit de ses grappins les flancs de sa rivale.
Et la flamme , tordant ses nœuds dans la rafale,
Allumant un brasier immense sur les eaux,
S'éleva, monstrueuse, autour des deux vaisseaux.
0 mânes des Surcouf et des Bisson stoïques!
0 soldats de la mer! ô marins héroïques!
]\ul de vous n'est plus grand que le grand Portzmoguer
Qui, tranquille, attendant la mort, l'œil calme et fier,
La reçut dans un coup de foudre grandiose.
Emporté comme un Dieu dans une apothéose !
{La Reine Anne, XI.)
FRANCIS GAHEL
(EDMOND ESTEVE)
COUCHER DE SOLEIL
PAS un souffle dans l'air : nulle feuille ne houg-e.
Au-dessus des grands bois flotte une frange rouge.
La route est grise, et court à travers les guérets.
Tout le long de la haie, un vieux, aux traits tirés
Par soixante dix ans de misères obscures,
Et que l'âge, doublé des fatigues trop dures,
A courbé presque en deux sur son bâton de houx,
Chemine lentement, en tremblant des genoux.
Il ne regarde pas les cieux, où la lumière
Décroit, tant il connaît leur splendeur coutumière,
Tant il a vu descendre et mourir de soleils.
Et tandis qu'il s'en va, parmi les champs vermeils,
Vers l'horizon de pourpre où l'astre en feu se plonge,
Son ombre sur le sol est plus pâle, et s'allonge.
GUSTAVE GEFFROY
LES CANCALAISES
^
TOMS ne ressemblez pas, pêcheuses de Cancale,
Aux portraits mensongers sig-ués Feyen-Perrin,
Habitant sans le voir le dur pays marin.
— Nul n'a su pénétrer votre race locale.
Vous ne possédez pas la grâce musicale,
L'allure de théâtre et les rubans au rein.
Vous entrez dans la tangue en sortant du purin,
Vous fleurez le limon, le goudron de la cale.
Votre démarche est lourde, et vous marquez le pas
Dans des bottes de bois, massives et boueuses.
Ainsi vous marcherez jusqu'à votre trépas.
Pourtant, en vous voyant, les tristes, les rieuses,
Le Désir curieux cherche des amoureuses
Dans vos corps d'ouvriers aux farouches appas !
MADEMOISELLE LOUISE GIQLEL
BRETAGNE ET PROVENCE
4 m
D
mes pieds, Tocéan qui mugit et qui gronde,
'écume recouvrant les rocs amoncelés;
Sur ma tète un ciel sombre, où courent affolés
De grands nuages noirs... et le fracas de Tonde
Mêlant au bruit des vents ses appels désolés...
La Torche de Penmarcli s'allongeait menaçante;
Au loin j'apercevais l'Anse des Trépassés;
Et sur le bord des flots je croyais voir dressés,
Leur long suaire au vent, la face grimaçante.
Tous les morts d'autrefois, aujourd'hui délaissés!
Et pourtant je rêvais du soleil de Provence,
Revêtant les fruits d'or de ses rayons de feu ;
Je cueillais ses lilas, et j'aspirais d'avance
Ses enivrants parfums, sous un ciel toujours bleu.
80 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN,
l:lt là-bas, la forêt agitait avec rag-e
Ses grands bras décharnés tordus par les autans;
Et, comme pour braver leurs efforts insultants,
Le chêne, plus altier, luttait avec l'orage
Et semblait se grandir des injures du temps.
Parfois un rouge éclair embrasait tout l'espace,
Eclairant des forêts les mornes profondeurs;
Et je croyais encore, à ses vives lueurs.
Apercevoir dans l'ombre un druide qui passe,
Pour offrir au dolmen du sang avec des pleurs.
Et pourtant je rêvais du soleil de Provence,
Revêtant les fruits d'or de ses rayons de feu;
Je cueillais ses lilas, et j'aspirais d'avance
Ses enivrants parfums, sous un ciel toujours bleu.
Sur la lande déserte, au bruit de la rafale,
Accouraient à l'envi, portés par l'ouragan :
Le nain, le poulpiquet, le sombre Korrigan ;
Et tous, s'entrelaçant dans la ronde infernale,
Jetaient ces cris aigus dont rugit l'océan.
Partout, autour de moi, quelle étrange harmonie!
Tout a pris une voix : le vent, les rocs, les flots. . .
Tout vibre. Tout se tord. Ce sont de longs sanglots:
Des gémissements sourds; une plainte infinie. . .
On dirait que tout va rentrer dans le chaos.
Et pourtant, moi, je rêve au soleil de Provence,
Revêtant les fruits d'or de ses rayons de feu;
Je cueille ses lilas, et j'aspire d'avance
Ses enivrants parfums, sous un ciel toujours bleu!
iî3*
.E^g^P^^^^q
OLIVIER DE GOURCUFF
LA MORT DE LEONARD
(Drame. Scène IV, fragment.)
Léonard
DÉLIE, écoutez-moi. Je viens de faire un rêve :
A notre sort ingrat Dieu donnait une trêve ;
Nous étions au pays ; un repos enchanteur
Baignait tous les objets ; nous gagnions la hauteur
D'où l'œil s'égare au loin sur d'immenses vallées
Ceintes de bois fleuris, de verdure drapées;
Une source coulait dans un enfoncement ;
Les bananiers, avec un doux frémissement,
Au-dessus de l'eau vive inclinaient leur feuillage;
Je découvris, blottie à demi sous l'omlirage,
Une cabane, où le rêveur et l'amoureux
?s''avaient qu'à se laisser vivre pour être heureux;
Le charme et la fraîcheur de ce site champêtre.
D'une joie inconnue inondaient tout mon être.
On eût dit le climat de France, et le raisin
Y mûrissait entre la rose et le jasmin.
Le logis convenait à notre lassitude,
Vous faisiez l'ornement de cette solitude ,
Je vous y cachais comme un ladre son trésor.
C'était la Thessalie et son bel âge d'or.
82 le parnasse breton contemporain.
Délie
Laisse chanter ta muse, ù rêveur, ô poète,
Les chants apaiseront ton angoisse nuiette;
Caresse ta chimère adorable et revois
La campagne natale accourue à ta voix.
Te souvient-il aussi d'une double colline,
Qui, par de doux sentiers, jusqu'au fleuve s'incline?
C'est l'automne déjà, des nuages très bas
Flottent à l'Orient dans un fond de lilas.
Sur le seuil égayé d'une maison rustique
Tu m'attends; le parfum de ta chère Amérique
S'exhale de ce lieu tout voisin de Paris ;
Jusqu'aux noms étrangers que les arbres ont pris.
Tout à l'heure, abordant à ce lointain rivage,
L'imagination refaisait le voyage ;
A travers les grands bois, à l'ombre des palmiers,
Sur ton front pur neigeait la fleur de nos pommiers.
SUR UNE VIEILLE PENDULE
A Araïaiid Silvestre.
DANS un réduit hospitalier
J'ai revu la vieille pendule
Qui, de son tic tac familier,
Berça mon enfance crédule.
Elle est carrée, et toute en bois,
Elle est un peu lourde et massive ,
Et vous la diriez, cluKjue fois
Qu'elle sonne , ;\ moitié poussive.
OLIVIER BK GOUHCLFF. ^^
Son mouvement est rauque et fort ,
Il moud des sons comme une roue
De moulin qui grince, ou l'effort
D'un vieux coq qui chante et s'enroue.
Sonnant, marchant à pas comptés,
L'utile et l'honnête servante
Dédaigne les mondanités
D'une musique trop savante.
A nos yeux seuls gardant son prix ,
Elle n'a, l'humble ménagère,
Rien de l'article de Paris,
Rien du bibelot d'étagère.
Et l'épais soudard allemand.
Le pillard aux longues oreilles ,
L'eût exilée obscurément;
Il prisait pourtant ses pareilles
Construite avant quatre-vingt-neuf,
Elle vit, ro])uste et valide ,
La liberté mourir dans l'œuf ;
Tout croulait : elle était solide.
Elle ignora l'amour léger;
La marquise, en poudre et dentelle,
Ne lut pas l'heure du berger
Sur son cadran. Cependant elle
Scanda d'un rythme cadencé
Les contes de ma mère l'Oie,
Les histoires du temps passé ,
Que, pleins de terreur ou de joie,
LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Yous écoutiez, les chers petits.
Elle sonna de bonnes heures
A ceux de nous qui sont partis
Vers des sphères supérieures.
Ce souvenir triste et discret,
Elle en conserve quelque chose,
Comme traîne au fond d'un coffret
Le subtil parfum d'une rose.
Voilà pourquoi je l'aime bien.
Comme un gars sa douce jolie,
Ce meuble d'honneur et de bien,
La pendule, ma vieille amie.
LA JOIE DU SACRIFICE
(sonnet imité de l'anglais)
A J.-G. Ropartz.
NOTRE double destin cache un cruel mystère;
Amie, il est écrit : ce fiel, ils le boiront.
Et si mes pleurs brûlants ne baignent votre front,
C'est vous qui pleurerez, à jamais, sur la terre.
Je m'ofire, au lieu de vous; à vivre solitaire,
A gravir les sentiers où mes pieds saigneront :
Vous ne connaîtrez pas la blessure ou l'affront.
Je gémirai tout seul, ivre de joie austère.
J'aurai cette douceur, dans mon plus dur tourment,
De vous savoir par moi libre éternellement.
Et, quand j'épuiserais la dernière amertume,
OLIVIER DK GOURCUFF. 85
Mon cœur de son chagrin ne voudrait pas guérir ;
La peine deviendrait sa joyeuse coutume :
Il souffrirait, pour vous épargner de souffrir.
GUILLAUME DE SALLUSTE , SEIGNEUR
DU BARTAS
ILLUSTRE POÈTE DU XVI" SIÈCLE
AUX combats il frappait, et d'estoc et de taille ,
Pour son roi, pour sa foi; rentré dans son manoir,
Il montrait au Bartas, tout fier de le revoir.
Son front que balafrait une nouvelle entaille.
Quel transport éclata quand Dieu fit entrevoir
Au poète cherchant des héros à sa taille,
Et courant au Parnasse ainsi qu'à la bataille ,
L'œuvre des sept grands jours, jusqu'au septième soir!
Comme l'àme , il avait la plume bien trempée ;
Une main sur la Bible et l'autre sur l'épée.
Il alignait ses vers, tels de lourds escadrons;
Et mêlant la Genèse aux fastes de la France,
La fanfare au cantique et la harpe aux clairons ,
Il eut pour chant du cygne un hymne d'espérance.
RAOUL DE LÀ GRASSERIE
STYLE
IL est ciselé , mais dur.
Le vers où j'ai mis mon âme ;
Le fer se forge en la flamme,
On trempe souvent sa lame ;
Il souffre, pour qu'il soit pur,
Le vers où j'ai mis mon âme.
C'est l'amour qui le trouva,
La colère le travaille ;
Il fuit la rime canaille ;
Afin qu'il vibre et qu'il vaille ,
Si la pitié le rêva,
La colère le travaille.
Il a vécu son printemps
Et fleuri quelque fleur sombre ;
Maintenant c'est de son ombre
Que la frondaison l'encombre;
Ses fruits lui viennent du temps
Qu'il fleurit quelque fleur sombre.
RAOUL DE LA GRASSKRIE. ^7
Il se tourmente enfermé
Dans une maison étroite,
Son allure est raide et droite,
Et sa strophe maladroite ;
La tristesse l'a semé
Dans une maison étroite.
Quand l'homme vient à passer,
Quand vient à passer la femme ,
Le vers , sous le souffle infâme ,
Se referme dans mon àme ;
La page veut s'effacer
Quand vient à passer la femme.
Sous un doigt frêle et connu
Seulement, il se réveille,
La rime apparaît vermeille,
La voix chante ù mon oreille ;
Quand le doigt est revenu
Seulement il se réveille.
La haine l'éveille aussi ,
L'indignation profonde ;
D'abord il gémit et gronde.
Puis maudit et crie au monde ,
Quand un crime a réussi,
L'indignation profonde.
ITélas I il ne pleui-e pas ,
11 a perdu la tendresse ,
Le chagrin même le laisse ,
La colère est sa maltresse ;
De la suivre il est bien las ,
Il a perdu la tendresse.
88 LK l'ARNASS?: TIRKTON TONTEMPORAIN.
Mais il est solide et dur,
Le vers où j'ai mis mon Ame ;
Il brûle, quoique sans flamme..,
Si tu viens toucher sa lame ,
Tu sentiras qu'il est pur,
Le vers où j'ai mis mon âme.
LE MONT SAINT-MICHEL
Qu'il soit Breton, qu'il soit Normand, que Dieu l'apporte,
Ou Satan, ou l'archange un soir venu du ciel.
Qu'il soit bon ou maudit, voyageur, que t'importe I
C'est le géant en mer, c'est le mont Saint-Michel.
Il habite et remplit seul l'ilot qui le porte,
Les pieds pris dans le roc, la main sur un autel,
Et le front découvert, les yeux vers l'immortel,
Comme un homme de pierre où l'âme seule est morte.
Il vit dans la marée et les sables mouvants,
Il écoute le flux et le reflux des vents.
Il aspire l'odeur croissante de la houle.
Les hommes le voyant captif l'ont tout sculpté,
Ont ouvert sa poitrine, en son cœur habité ;
Le géant laisse faire et jamais ne s'écroule.
EMILE GRIMAUD
LA CONSOLATRICE
LE front baissé, pâle, assombri,
J'allais sans force, sans courage,
Et sur mon cœur endolori
S'étendait un épais nuage.
Cependant l'été radieux
Devant moi déployait ses charmes.
Qu'étaient ses charmes pour mes yeux.
Où je sentais sourdre des larmes ?
Car les hommes m'avaient blessé ,
Blessé jusqu'au fond de mon âme.
Pour refaire le sang versé ,
Ah ! qu'il fallait un fort dictame !
Je craignais qu'il n'existât pas.
Dans la cité, dans la campagne,
Mort vivant, je traînais mes pas,
Quand tu vins, ù douce compagne.
90 LE PARLASSE TIRETON rONTEMPORAIN.
Messagère du paradis,
Souveraine consolatrice,
Tu vins, ô Muse, et tu me dis :
« Dieu veut que ma main te guérisse.
« Donne un grand exemple à tes fils,
« Et quand la douleur va t'abattre,
« Jette un coup d'oeil au crucifix :
(( Tu n'auras plus peur de combattre.
« Ceux que tu croyais tes amis
« T'ont trahi d'une indigne sorte?
u Eh bien ! plains-les du mal commis ,
« Puis que ton aile au ciel t'emporte ;
« Aile ardente que si souvent
« Tu te plaisais, dans ta jeunesse^
u A faire bercer par le vent...
« Il faut que ce doux jeu renaisse.
« Il faut, mon poète endormi,
(( Que ton lourd sommeil se secoue ;
(( Il faut que ton cœur raffermi
« Plane et chante, loin de la boue.
« Dieu ne fait pas briller en vain
« Son soleil, ses astres, ses roses...
(( Que l'aspect de l'œuvre divin
u Ecarte tes pensers moroses.
(( Dis-nous le bien, peins-nous le beau.
« La Vendée est là qui t'appelle :
« Tu n'as pas tiré du tombeau
« Tout ce (pii l'a faite immortelle.
EMILE GRI.MAUD. 91
« Tu souffres? Combien plus que toi
(( Souffrirent ses brigands sublimes !
(( A la leur rallume ta foi ;
« Ce sont tes aïeux , ces victimes ! »
0 Muse sainte, je te crois :
Mon àme est de force inondée.
Votre enfant va porter sa croix,
Comme vous, chrétiens de Vendée !
■ , „, , ,.„„„.TT ,.^...^ ^ „ — '-,Mr-i..ri-i.trtiri. "• •-'■f— --Tr^T'ir-ytuTiBs^rsi
FÉLIX HÉMON
FEMME ET SOEUR
A mes sœurs Marie et Louise.
1EQUEL a le plus de douceur,
J Le nom de sœur ou bien de femme?
Le nom de femme, ou bien de sœur.
Lequel a le plus de douceur?
Répondez, s'il vous piait, mon âme :
Lequel a le plus de douceur,
Le nom de sœur ou bien de femme?
La sœur pour elle a le passé,
Dont si douce est la souvenance,
Cher trésor, longtemps amassé!
La sœur pour elle a le passé ;
Le souvenir vaut Tespérance.
La sœur pour elle a le passé,
Dont si douce est la souvenance.
FÉLIX HÉMON, 93
Que ravenir est séduisant!
Mais, le passé, qu'il a de charmes!
Dans son mirage éblouissant.
Que l'avenir est séduisant!
Mais s'il n'apportait que des larmes?
Que l'avenir est séduisant !
Mais, le passé, qu'il a de charmes!
Ce cher passé, je le revois
Avec sa joie ou sa tristesse.
Devant mes yeux ravis, parfois.
Ce cher passé, je le revois ;
En moi chante alors ma jeunesse.
Ce cher passé, je le revois
Avec sa joie ou sa tristesse.
Je revois les jours envolés,
Nos promenades et nos fêtes.
Aux courts moments d'ennui voilés,
Je revois les jours envolés.
Où bouillonnaient nos jeunes tètes.
Je revois les jours envolés,
Nos promenades et nos fêtes.
Comme on marchait, aventureux.
Dans la lande ou dans la bruyère !
Le long des profonds chemins creux.
Comme on marchait, aventureux!
Comme l'àme était jeune et fière!
Comme on marchait, aventureux.
Dans la lande ou dans la bruyère!
0-4 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Aux brises folles de la mer
Comme flottaient nos chevelures!
Comme tout souvenir amer
Aux brises folles de la mer
Fuyait, sans laisser de souillures!
Aux brises folles de la mer
Comme flottaient nos chevelures !
L'amitié fait place à. l'amour :
C'est une loi de la nature.
Chaque bonheur vient à son tour ;
L'amitié fait place à l'amour,
Mais, Dieu merci, l'amitié dure.
L'amitié fait place à l'amour :
C'est une loi de la nature.
Je ne veux pas choisir entre eux :
Le choix serait trop difficile.
C'est le plus sûr pour être heureux;
Je ne veux pas choisir entre eux.
Aimer sans choix est si facile !
Je ne veux pas choisir entre eux ;
Le choix serait trop difficile.
Lequel a le plus de douceur,
Amour, amitié, sœur ou femme?
Amour, amitié, femme ou sœur,
Lequel a le plus de douceur?
Répondez, s'il vous plait, mon àme :
Lequel a le plus de douceur,
Amour, amitié, sœur ou femme?
>u
13^
EUGENE IIERPIN
MA DERNIEIŒ VALSE
A
BANDONNÉE 611 SOI! fillure paresscuse,
iV Avec de grands yeux bleus, un sourire charmant,
C'était la séduisante et divine valseuse
Que Ton aime, en ses bras, enlacer tendrement.
La danse finissait. La cadence berceuse
Arrêtait des danseurs le doux envolement,
Mais sa lèvre toujours restait silencieuse
Et toujours son œil ])leu se baissait chastement.
Et moi, comme enivré de sa grâce ingénue,
Pour la charmer, trouvant une verve inconnue,
Dans l'espoir d'un regard vainement épié,
Je la reconduisais déjà vers la banquette,
Quand elle, me quittant, radieuse et coquette :
« Prenez garde, Monsieur, vous m'écrasez le pied! »
iiL
ë&
rïi;firrinTriinTi^:''li%?^^
MADAME SOPHIE HUE
JEUNE FAMILLE
A M. Louis Tiercelin.
ILS sont quatre : le point de mire
De tous les yeux sur leur chemin ;
Ils vont se tenant par la main,
Et sans savoir qu'on les admire.
Boutons ensoleillés, fleuris
A la fois dans la même coupe,
Ils sont quatre : un ravissant groupe
De petits Bretons de Paris.
Ils ont bu l'air pur de la grève.
Leur flottante auréole d'or
Semble s'éparpiller encor
Au vent marin qui la soulève.
Ils sont quatre : on en voudrait dix,
Tant ils sont charmants. On devine
Déjà l'étincelle divine
Dans leurs yeux bleus de Paradis.
MADAME SOPHIE HUE. 97
Leur regard est une caresse ;
Leur sourire un rayon. Je crois
Que jusqu'en les cœurs les plus froids
Ils feraient germer la tendresse.
Quelle couronne, ami, vous font
Ces chérubins aux blondes tètes,
Aux lèvres roses toujours prêtes
A vous mettre un baiser au front !
Ils sont quatre. La fraîche ombelle
De nos aubépines des bois
Pour le plus ^ieux n'a que sept fois
Refleuri dans l'herbe nouvelle.
Sur le même éclat velouté,
La même grâce printanière,
Chacun d'eux fait à sa manière
Des variantes de beauté.
Ils ont le charme irrésistible,
Le rire joyeux et si pur
Qu'il semble venir de l'azur;
Ils sont l'innocence visible.
Que ne puis-je dire : Ils sont miens !
Et comment vous les chanterai-je .^
Ce sont des amours de Corrège
Et ce sont des Anges Gardiens.
On n'aperçoit pas l'aile blanche.
Le jour repliée à leur dos.
Qui, tous les soirs, sur vos yeux clos
Mystérieusement se penche,
98 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Et, ne les rouvrant qu'à demi,
Amène en strophes cadencées
Les hautes et chastes pensées
Au chevet du père endormi.
Je leur garde un souvenir tendre,
Persistant ainsi qu'un parfum ;
Si je pouvais en choisir un,
Je ne saurais pas lequel prendre.
Ecrivez des vers triomphants,
Désespérez les jaloux blêmes ;
Le plus beau de tous vos poèmes
Sera toujours vos quatre enfants.
LE VIEUX BRETON DE PLOUGASTEL
A M. Charles du Couédic.
CHEVEUX blancs, bras nerveux, la taille droite et haute
Sous la veste de drap bleu ciel,
Il bêchait vaillamment ses fraisiers sur la côte,
Le vieux Breton de Plougastel.
Son arpent s'allongeait eil pointe au fond d'une anse,
A côté d'un bateau pêcheur ;
Le soleil y versait à pic sa flamme intense,
Le vent du large sa fraîcheur.
Et je le regardais, assise sur la route :
La sueur perlait à son front,
Mais il ne sentait pas la fatigue, sans doute,
En songeant aux fruits qui viendront.
MADAME SOPHIE HUE. 99
Joyeux, il murmurait, dans sa langue rustique,
Aux sons heurtés et rocailleux,
Je ne sais quel refrain de sône ou de cantique
Qu'avant lui chantaient les aïeux.
Certes, il ignorait les châteaux en Espagne,
Hantés par de troublantes voix ;
C'était. un vieux Breton de la vieille Bretagne,
Costume et cerveau d'autrefois.
Son univers tournait autour de l'espérance
Ou de la perte d'un écu ;
Dans un contentement fait de son ignorance.
Il vivait sans avoir vécu.
Il ne se doute pas que l'ancien axe Jjouge,
Pauvre vieux!... Mais je vis soudain,
A sa veste terreuse, un bout de ruban rouge
Qui le vengea de mon dédain.
Il avait, ce bêcheur, bien des jours à la ronde.
Navigué partout sous le ciel.
Sans avoir trouvé rien, dans l'examen du monde.
Qui fût plus beau que Plougastel ;
Que son clocher natal doré de lichen jaune
Et de rayons, sur le coteau :
Voix chère de l'église, où le bon saint Jean trône
En veillant sur les ex-voto ;
Que ses talus couverts de digitales roses.
Où le vent salin mêle aux fleurs
Des parfums de varech, jaseurs et pleins de choses
Que le vent ne dit pas ailleurs ;
100 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Que ses horizons gris, changeants comme la vague
RecueilHs et mystérieux,
Dont, sans qu'il sût pourquoi, la souvenance vague
Tout à coup lui mouillait les yeux ;
Que son champ, qu'il aimait avec idolAtrie,
Son champ hlauc de neige ou vermeil :
Blanc (le neige, au printemps, sous la fraise fleurie :
L'été, sempourprant au soleil.
Aussi, quoique resté marin en chaque fihre,
Epave du vaste océan,
Yite, dès que l'Etat l'eut enfin laissé libre,
Il s'était refait paysan.
Col bleu, sifflet d'argent, doubles galons aux manches,
Qu'il portait fièrement là-bas.
Sur les quais populeux et les flottantes planches,
]\on, il ne vous regrettait pas!
Malgré le poids de Fâge et les heures mauvaises,
Il était content de sa part :
Il vivait près des flots, en cultivant ses fraises,
Toujours prêt pour le grand départ.
Quel secret as-tu donc, vieille terre celtique.
Et quel philtre étrange, dis-moi,
Pour verser à tes fils, de race granitique,
Un si profond amour de toi,
Qui les tient à l'abri de l'ambition vaine,
Agenouillés devant l'autel.
Et leur fait les bras forts, l'Ame haute et sereine
Du vieux Breton de Plougastel !
MADAME SOPHIE HUE. 101
LES CLOCHES
(légende Df PAYS DE TRÉGUIER)
LA voix pieuse, la voix sainte
Qui s'élevait joyeusement,
La voix des cloches s'est éteinte
Dans un funèbre tintement.
C'est le temps douloureux, la lug'ubre semaine
Où s'émut la nature, où l'on vit autrefois
L'Homme-Dieu, se livrant à la souffrance humaine,
Pour l'homme expirer sur la croix.
Les cloches se sont envolées ;
Les clochers partout sont déserts.
Jusqu'à Rome elles sont allées
Par le grand chemin bleu des airs.
Leur foule obéissante à la Ville Eternelle
Mystérieusement va se faire bénir,
Lourdes cloches d'airain à qui Dieu donne l'aile
Pour aller et pour revenir.
Elles vont. Rien ne les arrête,
Ni l'ouragan torrentiel.
Ni la montagne à haute crête.
Elles vont, servantes du ciel.
Les anges, au départ, veillent à leur toilette ;
Leur robe de baptême en dentelle et lampas
Les couvre de nouveau, rajeunie et complète,
Robe que les ans n'usent pas.
102 LE TARMASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Les cloches se sont envolées ;
Les clochers partout sont déserts.
Jusqu'à Rome elles sont allées
Par le grand chemin bleu des airs.
Les enfants de Tréguier, en Bretagne, heureux âge !
Tout joyeux lorsque vient le moment solennel,
Pour voir le défilé des cloches en voyage,
Grimpent au tertre Saint-Michel.
Ne dites pas que c'est chimère,
Que les cloches, on le sait bien.
Malgré des contes de grand'mère.
N'ont pas ce vol aérien !
Le cortège attendu jamais ne se dérobe
Aux regards enfantins, naïvement pieux ;
Et pour les voir passer avec leur belle robe.
Il suffit de fermer les yeux.
LOUISE D'ISOLE
(MADAME RIO M)
EL/^
Sous le ciel du désert aux rayons aveuglants,
Elie, à bout de force et marchant à pas lents,
S'écriait : « De mes jours les sources sont amères;
Je ne suis pas meilleur que l'ont été mes pères.
Non, Seigneur ! Détachez mon âme de mon corps,
Je n'irai pas plus loin... Bienheureux sont les morts ! »
Sous un genévrier il abrita sa tète,
Croyant entendre au loin comme un bruit de tempête,
Quand le Très-Haut, portant l'ombre pour pavillon.
Passa dans le nuage et dans le tourbillon.
Un long" frémissement ébranla les montagnes ,
Les cèdres étonnés tremblaient dans les campagnes,
Et le Prophète aussi disait dans son effroi :
« As-tu vu le Seigneur? Tempête, réponds-moi !
Dites, le portez-vous, feux d'éclair et de foudre ;
A-t-il déjà réduit les deux pôles en poudre ?
Ce tremblement terrible et ce souffle, est-ce lui?
Verra-t-on le soleil plus pâle qu'aujourd'hui ?
Parlez, fiers éléments, répondez au prophète. »
Eclatant à ces mots, les voix de la tempête,
toi LE PARNASSE nRETON CONTEMPORAIN.
Les quatre vents du ciel et les éclairs de feu
S'écrièrent : « Mortels ! nous n'avons pas ton Dieu ! »
Élie, en répétant sa plainte lamentable,
Roulé dans son manteau, s'endormit sur le sable.
Ses esprits sont frappés d'une morue langueur ;
Il ne sent plus sa force et plus battre son cœur ;
L'àme a brisé le corps. Qhuiud tout à coup un ange,
Montrant un pain divin, lui dit : Approclie et mange.
Honte dans Israël à (pii peut sans rougir
Avant la fm du jour se coucher pour mourir,
A qui laisse la vie et sa coupe encor pleine,
Gage de lâcheté devant la race humaine.
Tu tombes dans l'arène avant d'avoir conquis,
Quand aux morts seulement le repos est acquis.
Rejette loin de toi les plis de ton suaire,
Dépouille ta fail)lesse en te levant de terre ;
Allons, debout, et marche ! Au sortir de ce lieu
Tu vas trouver Iloreb, la montagne de Dieu !
Ne crains rien, monte encore, et sur lardente roche
Le Seigneur te dira : Je t'attendais, approche !
L'l^:a YPTIENNE MOURANTE
Aux dieux de l'A menti, dieux du ciel funéraire,
J'appoi'te j)our oll'r;inde un bouquet de Lotus.
Que les yeux «l'Osiris et le disque solaire
Soient tracés près de moi. sur les longs papyrus.
Je vois la mort venir et j iisj)ire à lit tombe;
Préparez le natriim et h's parinms Itrùl.uits,
('ar déjiV siu' mon srin ma tète (pii retondre
Sent du dernier sommeil les songes accablants.
LOUISE d'isolé. lOo
La vie a cepeudant laissé sa signature
Sur ma lèvre encor rouge ; oruez-nioi de bijoux ;
Aux profanes regards cachez ma sépulture ;
J'appartiens désormais au silence jaloux.
Emprisonnez mon corps dans le fin lin d'Egypte;
Mettez des chaînes d'or à mes pieds, à mes bras,
Et puis, sur les parfums, vite fermez la crypte,
Afin qu'une autre vie en moi ne rentre pas I
A LA MÉMOIRE DE LOUIS GÉHENNE
LE temple est plein de fleurs ! des fleurs, partout des fleurs
C'est un printemps fauché ! des rayons et des pleurs I
Un glas sonne, et pourtant, c'est une apothéose :
Il est mort à vingt ans, pour la France^ à Formose!
Héros, fils d'un héros, il voit sa mère en deuil
Se pencher lentement vers son jeune cercueil.
Mère qui le berças dans ta jeunesse en fête,
Laisse pleurer ton cœur, mais relève la tète;
Tu nous gardes des fds pour l'heure des grands jours;
Nous ne subirons pas des défaites toujours.
Taisez-vous, chants des morts! C'est une apothéose :
Il est mort à vingt ans, pour la France, à Formose!
La mère, à l'œil rougi qui vient d'étinceler.
Se voile et sort du temple ; on n'ose lui parler,
Mais la foule s'incline et s'ouvre devant elle :
C'est la Patrie en deuil, c'est la fleur d'immortelle !
Qu'importe si, là-bas, ton lils est sans tombeau?
Le ciel s'ouvre à celui qui défend son drapeau.
106 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Le drapeau, c'est la foi, le serment, l'espérance,
Les aïeux, le foyer ; le drapeau, c'est la France I
Et quand le soldat meurt loin du pays et seul,
Il a tout, quand il prend le drapeau pour linceul.
Ne sonnez plus, ô glas, c'est une apothéose !
Il est. mort à vingt ans, pour la France, à Formose
AU CANADA
0 Canada français, perle du Nouveau Monde,
Toi qui fus notre enfant, espère en l'avenir;
Chez nos esprits fougueux la mémoire est profonde,
Et nous n'avons jamais perdu ton souvenir.
Nous savons que, malgré le pouvoir qui t'oppresse,
Tu gardes notre empreinte avec un soin jaloux,
Et puisque sur ton front brille encor la jeunesse.
Tu dois avoir aussi l'espérance : attends-nous !
A notre Alsace en deuil, comme à notre Lorraine,
Cherchant à s'échapper des serres du vainqueur,
Demande si le temps peut glacer notre veine.
Si l'ombre de l'oubli peut couvrir notre cœur.
Vers la douce lueur de ta lointaine terre,
La France jette aussi des regards éperdus,
Et dit, en te pleurant comme pleure une mère :
« Mes lils les plus aimés sont ceux que j'ai perdus! »
Û "^(^^^K^ r^r^ f î>-5
LUDOYIC JAK
LE POETE PA Y S AN
On ! la charrue est lourde ! Et, dans le ciel chang-eant
Où des nuages noirs s'amassaient tout à l'heure,
Le soleil terne luit comme un disque d'argent,
Et dans le lent frisson du bois, la source pleure.
Mes bœufs sont fatigués, et de leurs naseaux bruns
Sur leur poitrail fumant tombe une écume rose.
La terre que j'entr'ouvre est pleine de parfums.
Et dans les noirs sillons la pie est moins morose.
Oh ! la charrue est lourde ! et je veux, un moment
M'asseoir sur le talus fleuri, pour mieux entendre
Mes amis les bergers qui s'en vont lentement.
Egrenant leur chanson mélancolique et tendre.
Oui, la charrue est lourde! oh! qu'il fait bon s'asseoir!
Japerçois le landier où ma douce Marie
A mené ses moutons, et la sente où, ce soir,
Nous cueillerons tous deux la bruyère fleurie.
108 LE PARNASSK lîRETOX CONTEMPORAIN.
— Oli! diront-ils, voyez les rêveurs amoureux! —
Mais les gens du village ont l'humeur peu subtile :
Certes, on peut songer sans être un songe-creux,
Et le rêve qui rend plus heureux est utile.
Moi. d'ailleurs, j'aime à voir la splendeur du soleil
Sans comprendre jamais, j'ai senti quehjue chose
Dans l'aube blanchissante et le couchant vermeil;
Quelque part, à mou àine émue, une voix cause.
D'où vient ({ue le frissou des feuilles fait pAlir?
Dans l'infini des mers, des forêts et des plaines,
Dans la petite fleur qu'un enfant peut cueillir,
J'ai deviné des yeux, j'ai surpris des haleines.
J'ai cru que tout vivait, dans l'ombre autour de moi
Je suis plein de respect sous les branches pensives.
Hélas ! rien n'a jailli de ce confus émoi :
J'ai des ailes au cœur, mais des ailes captives.
Pourtant, lorsque mon cœur est meilleur en aimant,
A l'heure triste et douce où le soir se recueille,
J'ai mon cantique, aussi : je chante seulement
Comme chante l'oiseau, comme chante la feuille.
Que suis-je donc? J'ai lu dans un livre savant,
Que JMonsieur le Curé me prêta pour m'instruire,
Qu'un poète est l'esprit qui chemine en rêvant
Et dont l'àme résonne au veut comme une lyre.
Mais le poêle p<'ut exprimer ce qu'il sent :
Il déroba, dit-on, le langage d(^s anges.
Et moi, rêveur trahi, je demeure impuissant
Devant des ailes d'or el des beautés étranges.
LUDOVIC JAN. 109
On conte qu'autrefois de pieux voyageurs,
Le bourdon à la main, passaient dans le village,
Et parmi les blés mûrs et les grands bœufs songeurs,
Ils trouvaient un enfant lisant sous le feuillage.
Alors ils l'emmenaient dans les doctes couvents,
Lui donnant comme un pain céleste la science ;
Et l'enfant, devenu grand parmi les vivants.
Ouvrait un ciel plus vaste à la pensée immense.
Et moi, je reste seul ! Jamais je ne saurai
La langue harmonieuse et pure du poète ;
Allons, mes bcrufs, debout! — Mais je t'adorerai,
0 divine Beauté, dans mon àme muette !
LE LOGEUR DU BON DIEU
TRANQUILLE monuiTient, portail, tour de dentelle,
Clocher à jour où chante un carillon joyeux,
0 marbre qu'ont usé les genoux des aïeux ;
Quel effrayant esprit, cathédrale immortelle.
Où la pensée humaine au ciel profond s'unit,
Donna l'aile à la pierre et le souffle au granit ?
Ce fut un homme obscur. Dans nos bourgs de Bretagne,
Il passait en chantant un cantique pieitx ;
Quand on lui parlait d'art il regardait les cieux,
Comme l'Hébreu pensif, descendant la montagne :
Alors le feu sacré brillait dans son œil bleu ;
Lui-même s'appelait le logeur du bon Dieu.
110 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
D'où venait-il? — Au bord des mers occidentales,
Sa vagabonde enfance et ses jeunes désirs
S'éveillèrent : il eut de sévères plaisirs.
Il aimait la fureur des tempêtes natales, •
Le vent qui répondit à ses premiers sanglots
Lui laissa Tamertume et l'infini des flots.
Il aimait à rêver sur les landiers stériles,
Où, dans le sol de fer peuplé de souvenirs,
Veillaient de grands tombeaux et de sombres menhirs.
Quand le soleil couchant incendiait les îles,
L'immensité des eaux haletantes toujours,
Ses regards inspirés voyaient les anciens jours :
Les féroces chasseurs au seuil de la caverne.
Fils aines de la terre et cachés dans ses flancs,
Partageant leur butin avec leurs doigts sanglants.
Race que le désir de l'infini gouverne !
Ils se sont élancés, dompteurs des océans,
Dans de hardis vaisseaux sur les gouffres béants.
Pour temples ils ont pris les forêts frémissantes.
Peuplant de dieux géants leur blême profondeur.
Sans la chercher jamais, ils trouvaient la grandeur.
Et lui, robuste enfant de ces races puissantes,
Sur ce sol Apre et dur, devant les mers sans fin,
C'est encore et toujours d'infini (pi'il a faim.
Un jour, il s'éloigna de la pauvre chaumière
Où son père séchait ses filets de pêcheur :
« Là-bas, à l'Orient, je vois une blancheur,
Dit l'enfant, et je veux marcher vers la lumière. »
LUDOVIC JAN. 111
Italie ! Italie ! — Et las de voyager,
Le jeune homme s'arrête au pied d'un orang-er.
Voici Rome et Florence et Venise ! Les maîtres
Ont empourpré les cieux de leurs divins reflets :
Ils ont sculpté des tours, des dûmes, des palais.
Qu'ils sont loin les manoirs rustiques des ancêtres !
Voici l'art magnifique ! Et sous le clair soleil
Le voyageur comprend qu'il sort d'un long sommeil.
Surprendra-t-il bientôt le secret du génie?
Oui, c'est ainsi qu'il faut , sous le marteau divin.
Exprimer l'idéal qui le torture en vain.
0 vous, qui possédez le don de l'harmonie,
Poètes qui pleurez en lisant de beaux vers,
Tous ces tourments féconds, vous les avez soufferts !
C'est pourquoi, revenu du saint pèlerinage,
Quand, traversant les bourgs de son pays aimé.
Il sculpta du granit le bloc inanimé,
Esprit cherchant toujours l'infini sans rivage.
Il crut qu'il n'était pas assez haut arrivé.
Qu'il n'avait pas écrit le poème rêvé.
*
Les ducs sont endormis sous les pierres tombales ;
Aux Carmes, Montauban dort à l'ombre des croix,
Clisson à Josselin, à Ploërmel Jean Trois.
Mais, sous le porche obscur des hautes cathédrales,
Après avoir prié, longtemps prié ton Dieu,
Tu souhaitas revoir le pays du ciel bleu.
112 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Avide du soleil qui brûlait ta paupière,
Tu baisas humblement les marches de Faute),
Et tu partis, laissant ton chef-d'œuvre immortel,
0 penseur inconnu des poèmes de pierre,
Sans réserver un coin du monument vermeil,
Pour y graver ton nom et dormir ton sommeil.
LA G LOI ME
SOUVENT je me suis dit : La gloire, à quoi sert-elle?
Ce n'est pas le bonheur qu'ont trouvé ses élus,
Car les mieux couronnés ne s'éveilleront plus
Sur les genoux d'airain de la froide Immortelle.
Dante vit dans lexil et Milton dans l'oubli ;
La haine a torturé la vieillesse d'Homère ;
Et c'est quand le poète est mort de sa chimère
Qu'elle apporte un laurier au grand enseveli.
VA c'est là cependant ce (|ue veut le génie !
Aux })ravos qu'en passant jette le genre humain,
Préférer l'hosanna d'un éternel demain.
Et faire de la mort une vie infinie !
Mais si, [)our réconqiensc à cet amour du beau,
Maîtres, vous n'avez rien que des palmes funèbres.
Au moins les sentez-vous fleurir dans vos ténèbres?
Et qu'importe la gloire au néant du tombeau?
VINCENT AUDREN DE RERDREL
UNE LUTTE INEGALE
u
N merle sautillait sraîment sur le e-azon.
Un gros matou, tapi dans sa fauve toison,
Le g-uettait en levant la patte ,
Et déjà se disait : Quel repas succulent !
Quel bonheur, si je puis me mettre sous la dent
Cette chair fraîche et délicate !
L'oiseau , de son côté , surveillait l'ennemi ;
Mais s'il en avait peur, ce n'était qu'à demi.
Sachant qu'un peu de vigilance
Le mettrait à l'abri des griffes du glouton.
Le matou cependant, allongeant le menton,
Le corps tendu, d'un bond s'élance.
Tout près , sur la pelouse, était un arbrisseau.
Se poser au sommet fut un jeu pour l'oiseau;
Le chat n'admet pas sa défaite.
11 se cramponne au tronc , grimpe vers son butin ,
Et , les crocs aiguisés pour un royal festin ,
Va d'un seul bond toucher au faîte.
3
114 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mais , ô déception ! fatal retour du sort !
L'oiseau n'est plus dans l'arbre , il a pris son essor,
Et plane en chantant dans l'espace.
Le chat, d'un œil navré considérant son vol,
N'a plus , pour s'étourdir, qu'à chercher sur le sol
Les débris de quelque carcasse.
Notre matou, trompé dans ses calculs pervers,
C'est la Force aspirant à dompter l'univers ;
L'oiseau figure la Pensée.
Pour la vaincre , elle aussi , que d'efforts incessants,
Mais toujours déjoués et toujours impuissants.
D'une tyrannie insensée !
Contre elle employez donc le knout ou les verroux!
Tous ces moyens usés d'un stérile courroux
Lui donnent des forces nouvelles.
C'est alors qu'elle atteint aux sublimes hauteurs.
Et montre mieux encore à ses persécuteurs
Qu'elle a, comme l'oiseau, des ailes.
.,^^P^
PAUL RERLOR
(PAUL PHILOUZE)
LE MYSTERE DE LA VIE
SOLEIL, indi({ue-moi l'origine de l'être :
Chaleur, humidité, mystérieux ferment ,
Principe de la vie, ose donc apparaître
A mon regard chercheur; je le veux ardemment.
Partout j'entends ce mot : Progrès de la science !
L'esprit doit tout sonder, le passé, l'avenir ;
Tout savoir et tout dire; il va sans défiance
Par des chemins nouveaux; sait-il en revenir?
Le siècle sur le siècle a jeté sa poussière;
L'antiquité visait au but que nous cherchons ;
Cependant l'inconnu, devant notre àme altière,
Se dresse impénétrable et toujours nous marchons.
D'où viens-jeici, que suis-je, insoluble problème,
Aux chrétiens seulement par le Christ révélé.
Qu'il démontre la vie en un seul théorème
Et le savant triomphe ou demeure accablé.
116 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mais je le cherche en vain, le germe de la vie,
D'âge en âge brisé, d'âge en âge vivant; n
Immortelle et mortelle, existence ravie
Qui semble disparaître en un souffle du vent.
Nous reprochons à Dieu de créer le mystère.
D'entraver la raison en imposant la foi,
Quand nous ne pouvons pas comprendre de la terre
Le passé, le présent, l'avenir et la loi.
Si je veux un instant regarder vers l'espace,
Au-delà de ce que nous appelons les cieux,
Dans un abîme noir devant moi tout s'efface,
Tout mon être frissonne et recule anxieux.
Notre savoir est nul devant ce vide immense,
Lacune de l'esprit que rien ne peut combler.
Secrets de l'univers, secrets de l'existence.
Je sens eu vous cherchant mon esprit se troubler.
LÉO KERMORVA^
CHANT DU BARDE TALIÉZIN
JE parle et je comprends la langue d'Armorique ,
J'entends la voix d'Esus au bord de l'Océan
Et les chants que redit, près du dolmen antique ,
Le grand barde Ossian.
J'ai vu verdir le gui maintes fois sur le chêne,
Depuis que je suis né pour la douzième fois ;
Herbe d'or, samolus, primevère et verveine
Croissent toujours au bois.
«
Mais on ne verra plus , chez nous , le grand druide
Chercher le gui sacré comme on cherche un trésor ;
On ne le verra plus trancher la plante humide
Avec la serpe d*or.
Hélas! Les vaillants chefs aux longues chevelures
Dorment tous dans les cairns, sous le riant gazon ;
C'est en vain que je crie au champ des sépultures :
« Vengeance ! Trahison ! »
118 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
« Debout ! Aux maux d' Arvor il faut de prompts remèdes ! »
Mais d'impuissants échos entendent seuls ma voix :
Trahison et vengeance! On a dans les ?y^émèdes
Osé planter la Croix !
Et Tarann dans les cieux a gardé son tonnerre !
Camul n'a pas montré combien son bras est lourd !
Et Tentâtes n'a pas anéanti la terre ;
Esus est resté sourd!
Qu'êtes-vous devenus, dieux puissants, redoutables;
Vous, Druides fameux, gloire et terreur d'Armor?
Qui vous a terrassés, chevaliers indomptables,
Guerriers aux colliers d'or?
Barde, j'ai violé l'asile des neuf Sènes;
Seul, parmi les mortels j'en suis sorti vivant :
Le temple était désert, je n'ai vu que des chênes
Se balancer au vent.
Tout passe! nos plaisirs, nos rondes et nos danses,
Nos banquets fraternels, les concours du bardit,
Les combats à l'épée et la fête des lances,
Tout passe! Ou'ai-je dit?
Aux ténèbres succède une aurore nouvelle:
La terre a son soleil, la tombe a son printemps ;
Dylan plus d'une fois m'a pris dans sa nacelle,
Et j'ai dormi longtemps!
J'ai dormi très longtemps du lourd sommeil des ombres.
Et mon corps a changé de formes plusieurs fois ;
J'ai volé dans les airs, nagé dans les eaux sombres,
Et rampé dans les bois.
LÉO KERMORVAN. 119
Mais mon àme, au milieu de ces métamorphoses,
N'a jamais varié, c'était bien toujours « moi! »
Et je vois qu'il en est ainsi de toutes choses,
Sans comprendre pourquoi.
Nos menhirs sont restés, et le passant frissonne
En contemplant, le soir, ces énormes débris.
Vous parlez et j'entends! Votre langue bretonne
Est celle des Kimris.
En l'honneur de vos saints, des feux comme les nôtres,
Tous les ans, dans la nuit, éclairent votre sol ;
Ces feux sacrés, avant de fêter les apôtres,
Ont brillé pour Héol.
Nous changeons sans motif les noms des dieux eux-mêmes;
Croyant les immoler, nous brisons leurs autels,
Et cependant les dieux, malgré nos anathèmes,
Sont toujours immortels.
Tant que des feux sacrés luiront sur la montagne,
Tant qu'un menhir tiendra debout dans le taillis,
Que l'étranger t'appelle Armorique ou Bretag-ne,
Tu seras mon pays.
Et je viendrai te voir, ô pays du mystère.
Je me sentirai vivre à ton air embaumé ;
Ton sol sera toujours, pour le pauvre trouvère,
Le sol le plus aimé.
Sans jamais défaillir, tu traverses les âges ;
Grand comme le passé , tu l'inscris au burin ;
Sol de granit, à toi les chants et les hommages
Du vieux Taliézinl
ALAIN KERNEWOT
(LOUIS HEMON^
PAYSAGE BRETON
SOLS les bois frissonnants quand le vent des hivers
Roule la feuille morte.
Les pins géants, drapés dans leurs ombrages verts,
Disent : « Que nous importe?
<( Que nous importe à nous qui, durant le sommeil
« De la montagne sombre,
« Garderons tout le jour sur nos fronts du soleil
« Et sous , nos pieds de Tombre ;
« A nous, rudes et hauts comme un barde rêvant
« Sur des tombes ouvertes,
« Qui nous berçons au chant monotone du vent
« Dans nos aiguilles vertes ;
« A nous, sommets obscurs que le corbeau choisit
« Pour cacher sa demeure,
« Que nous importe un peu de verdure qui vit
« Sa minute ou son heure ?
ALAIN KERNEWOT. 121
a Tout est fête pour nous, le printemps, gai matin.
« Ou l'hiver, nuit voilée,
« Et l'on nous voit debout, comme un clocher lointain,
« Du fond de la vallée.
« A l'assaut du grand ciel nous sommes les premiers.
« Grondez, hurlez, tempêtes!
« Nous n'en prenons souci, pas plus que des ramiers
*( Tournoyant sur nos têtes.
« Allons, passez, passez, ruines de l'été,
« Qu'un souffle met en poudre ! »
— Et vous, colosses nés pour la stérilité,
Prenez garde à la foudre !
SONNET CORNOUAILLAIS
LES filles de Fouesnant sont belles. Il faut voir
Sur leurs fronts blancs flotter la coiffe auxgrandes ailes
Et leur rire sonore, en venant du lavoir,
Agacer les galants qui marchent après elles.
Charmantes sont aussi celles de Ploaré,
Dont le clocher domine une mer non pareille.
Celles d'Eiliant, vieux bourg dans les bois encadré,
Savent des chants plaintifs qui sont doux à l'oreille.
Je suis un pâtre obscur ; mais j'aime mieux encor.
Quand je rêve accoudé dans la lande aux fleurs d'or,
Sur la Montagne Noire où les vents sont en fête,
Tina, fille d'Edern, dont l'œil triste est si noir.
Qui passe sérieuse, en me disant : Bonsoir!
Et dont la voix s'entend, frêle, dans la tempête.
RENE KERYILER
LE TOMBEAU DE FRANÇOIS II
Par Michel Colombe
A lu cathédrale de Nantes
A M. Robert Olieix.
SUR le marbre couchés, le duc et sa compagne
Semblent dormir en paix et respirer encor :
Et leur fier lévrier, au collier bouclé d'or,
Yeille à leurs pieds, portant l'écusson de Bretagne .
Autour du lit ducal, saint Louis, Gharlemagne,
Archanges et Vertus, apôtres du Thabor,
Protègent le dernier souverain de l'Armor
Et lui gardent sa place à la sainte Montagne.
0 sculpteur! ton ciseau cher à nos cœurs bretons,
En dentelant la pierre anima ses festons :
De l'immortalité ton œuvre a l'assurance.
A tes noms empruntant une double beauté,
De la blanche Colombe elle a pris l'élégance
Et du grand saint Michel la noble majesté.
RENÉ KERVILER. 123
LES PIERRES DE CARNAC
A M. de la Villeniarqué.
LE soir, vous inspirez une sainte terreur,
Colosses de granit aux ombres gigantesques !
Quand la lune sur vous décrit ses arabesques ,
Le paysan breton se signe avec frayeur.
Un mystère profond plane sur votre horreur.
Etes-vous les témoins de ces jours titanesques
Où le ciel, foudroyant des tourbes soldatesques,
Sauva saint Cornély des traits de leur fureur?
Etes-vous les piliers du temple des Druides ?
Ou les stèles d'honneur marquant les places vides
Dans les rangs des héros défenseurs du vieux sol ?
Etes-vous les jalons du conseil des Yenètes?...
Qu'importe, si, par vous assuré de son vol,
L'esprit s'élève à Dieu qui voit ce que vous êtes.
LE GARDIEN DE PHARE
PENDANT que le mondain passe, de fête eu fête.
Des nuits que la fortune abreuve de plaisirs ;
Pendant que le savant, dans le calme, complète
Les calculs délicats qu'engendrent ses loisirs ;
12-i LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Pendant que l'amoureux, certain de sa conquête,
Aspire au but promis à ses ardents désirs ;
Pendant que l'ouvrier, las d'un labeur d'athlète ,
Dort tranquille en rêvant à d'heureux souvenirs, . . .
Là-bas, à deux cents pieds, dans une étroite cage.
Voisin des régions qui touchent au nuage.
Un modeste gardien veille avec piété.
Devant un feu brillant qui rayonne sur l'onde
Il se tient immobile : et de la mer profonde
La sûreté repose en sa fidélité.
DEUX LIONS
A Olivier de Gourcuff.
J'ai vu sur deux rochers deux grands lions de pierre,
Taillés par le génie, en pleine vérité,
Pour donner, de leur gite^ à la postérité
Des leçons de vaillance et de noble carrière.
L'un, blessé, fer au flanc, abaissant sa paupière
Sous les coups d'un destin que le peuple irrité
Imposa, le dix Août, à sa fidélité ;
Mais au poste frappé, droit, sans bond en arrière.
L'autre, des monts voisins fièrement descendu,
Adossé contre un bloc, front haut, jarret tendu,
Prêt à rugir ce cri : Teutons, venez me prendre !
0 Lion de Lucerne ! 6 Lion de Belfort !
J'enverrai devant vous mes entants, pour apprendre
Comment tombe un soldat, comment il reste fort.
CHARLES LE BRAS
BALLADE DES COQUILLAGES
JE sais , bien loin , caché comme un nid sous les branches,
Un village bâti dans une anse d'Arvor.
L'œillet sauvage y vient fleurir les dunes blanches,
Et, parmi les rochers, croissent les genêts d'or ;
Puis, tout au bas, la mer redit à ses rivages,
Oh! de longues chansons, qui m'ont un an bercé,
Dans cette anse sans nom pleine de coquillages
Laissés par le flot bleu sur le sable doré.
J'allais, chaque jeudi, sur les grèves désertes,
Poursuivre avec des crocs ou de légers filets
Les crevettes filant dessous les algues vertes
Ou les crabes perdus au milieu des galets.
Le soir, en revenant, je feuilletais les pages
D'un livre bien relu mais toujours préféré,
En faisant sous mes pas craquer les coquillages
Laissés par le flot bleu sur le sable doré.
126 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Puis, un beau jour d'avril, vous êtes arrivées,
Madame A. L. et vous, dans mon petit désert.
Que le temps passait vite ! Oh ! les bonnes journées
De printemps tout mouillé, qui riait de l'hiver.
Tout le matin, c'étaient de charmants babillages,
Qui mettaient du soleil dans ce coin retiré ;
La vesprée, on allait choisir des coquillages
Laissés par le flot bleu sur le sable doré.
Coquillages nacrés, jaunes, et blancs, et roses,
J'en ai plein mon tiroir, faits de toutes façons,
Tous ramassés là-bas, et, dans les jours moroses,
Ils me disent encor'la mer et ses chansons,
Les dunes près du bourg, et les jolis voyages
Que nous fimes ensemble au rivage ignoré
De cette anse sans nom pleine de coquillages
Laissés par le flot bleu sur le sable doré.
ENVOI
Mignonne, sauriez-vous, sous ses riants ombrages.
Retrouver le chemin qui mène jusqu'aux plages.
Le long du ruisseau clair, où vous avez miré
Votre visage frais comme les coquillages
Laissés par le flot bleu sur le sable doré?
ANATOLE LE BRAZ
EN MAI
DES cloches ont tinté dans le calme du soir...
0 mon pays, pays d'Arvor, si doux à voir,
Terre en qui Ton sent vivre une âme presque humaine,
Quel est ce souvenir qui vers toi me ramène?
On dirait qu'un ami me conduit par la main,
Et je vais!... Des ajoncs verdissent le chemin;
L'air s'emplit de l'odeur des aubépines blanches;
Les larmes de la nuit tremblent au bout des branches ;
C'est signe que Ton pense à moi, des pleurs aux yeux,
Et d'être ainsi pleuré mon exil est joyeux...
Chez nous, le mois de mai c'est le mois de Marie.
La cloche tinte!... On aime, ailleurs; chez nous, on prie.
Les autels sont parés : à erenoux, paysans!
Et, dans l'ég-lise en fleurs monte un parfum d'encens.
Des papillons d'été volent autour des cierges.
Comme les chants sont beaux sur la lèvre des vierges!
Elles disent : « Salut, Etoile de la Mer! »
Et les pêcheurs, tannés par l'àpre vent d'hiver,
128 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Tout iiissoimaiits eiicor des longues nuits dislande,
S'inclinent à côté des pâtres de la lande,
Qui, le rosaire aux doigts et le front sur l'épieu,
Dans leur silence grave ont l'air d'écouter Dieu.
0 laboureurs de flots, ô laboureurs de terre,
Ce Dieu qui parle en vous, c'est l'âme héréditaire.
Dont le souffle tenace et le frisson vainqueur
Du cœur des Celtes morts vous passe dans le cœur.
Et, tandis qu'en son vol le virginal cantique
Emporte vos Ave vers la Stella mystique,
Une autre étoile en vous scintille, et sa clarté
Fait de votre âme douce un firmament d'été :
Lampe de l'Idéal, pâle et triste lumière,
Que notre vieille race alluma la première,
Qu'elle abrita, tremblante encore, de sa main.
Et suspendit dans Tombre au fond du cœur humain !
Pauvre étoile ! On prétend qu'en ces jours où nous sommes
Elle va s 'éteignant chez la plupart des hommes.
Lne bouche mauvaise a sur elle soufflé.
La lampe d'or n'est plus qu'un vieux vase fêlé.
D'où l'huile sainte filtre et fuit et s'épand toute !
Ah! vous, du moins, gardez qu'il n'en tombe une g"Outte,
Entretenez la flamme avec un soin jaloux;
L'heure est proche où la terre aura besoin de vous.
Veillez que toujours brille et jamais ne se voile
L'astre aimé des aïeux, la triste et pâle étoile!
Afin qu'au jour venu, quand ils auront compris
Qu'un monde sans chimère est un monde sans prix,
Ceux qui, pour rebâtir plus robuste et meilleure
La Vie, en ont chassé le Rêve comme un leurre,
Viennent, désabusés, rallumer à tâtons
Le divin flambeau d'âme au foyer des Bretons!
ANATOLE LE BRAZ. 129
A UNE PAYSE
(SONE)
T/'ous n'étiez qu'une enfant lorsque je vous connus,
T 0 ma jeune amour ignorée !
Vous n'étiez qu'une enfant, et vous marchiez pieds nus,
Dans une robe déchirée.
Vous aviez des yeux bleus et de longs cheveux bruns
Qui^ rebelles, rompaient leurs tresses,
Tant les grands souffFes fous, tant les libres embruns
Les avaient grisés de caresses.
Vos cheveux étaient bruns, et vos pieds étaient blancs.
Tout le jour lustrés par les ondes ;
Votre jupe, nouée autour de vos deux flancs.
Laissait voir vos deux jambes rondes.
Le parfum qui sortait de vous était amer
Comme l'odeur qui vient des plages,
Et vous aviez en vous la santé de la mer,
0 pêcheuse de coquillages !
Je n'étais qu'un enfant... Maintenant, je suis vieux :
On vieillit vite loin des grèves !
Et pourquoi donc, ce soir, l'éclair de vos grands yeux
Traverse-t-il ainsi mes rêves ?
Est-ce un pressentiment qu'il faudrait revenir,
Que le son des cloches m'appelle ,
Que vous avez gardé mon profond souvenir,
Et que vous êtes toujours belle ?
130 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mais non ! Les Angélus, au fond des soirs brumeux,
Se taisent pour l'exilé triste !
Les champs m'ont oublié, vous avez fait comme eux,
Yous ne savez plus que j'existe.
Puis vous êtes allée aux pardons d'alentour.
Où vous avez dansé sans doute;
Et, quelque fier danseur vous guettant au retour,
Vous avez fait à deux la route.
Le sentier, très étroit, passe au milieu des blés :
On marche tout près l'un de l'autre,
Et lui s'est enhardi devant vos yeux troublés
Jusqu'à prendre en sa main la vôtre.
C'est pourquoi vous bercez à cette heure un enfant...
Fasse le bon Dieu qu'il prospère.
Qu'il tette à pleine soif votre lait triomphant
Et soit marin, comme son père !
{-^J
" ^^^^rrrà^^
^^^gw/iG^
:3
CHARLES LE COZ
SONNET
A Ch. Le Goffic.
UN chant a pris son vol éclos dans la bruyère
Et plane sur la lande indécis et léger,
Et, naïf, le chanteur est un petit berger
Idéalement lîeau sous sa bure grossière.
Parfois, comme un reflet du bonheur mensonger,
Dans sa voix glisse un trait de riante lumière ;
Puis la voix du berger en dolente manière
Exprime la langueur d'un souci passager.
Il chante... Et sa ballade ou joyeuse ou plaintive
M'émeut l'âme, et retient mon oreille captive ;
Je tressaille, et dans moi tout vil^rc à l'unisson :
C'est que, si nous séchons rapidement nos larmes,
La gaîté n'est pour nous jamais vide d'alarmes.
— 0 pûtre , comme elle est bretonne ta chanson !
132 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
DANSE BRETONNE
A E. Thieulin.
BINIOUS perçants, aigres bombardes,
Sur la grand'roiite, près du bourg-,
Unissent leurs notes criardes
Aux sourds roulements du tambour.
Les gars vont inviter les fdles
Comme on les invite là-bas
Et, choisissant les plus gentilles,
Près d'elles marchent pas à pas.
Or, Tàme doucement bercée,
Yvonne écoute deux galants
A la démarche balancée,
Qui l'escortent les bras ballants.
Kerg-orec se penchant vers elle
Dit : « Les champs font plaisir à voir.
Sur, la récolte sera belle ;
On battra de brave blé noir. »
Quant à Dourdu, l'a-il tout en flamme :
« Yvonne, a-t-il dit, près de vous
Un grand trouble me remplit Tâme,
Et je sens manquer mes genoux ! »
Muette, Yvonne en fille sage
Fixe les yeux sur ses sabots,
Pendant que les binious font rage
Et sonnent leurs airs les plus beaux.
CHARLES LE COZ. I.'JS
(( Voulez-vous point danser, Yvonne ? »
Yvonne n'a pas répondu,
Mais sans rien dire elle abandonne
Son parapluie au grand Dourdu.
Ils s'en vont rejoindre la chaine,
Et s'éloignent de Kergorec,
Mal habile à cacher la gène
Qu'il éprouve de son échec ;
Tous les deux, entrés dans la danse,
Se tiennent par le petit doigt,
Et sautent, marquant la cadence,
Scrupuleusement, comme on doit.
Alors blanc et noir, vert, bleu, rose.
Se développe le rul^an
Des danseurs, à bizarre pose.
Et d'aspect gaillard et flambant.
Dans les trémoussements des groupes.
Comme poissons pris au filet,
On voit frétiller sur les croupes
Les jupes formant bourrelet :
Parfois un gars, en courte veste
Et chapeau rond aux larges bords,
Bondit très haut, farouche et leste,
Les bras raidis le long du corps ;
Il sort de sa poitrine nue
Un cri sauvage : « IIou ! hou ! hou ! »
Qui domine la voix ténue
De la bombarde et du biniou.
134 LE PARNASSE nRETON CONTEMPORAIN.
Et la chaîne toujours ondoie,
Avec ses enchevêtrements,
Ses repHs, ses éclats de joie
Couvrant le son des instruments.
Quand la contredanse est finie,
Les filles aux g'ars_, à l'écart,
Redemandent leur parapluie
Avec un suppliant regard.
Dourdu refuse de le rendre.
Yvonne voudrait s'en saisir ;
Mais Dourdu se montre si tendre
Qu'elle cède... sans déplaisir.
Ils se dirigent côte à côte
Vers un sentier ombreux et frais,
Où croissent la fougère haute,
Les ajoncs blancs et les genêts ;
Ils entretiennent à voix basse
Un dialogue lang'oureux ;
Yvonne rit, Dourdu l'embrasse,
En descendant le chemin creux.
Et dans le lointain, les bombardes
Et les binious auprès du bourg
Unissent leurs notes criardes
Aux sourds roulements du tambour.
ABBÉ FRANÇOIS LE DORZ
LA CHASSE A L'ECUREUIL
A mes élévts.
Balancé dans son nid de mousse ,
Il grignotait du bout des dents
Le fruit de ses vols impudents,
Tendre noisette ou faine douce.
Dont les sucs laiteux et fondants
Coulaient sur sa moustache rousse.
Si les ramiers n'eussent gémi,
Le silence eût permis d'entendre
Le pas même d'une fourmi...
S'applaudissant d'avoir su prendre
Des fruits si beaux, au cœur si tendre,
Il grignotait, presque endormi.
Voici que des prochaines sentes
Des clameurs ont soudain jailli,
Mille clameurs de voix perçantes ;
Et les ramiers du bois joli.
En le quittant, l'ont tout rempli
Du bruit de leurs ailes puissantes.
136 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
C'est la troupe des écoliers,
Qui vocifère et s'époumonne.
En chasse !... Et le fer des souliers
Dans l'herbe écrase l'anémone,
Et sous des coups multipliés
Le tronc des vieux chênes résonne.
Au grand bruit longtemps entendu
Succède un effrayant silence ,
Puis, tout le bataillon s'élance,
L'œil ardent et le cou tendu ,
A l'assaut du pin qui balance
Le pauvre écureuil éperdu.
a Un nid! un nid! » Clameur de joie,
Que répercutent les échos ;...
Et de ces mignons moricauds
Le nez fin flairant une proie
S'épanouit d'aise et rougeoie
Comme en juin les coquelicots.
C'est l'ennemi ! Déloge, alerte,
Bel hal)itant des pins fourchus !
Et, comme font les moustachus,
Enfonçant tes ongles crochus
Dans la molle écorce entr'ouverte ,
Escalade la cime verte !
Et ne perds pas les étriers !
Compte : Au pied du pin qui te cache ,
Cent soixante arbalétriers !
Relève ta queue en panache,
Et, les pattes sur ta moustache ,
Fais la nique à tes meurtriers !
ABBÉ FRANÇOIS LE DORZ. VM
Du sommet jusques à la base,
Voici que tout Tarljre a frémi...
Qui monte? C'est un ennemi,
Faisant, dit-il, son Anabase ;
Et l'on voit émerger parmi
Les pics feuillus sa tète rase.
Autour du pin hospitalier,
Tes évolutions savantes
Trompent l'espoir de l'écolier ;
Mais, pris de justes épouvantes.
Va, franchis des branches mouvantes
Le vertigineux escalier !
La peur est pour lui sans vertige.
D'arbre en arbre, de tige en tige.
Il grimpe, courte grimpe et bondit ;
Et, là-haut, l'enfant interdit
D'une si sublime voltige ,
L'enfant sur sa branche applaudit.
Mais en vain cent fois dans l'espace
11 s'est lancé comme un perdu :
Suant, soufflant, il est rendu ;
Et l'œil éteint, l'oreille basse,
Comme un fruit qu'un ver a mordu,
De son arbre il tombe — ■ et trépasse.
ABBÉ AUGUSTE LEFBANC
LE PASSAGE D' HE RODE
SLR la route qui passe au nord de Nazareth ,
Vers dix-huit ans, Jésus, fils de Joseph, errait
Fatig"ué d'un travail pénible.
Au couchant le soleil commençait à baisser.
Le Sauveur marchait seul et semblait converser
Avec quelque esprit invisible.
On se trouvait alors dans le mois de Nisan;
Sur le chemin poudreux, le fds de l'artisan
Vit passer un royal cortèg'e.
Des groupes de soldats superbement vêtus
Répétaient : « Nous chantons la gloire et les vertus
D'Hérode que le ciel protège.
« Hérode est redouté dans les pays lointains ;
Ses tremblants ennemis croient voir sur leurs destins
Planer une ombre funéraire.
Quand il marche on dirait un astre radieux,
Et le grand empereur Tibère, égal aux dieux,
Le regarde comme son frère.
ABBÉ AUGUSTK LEFRANC. 139
(( Toujours victorieux, il daigne vivre en paix.
Après avoir franchi le seuil de son palais,
Le plus puissant se sent esclave.
En vain de son bonheur les dieux sont envieux,
La fortune est liée à son char glorieux
Par une indestructible entrave.
(( Ce roi passe sa vie au milieu des puissants.
Son trône est entouré de nuages d'encens,
Comme le soleil à l'aurore.
11 possède, en l'honneur de sa divinité,
Un temple étincelant d'or et d'argent sculpté.
Où sa royale cour l'adore. »
Au cortège princier Jésus cédant le pas
Quitta le grand chejnin, car Ilérode Antipas
Venait sous l'ombre des érables.
Et l'humble charpentier dit, en quittant ce lieu :
« Roi, règne sur les grands : moi, je serai le Dieu
Des pauvi'es et des misérables. »
MATIN
L'île de ?S'oirmoutier, comme une sombre haie.
De Pornic, au levant, ferme l'immense baie.
Un g'ai soleil d'avril se lève... A l'iiorizou,
Les phares, les rochers de l'Ile, noir buisson,
Découpent leurs profils aigus comme des branches.
La barque d'un pécheur, avec ses ailes blanches,
Vole en rasant les ilôts qu'argentent des reflets :
Et le matelot jette en chantant ses fdets,
Pendant que, sur sa tète, éclatant de lumière.
Le soleil rajeuni commence sa carrière,
Et, sondeur de l'espace et des créations,
Plonge, au sein de l'azur, ses filets de rayons.
n
JEAN LE FUSTEC
is
(fragment)
Sur la lande, le lendemain de rengloulissement de la ville.
LE LEPREUX D IS AUX BERGERS
APPROCHEZ : il est temps que toute' oreille écoute.
C'est une chose horrible à ce point, que je doute
Si j'ai rêvé ce que je dis. . .
Non!.., La lune g-laçait l'eau de sa clarté blonde...
J'ai bien vu ; mais je vais terrifier le monde :
Is, . . est morte ! . . . la ville d'is !!I
Is est morte, vous dis-je ! . . . Is, la ville éternelle.
L'Océan a jeté son suaire sur elle ;
Et la terre tremblait au bruit.
Is n'était rien de plus qu'un trésor qu'on dérobe.
Il la prit, je l'ai vu, dans les plis de sa robe,
Comme un voleur pendant la nuit I
JEAN LE FUSTEC. 141
Morte !... C'est bien fini!... Gardez vos cris de haine.
La sainte vérité m'a conduit sous le chêne
Dire ce désastre effrayant.
La cité dont je parle est tombée en ruines ;
Is que Ton se montrait des lointaines collines ;
Is qu'on nommait en souriant !
Les voyageurs venus des pays qu'on ignore,
Et qui vous ont jeté quelque salut sonore,
Comme un tintement de grelot;
Tous ces navires où, sur des rythmes mystiques,
Les rameurs entonnaient des bardits héroïques
En la voyant surgir du flot ;
Tous errent sur la grève, affolés et livides,
Sur les rochers muets et sur les plages vides,
Pareils à des ressuscites
Qui chercheraient leur àme à l'entour de la tombe ;
Personne n'est venu leur dire l'hécatombe :
Ceux qui la savent sont restés.
Ils sont restés dans Is ; tous y sont à cette heure
Et battent de leur front les murs de leur demeure,
Hagards, béants, les yeux éteints.
Pauvres amours surpris, agapes lamentables !
Et maintenant la mer sur les lits et les tables
Donne à, ses monstres des festins.
JÉRÔME LE GOFF
MON NOM
MON nom, en bas-breton, veut dire Forgeron :
Quelqu'un de mes aïeux sans doute, un gars solide,
Les bras nus, la poitrine aussi nue, et le front
Noir de sueur, forgeait de son marteau rapide
Le fer, ce dur métal que la flamme assouplit.
Le visage éclairé par le feu de sa forge;
Et satisfait de la tâche qu'il accomplit.
Il chantait, comme au bois chante le rouge-gorge.
De ses robustes mains, pleines de durillons,
Mon vieil ancêtre a dû faire maintes charrues
Pour creuser dans les champs de fertiles sillons,
Où les moissons, aux jours de l'été, poussaient drues.
Peut-être aussi, — qui sait? — au temps de nos aïeux,
Quand les Bretons luttaient pour leur indépendance,
Pour faire aux combattants des lances et des pieux,
Son marteau frappait-il sur l'enclume, en cadence.
JÉRÔME LE GOFF. 143
Soit plus lui, soit plus tai'J — qu'iiuporle daus (pu;! temps?-
0 mon ancêtre, en toi ton descendant salue
Et l'ancienne Armorique et ses preux habitants,
Breton de vieille roche à Tâine résolue !
0 Forgeron ! tu fus, semblable au dur granit.
Ferme devant l'enclume et devant la bataille :
Bravoure, force, en toi le Ciel les réunit,
Et les plus grands périls convenaient à ta taille.
J'aurais désiré vivre en même temps que toi;
Mon honneur eût été de suivre ton exemple :
Le corps plein de vigueur, le cœur rempli de foi.
Solide à la besogne, et pieux dans le temple!
Mais Dieu n'a point voulu réaliser mes vœux :
Que son nom soit béni, sa volonté soit faite!. . .
Le sort m'a mis parmi tes arrière-neveux
Et n'a voulu de moi faire, hélas! qu'un poète.
Un poète!... Un rêveur!... Un inutile!... — Oh! non,
Inutile, jamais Breton ne saurait l'être.
Je me souviens toujours du sens de notre nom,
Je me souviens de mon devoir, ù cher ancêtre!
Puisqu'à mon jour le sort m'a fait naître ici-bas ,
Que l'homme, quel qu'il soit, doit remplir une tâche,
Je ne voudrai jamais renoncer aux combats :
Pas plus que mes aïeux, je ne puis être lâche.
Oui, crois-m'en. Forgeron, source de notre sang-.
Dont la main , tour à tour et levée et baissée ,
Façonnait le métal de son marteau puissant,
Ton petit-fds travaille : il forge la pensée.
CHARLES LE GOFFIC
vos YEUX
JE compare vos yeux à ces claires fontaines,
Où les astres d'argent et les étoiles d'or
Font miroiter, la nuit, des flanmies incertaines.
Vienne à glisser le vent sur leur onde qui dort.
Il faut que l'astre émigré et que l'étoile meure,
Pour renaître, passer, luire et s'éteindre encor.
Si cruels maintenant, si tendres tout à l'heure,
Vos beaux yeux sont pareils à ces flots décevants.
Et l'amour ne s'y mire et l'amour n'y demeure
Que le temps d'un reflet sous le frisson des vents.
CONFIDENCE
JE t'apporte un cœur bien las.
Ne me dis plus que tu m'aimes ;
Une autre m'a dit, hélas !
Les mômes choses, les mêmes.
CnARLES LE GOFFIC. 145
C'était avec ses yeux d'or
L'enfant la plus ingénue.
Nous nous aimerions encor,
Si tu n'étais pas venue.
Mais tu m'as conquis d'un coup.
Ton sourire exalte et grise.
Aux doigts noués à mon cou
Les tiens ont fait lâcher prise.
Ce sont de douces amours.
Mais je sens qu'aux mêmes heures
Un remords trouble toujours
Nos caresses les meilleures.
Et je t'ai fait cet aveu,
L'(\me d'angoisse envahie,
Pour que nous pleurions un peu
Sur l'enfant que j'ai trahie
BOUQUET
APaimpol, un soir, tandis que la lune
Eveillait au large un chant de marin ,
Nous avons tous deux cueilli sur la dune
Ces touffes de menthe et de romarin.
Et ces œillets-ci, c'est un soir, à Gàvre,
Pris à la douceur qui s'exhalait d'eux,
C'est un soir d'amour, à l'angle d'un havre,
Que nous les avons cueillis tous les deux.
10
146 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mais ce triste brin de pariétaire ,
Je l'ai cueilli seul en pensajit à toi,
Un soir plein de cris, d'ombre et de mystère,
Sur les rochers nus de Saint-Jean-du-doigt.
LES PEUPLIERS
LE soir a tendu de sa brume
Les peupliers de Keranroux.
La première étoile s'allume ;
Viens-t'en voir les peupliers roux.
Fouettés des vents, battus des grêles,
Et toujours sveltes cependant,
Ils dressent leurs colonnes grêles
Sur le fond gris de l'occident.
Et dans ces brumes vespérales,
Les longs et minces peupliers
Font rêver à des cathédrales
Qui n'auraient plus que leurs piliers.
BRETONNE DE PARIS
HÉLAS ! tu n'es plus une paysanne ;
Le mal des cités a pâli ton front.
Mais tu peux aller de Paimpol à Vanne ;
Les gens du pays te reconnaîtront.
CHARLES LE GOFFIC. 147
Cai' ton corps n'a point de grâces serviles ;
Tu n'as pas changé ton pas nonchalant ;
Et ta voix, rebelle au parler des villes,
A gardé son timbre augurai et lent.
Et je ne sais quoi dans ton amour même,
Un geste fuyant, des regards gênés,
Evoque en mon cœur le pays que j'aime,
Le pays très chaste où nous sommes nés.
PREMIERS DOUTES
JOLIS rayons d'aube, entrez dans mon âme ;
Elle a tant besoin de revoir le jour !
— Sait-on ce qui dort dans des yeux de femme.
Si c'est la colère ou si c'est l'amour !
0 rayons jolis, sous votre caresse
Mon âme autrefois s'emplissait de chants.
— Hélas ! qu'avez-vous, ma chère maîtresse.
Pour me regarder de ces yeux méchants?
0 rayons jolis, dissipez mes craintes ;
Apaisez mon mal, tant qu'il n'est pas sûr.
— Les yeux de ma mie ont toujours ces teintes,
Ces teintes d'or sombre et de sombre azur.
LOUIS LE LASSELR DE RANZAY
AUX HÉROS SANS GLOIRE
Il vous fera revivre en traits ineffaçables,
Héros sans gloire, ô morts augustes, noms sacrés,
Enfouis sous la mer, ou la neige ou les sables ?
Explorateurs, qu'un sol farouche a dévorés
Près de voir resplendir le soleil de leurs rêves,
Et qui dorment, obscurs sous des cieux ignorés.
Inventeurs qu'ont brisés les fatigues sans trêves.
Sans un jour de triomphe après des ans d'efforts ;
Marins, que l'océan n'a pas rendus aux grèves.
Soldats victorieux laissés parmi les morts ;
Victimes d'uu devoir ou martyrs d'une idée ;
Tous ceux dont l'Ame ardente a consumé le corps.
Quand un peuple, escortant leur cliAsse enguirlandée,
Acclame on ne sait quels fantoches mal venus,
Et dont vous dépassez les fronts d'une coudée ;
LOUIS LK LASSFUR T)K RANZAY. 1 19
Vos OS gisent épars, sublimes inconnus,
Et des mères, des fils, des veuves désolées
Ne savent môme pas ce qu'ils sont devenus.
Vous n'ayant pas de tombe, ils ont des mausolées,
Où leurs noms orgueilleux resplendissent, écrits
En lettres d'or, au creux des pierres ciselées.
Qu'ont-ils fait? Plaire au maître ! aboyer aux proscrits!
Entasser des sequins, des écus ou des piastres !
Flatter la foule ! Emplir les rostres de leurs cris !
Et tandis qu'on les couche au milieu des pilastres,
Vous qui marchiez courbés vers l'idéal ardu.
Vous êtes sans linceuls à la clarté des astres.
Consolez-vous, ô morts, vous n'avez rien perdu ;
Cadavre impérial ou dépouille grossière.
Les vers ne lâchent point le corps qu'ils ont mordu.
La g-loire, — un peu de bruit sur un peu de poussière, —
N'interrompit jamais leur sinistre festin,
Sous l'humble croix, ni sous la chapelle princière.
Au moment d'accomplir le triomphal destin,
D'atteindre la chimère ardemment poursuivie,
Vous tombâtes, frappés par un coup clandestin.
Vous avez parcouru le désert de la vie
En suivant un mirage enfui devant vos pas,
Les membres ruisselants, la chair inassouvie.
Que l'âme vive ou meure au delà du trépas,
Vous aurez eu, pendant ce court espoir factice.
Tout ce qu'on peut saisir d'un bonheur qui n'est pas.
150 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
S'il est vrai que tout l'être humain s'anéantisse,
Qu'après tant de labeurs subis, de pleurs versés,
Nul ne puisse espérer la suprême justice ;
0 morts, n'enviez pas les joyeux trépassés
Qui puisèrent l'ivresse aux coupes d'Epicure,
TS^i ceux que les clameurs de la foule ont bercés ;
Dormez d'un sommeil calme en votre tombe obscure
Si l'âme vit, sa gloire est d'être sans remords.
Sinon, goûtez la paix que le néant procure
L'hosanna des vivants n'éveille pas les morts !
SUM UN TRONC DE HETRE
DEUX chiffres enlacés creusent l'écorce lisse,
Illisibles déjà, tant le tronc a grossi,
Depuis qu'à des serments , effacés eux aussi ,
L'arbre indulgent prêta son ombrage complice.
Ils n'eurent qu'un printemps à peine de délice
De leur première joie à leur premier souci ;
Nul vestige bientôt n'indiquera qu'ici
Fleurirent les amours de Robert et d'Alice.
Un soir de rêve , après quelques ans révolus ,
Jusqu'au banc familier, qu'ils ne fréquentent plus ,
Un hasard les ramène ensemble au pied du hêtre ;
Le bois a d'autres fruits, le gazon d'autres fleurs;
Et d'autres noms, qui vont à leur tour disparaître,
Ont envahi la place où s'embrassaient les leurs.
THÉOPHILE LEMONNIER
SOIR D'AUTOMNE
A peine un rayon d'or clans riiumicle vallée ;
Le feuillage éploré se fane dans les bois :
C'est l'automne et le soir... Je rêve de l'allée
Déserte, où nous allions, à cette heure, autrefois.
Je revois le sentier aux bordures de mousse,
La clairière ignorée où nous causions, joyeux ;
Où tu m'abandonnais ta main, légère et douce
Plus qu'une aile d'oiseau sous son duvet soyeux.
Nous étions si petits alors, ma bien-aimée,
Que sans craindre pour toi l'omljre de la ramée,
Nos mères nous laissaient courir le long des jours.
Un matin, cependant, je quittai mon village,
Mais depuis j'ai toujours le regret du jeune âge,
Et nos baisers d'adieu me reviennent toujours !
EUGÈNE LE lOUËL
BALLADE DE LA PILEUSE
BONNE femme, filez, filez la laine blanche !
C'est la saison des nids dans les bois parfumés ;
Un rayon de soleil danse sur votre manche
Et baigne de clarté les tableaux enfumés...
Bonne femme, filez, filez la laine blanche !
Parmi les nénuphars dormant sur Teau dormante,
Les papillons dorés et les papillons blancs
S'en vont en tournoyant... singulière tourmente
D'ailes qu'on croit des fleurs dans les roseaux tremblants,
Parmi les nénuphars dormant sur l'eau dormante !
Vous n'irez plus au l)ois récolter les morilles
Qui se cachent dans l'herbe à l'ombre des ormeaux ;
Bonne femme, laissez, laissez les jeunes filles
Cueillir les fruits à l'arbre en courbant les rameaux ;
Vous n'irez plus au bois récolter les morilles !
On dit que vous aviez de belles boucles blondes,
Que vous portiez gaîment, l)ras nus, les lourds paniers,
Et qu'un fichu croisé sur vos épaules rondes.
Vous dansiez, tout un soir, sous les hauts marronniers...
On dit que vous aviez de Jjelles boucles blondes !
KT'GÈN'K LK MOUEL. 153
On dit que vous aimiez Pierre, le garde-chasse,
Dont la tète passait par-dessus les taillis,
Et que sur votre cœur vous gardiez une place
Pour mettre les bouquets que Pierre avait cueillis.
On dit que vous aimiez Pierre, le garde-chasse !
Bonne femme, on en parle encore à la veillée
De la noce de Pierre ! — On conte que Suzon
Etait blanche, était rose, était ensoleillée.
Et que le garde-chasse était un beau garçon.
Bonne femme, on en parle encore à la veillée !
Est-ce vrai qu'on vous voit pleurer sur votre ouvrage
Quand, par-dessus les blés fêtés par les grillons,
Le vieux clocher du bourg annonce un mariage
Et fait peur aux oiseaux de ses gais carillons ?
Est-ce vrai qu'on vous voit pleurer sur votre ouvrage?
Suzon, vous pensez donc encore au garde-chasse?
Vous marmottez son nom parfois entre vos dents..:
Si, dans votre cerveau, le souvenir se lasse.
L'amour de votre cœur est plus vieux que le temps !
Suzon, vous pensez donc encore au garde-chasse?
Depuis que Pierre est mort, Suzon, vous êtes morte i
Lorsque pour votre deuil les cloches sonneront,
Que le prêtre viendra, sur le pas de la porte.
Chercher votre cercueil, peu de gens le suivront...
Depuis que Pierre est mort, Suzon, vous êtes morte !
On ne sait plus le nom de Suzon la fileuse...
Les filles d'autrefois et leurs doux amoureux
Dorment depuis longtemps sous la terre frileuse,
Et le chardon fleurit sur leurs tombeaux poudreux !
On ne sait plus le nom de Suzon la fileuse ;
154 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Aussi, filez en paix, filez la laine blanche !
C'est la saison des nids dans les bois parfumés !
Un rayon de soleil danse sur votre manche
Et baigne de clarté les tableaux enfumés...
Bonne femme, filez, filez la laine blanche !
TANGUY
DANS les fleurs des landiers et les fleurs des bruyères,
Que le vent maraudeur emporte sous les bois,
Par les champs de blé noir bordés de lourdes pierres,
J'ai vu passer Tanguy, le joueur de hautbois...
Et voilà que j'entends au-dessus des murmures
Qui montent des chemins, des prés et des buissons,
Les binious sonnant, en marquant les mesures,
La vieille ritournelle et les douces chansons...
Et voilà que je vois, tour à tour, dans les branches,
La ronde qui s'en va d'un rythme saccadé.
Entraînant les g-arçons avec leurs vestes blanches,
Et les filles tenant leur tablier brodé !
Mais Tanguy ne va pas sous la châtaigneraie
S'étourdir dans le bal au son des binious ;
Et, couché dans le thym qui parfume la haie,
Faite de cornouilliers, de ronces et de houx.
Il regarde à pleins yeux la ronde bien-aimée, . .;
La ronde qu'Annaïk aimait tant autrefois,
Quand, sous son bras nerveux il tenait enfermée
Celle qui n'ira plus jamais danser au bois !
EUGÈNE LE MOUEL. loo
Car la fille est partie au delà des montagnes
On le soleil reluit sur les meules de foin,
Et d'où l'on aperçoit, par-dessus les campag-nes,
Le ruban des chemins qui se déroule au loin.
Annaïk est partie, un matin de dimanche,
A l'heure où les ajoncs de la lande sont las,
Et Tanguy se souvient qu'il vit sa coiffe blanche ^
Frémir avec le vent qui ne reviendra pas !
Peut-être, maintenant, danse-t-elle la ronde
Derrière la forêt qui ferme l'horizon ?
Car le recteur, en chaire, enseigne que le monde
Est plus grand que le ciel qu'on voit de sa maison !
Tanguy veut la revoir ! — et, pour gagner sa vie,
Il jouera les vieux airs que chante son hautbois ;
Comme il suivra la sente en fleurs qu'elle a suivie.
Si son cœur a gardé les chansons d'autrefois ;
Alors, en entendant les vieux refrains de danse,
Elle se souviendra du village qui dort
Sous les hauts châtaigniers et de sa douce enfance
Dans la bruyère rose et dans les landiers d'or !
ALCIDE LEROUX
SOUVENIR D'ATHENES
A J.-Giiy Ropartz.
L'AZUR constellé d'or, la nuit orientale,
Enveloppaient le Pnyx de leur sérénité,
L'Acropolis dormait son sommeil de vestale
Egorgée et sublime en sa virginité,
Sous les temples brisés dont la blancheur s'étale
Au bord de l'Ilissus, la foule en li])erté,
Devant les Turcs marchait sur sa terre natale,
Parlant sa langue, belle encore, avec fierté.
Moi, Celte, j'écoutais cette langue d'Homère,
VA regardais passer comme un spectre éphémère
(^e peuple, ombre des Grecs que protégeait Pallas.
Tout à coup j'aperçus debout sur quatre planches
Une fille des Francs , les deux poings sur les hanches,
Chantant aux lils des Grecs Y air du beau Nicolas.
LÉON LEVRAULT
C
LA COUPE
'était un soir, auprès de la mer écumante.
En bas, un gouffre affreux, fouetté par la tourmente,
Crachait vers le ciel sombre un flot grondeur et noir.
En haut, sur un rocher, tout pensif, un monarque
Contemplait le remous qui brisait une barque,
Et du regard sondait le gouffre horrible à voir.
Autour de lui, les grands, les dames empressées.
Les écuyers guettaient sur son front ses pensées ,
Pour plier leurs désirs à son désir nouveau.
Mais nul n'osait troubler son attitude austère.
Et le roi regardait, dédaigneux de la terre.
Se tordre la montagne d'eau.
Puis on le vit soudain s'éveiller de son rêve :
« Holà ! tous mes féaux ! . . . Ce gouffre qui soulève
« Tant d'écume et la jette à mon manteau de roi,
« Je veux savoir ce que dans ses flots il recèle.
« Mes barons, mes guerriers, quel sera le fidèle
« Qui dans ces profondeurs descendra sans effroi?
158 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Tous se taisaient ; et lui, les yeux brillants denvie :
<( Qui ne m'a mille fois fait l'offre de sa vie?
« Il faudrait la tenir, barons. Voici le jour !
« Qu'il plonge celui-là qui veut pour son domaine
« Les champs dont un cheval, pendant une semaine,
« En galopant fera le tour ! »
Ils se taisaient, tremblant au seul aspect du gouffre
Qui longuement hurlait comme un monstre qui souffre;
Alors, avec dépit, le roi reprit encor :
<( Dans mon royaume entier qu'il choisisse et qu'il coupe
« Celui qui plongera pour retrouver ma coupe! »
Et le roi dans la mer jeta sa coupe d'or.
Un jeune homme, à ces mots, est sorti de la foule.
Il bondit dans les flots soulevés, que refoule
Contre le roc abrupt l'ouragan déchahié...
Un instant, on le voit nager d'une main ferme.
Il disparait... Sur lui l'Océan se referme,
Comme l'enfer sur un damné.
Une minute!... un siècle!... un long cri d'allégresse !...
Car voici que surgit du gouffre un bras qui dresse
La coupe, où l'eau des mers pend en gouttes d'azur
Et que couvre un épais manteau d'herbes marines...
Un cri joyeux jaillit de toutes les poitrines.
— (( Prmce, j'ai pu ravir ta coupe au gouffre obscur.
— « D'où la rapportes-tu ? — Sur une roche grise
« Dans les varechs touffus et visqueux, je l'ai prise.
« Au dessous, j'entendais comme un souffle emporté
« Qui mugissait à des profondeurs inconnues,
« Pareil aux grondements d'orage dans les nues.
« Et je remonte épouvanté ! »
LÉON LEVRAULT, 159
Le roi distrait répond : « Bien ! à toi le domaine ! »
Puis, tout fiévreux : « Enfant, ma fille sera reine.
« Elle est belle... Oh ! bien belle avec ses longs cheveux...
« Les rois sont à ses pieds ; et les fds de la lyre
« Dans leurs vers amoureux ont chanté son sourire...
(( Enfant I elle sera ta femme, si tu veux !
« Si, plongeant de nouveau dans Fabime insondable,
« Tu peux me rapporter plein ma coupe de sable,
« Et forcer le secret de cet antre inconnu. »
L'écuyer lui sourit. Il regarda la dame,
Et sauta du rocher où déferlait la lame...
Mais jamais il n'est revenu.
Ainsi, pauvres humains, philosophes, poètes,
A l'âge où l'on devrait cueillir des violettes
Et se perdre gaiement au fond des chemins creux ,
Au souriant matin, chanter avec les merles.
Et, quand le soir a pris sa parure de perles,
Dire aux bois assoupis ses tourments amoureux ;
A l'âge des plaisirs, des rêves, de l'audace.
Où l'on devrait, joyeux imitateurs d'Horace,
Boire un vin parfumé par les fleurs de l'été
Et parcourir le monde, insouciant et libre,
Comme un aiglon, avec un cri vainqueur où vibre
L'ivresse de la liberté ;
Alors, devant nos pas le mystère se creuse,
Précipice sinistre, où d'une voix affreuse
Mugit un Océan courroucé, dans la nuit.
Au bord, comme le vieux monarque à barbe blanche.
L'humanité troublée est debout qui se penche
Pour voir ce qui se cache au fond de tout ce bruit.
160 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Elle dit : « Jeunes gens : pas de plaisirs frivoles !
« Pas de chansons d'amonr aux pieds des jeunes folles!
« Vers un plus noble but dirigez vos ardeurs !
(( Qui de vous le premier tentera ces abîmes ?
« C'est là qu'on a jeté les vérités sublimes
« Dans l'infini des profondeurs.
Oui ! qu'il ose plonger dans l'effrayant mystère !
Qu'il revienne agitant, fier, aux yeux de la terre,
La Vérité, la coupe aux reflets radieux.
Nous graverons son nom sur des tables d'ivoire,
Et nous lui donnerons pour épouse la Gloire,
Dont les ardents baisers nous sacrent demi-dieux ! »
Et bien des jeunes gens foulent les primevères,
A la nymphe qui rit montrent des fronts sévères
Et d'un bras irrité repoussent le plaisir ;
Car ce qui, tout entiers, les occupe elles tente.
C'est le gouffre hurlant, l'immensité béante.
Et le secret qu'il faut saisir.
Mais que sert cet élan des jeunes cœurs avides?
Ceux qu'on voit revenir reviennent les mains vides :
Pris de peur, ils n'ont pas assez loin descendu ;
Et le hardi plongeur qui poursuit sans rien craindra.
Qui surprend la chimère au fond et veut l'étreindre.
Celui-là, l'Océan ne l'a jamais rendu !
GEORGES LOIRE
umyjLjŒ
ON la trouve partout : dans nos bois, dans nos landes,
Dans nos prés étoiles de fleurs et de lapis,
Le long' de nos talus elle court en guirlandes
Et sur notre granit elle jette un tapis.
Il lui faut, pour fleurir, l'ombrage de nos chênes
Et la brise de mer aux brèches du manoir;
Il lui faut nos guérets, nos brumes et nos plaines, .
Nos menhirs en ruine et nos champs de blé noir.
A toi, les amoureux, petite fleur bretonne,
Ne disent ni secrets, ni projets d'avenir,
Et l'étranger passant ne songe pas, mignonne,
Humble, à te regarder, et triste, à te cueillir.
Mais le Breton qui t'aime, ù ma chère pauvrette,
Se rappelle toujours la fleur de son pays,
Et ton acre parfum, et ta soyeuse aigrette.
Que la brise des prés penche au bord des taillis.
H
^1 ) ;v- '
-'^^^ - A,IJ < ' '-^-^l €.
FRANÇOIS LONGUECiVND
L'ANE ET LES FLEURS
LE plus jeune des fils tVuue pauvre bourrique,
Un îuie au poil luisant, gras, rond et l)ien jambe,
Au licou s'était dérolié
Et sautait, un matin, loin du toit domestique.
Il arrive en un pré : le dahlia vermeil,
Les tulipes, les lis s'y chauffaient au soleil.
Roussin est tout fier de se dire
Conquérant de ce bel empire.
De Tune à Tautre fleur courant, le campagnard
Daigne leur octroyer Thonneur de son regard,
Au muguet, il jette un sourire ;
La tulipe un moment l'attire ;
A la rose il chci'che comment
Tourner un joli compliment.
Mais le voilà parti : rose reste seulette ;
Le baudet en passant foule la violette
Qui se brise sous ses pieds lourds.
Adieu lis magnifique, adieu rose nouvelle ;
Làne a su découvrir une chose plus belle :
Un chardon, \oilà ses amoui^s !
FRANÇOIS LONGUECAND 168
Souvent ainsi, livrée au jui^er d'un profane,
Dans le monde du cœur, dans le monde de l'art,
La rose délicate est laissée à l'écart,
Et le chardon trouve son âne.
(Fables.
LE TAILLEUR ET LES NAINS
(tiré du b.vrzaz-breiz)
PASKOU, dont la langue frétille.
Pointue autant que son aiguille,
Paskou le long- et le tailleur,
N'a plus une culotte à faire :
Tous les hommes sont à la guerre :
Que fait-il ? Il fait le voleur.
A pas de loup, au clair de lune,
Il est allé chercher fortune
Un certain soir de vendredi.
Il a des Nains fouillé la grotte,
Et revient, de l'or plein sa hotte ;
Petit tailleur est bien hardi !
Et, dans un grenier sous la paille,
Le tailleur, cachant sa trouvaille.
S'étend dessus tout fier de lui.
164 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ah ! Paskou, prends garde ! à ta porte
Mets ta serrure la plus forte ;
Voici les démons de la nuit.
Dans la cour s'assemble leur bande ;
Elle danse une sarabande
Et nasille une aigre chanson.
Petites mines renfrog"nées,
Grimpant comme des araignées,
Ils escaladent la maison.
Sur le vieux toit qu'ils courent vite I
Ah! Paskou, cherche l'eau bénite;
Délivre-toi de ton trésor.
Disparais sous ta couverture
Et, tapi dans ton encoignure,
Tiens-toi tranquille comme un mort.
Car ils ont des yeux redoutables,
Les petits dus, les petits diables !
Ils percent le toit du grenier. ,
Le premier allonge la face ;
II regarde et tourne et grimace ;
Il descend le long- du pilier.
Un — deux — trois ! — la troupe maudite
Descend tout entière à sa suite ;
Ils bondissent : Pauvre Paskou !
Pour se voir ailleurs, à la Vierge
Il ferait cadeau d'un beau cierge !
Il sent comme une corde au cou :
FRANÇOIS LONGUECAND.
16:
— As-tu l'air de dormir im somme,
Cher tailleur, cher petit bonhomme ?
Montre-nous ton nez rubicond.
Debout ! Saute ! Le bal commence ;
Les nains vont Rapprendre une danse,
Une danse, petit fripon,
A faire éclater ta poitrine,
A faire craquer ton échine ,
A mettre ton àme aux abois :
Mi^ux vaut coudre un fond de culottes
Que chercher de l'or dans les grottes :
Argent de nains brûle les doiets.
^w%
i^^;3^<i2irtrS/^ f «^£if^
s
=Ar
F.-M. AN UC'HEL
BREIZ-IZELL
LAR d'in, anaout a rez ar vrô
Lec'h, war a garrec, sao derù ;
Lec'h 'kân a barz war dreuz he zôr,
Ha war ann aod e trouz ar môr?
— la, ar vrù-ze eo Breiz-Izell ;
War ar bed pa dolan eur zell ,
En neb lec'h na welan hini,
A c'houlem ken braz meuleiidi.
— Lâr d'in, anaout a rez ar vrô
Lec'h ma kaver c'hoaz war enn drô
Komz Doue hag- ar feiz ô rén.
Ha reiz hag- eeiin kalon an dén?
— la, ar vrô-ze eo Breiz-Izell.
Me a garie ' vel ar sparfel,
Kaout dioLi-eskel, evit monet
Trezeg- a vamm 'deuz ma ganet.
^c<: ç'As^^v^Ty<^
c
V.
FRANCOIS-MARIE LUZEL
BREIZ-IZELL
DIS-MOI, connais-tu le pays — où sur le rocher
s'élève le chêne; — où le barde chante sur le seuil
de sa porte, — où sur le rivage bruit la mer?
— Oui, ce pays-là c'est Breiz-Izell. — Sur le monde
quand je jette un regard, — nulle part je n'en vois
un autre, — qui réclame une aussi grande louange.
— Dis-moi, connais-tu le pays, — où l'on trouve
encore ensemble — la parole de Dieu et la foi en
vigueur, — et la loyauté et la droiture dans le cœur
de l'homme?
— Oui, ce pays-là, c'est Breiz-lzell. — Je voudrais,
comme Fépervier, — avoir deux ailes, pour m'envoler,
— vers la mère qui, là, me mit au monde.
168 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
— Làr d'in, anaout a rez ar vrô
Lec'h na grèn dèn rag- ar màrô ;
Lec'h vewer en doùjanz Doue,
Ha doùjanz lezen ar roue?
— la, ar vrô-ze eo Breiz-Izell ;
Evid-oùn beza diout-hi pell,
D'al lec'h m'eo chou met ma c'halon
Ma spered 'nij 'vel eur gudon.
— Làr d"in, anaout a rez ar vrô
Lec'h, evel bleùn Ijarz ar parcô,
A weler ar merc'hed iaoùanc,
Er pardôniou, zeder ha koant?
— la, ar vrô-ze eo Breiz-Izell,
Kùdon a nij a denn-askel
War-zu ma brô, lavar, koulmic,
Deiz-mad da Vôna, ma dousic.
— L(ir d'iu, anaout a rez ar vrô,
A gar lie giziou kôz atô,
Lec'h peder c'hoaz en ilizou,
Hag er véred, war ar beziou?
— la, ar vrô-ze eo Breiz-Izell.
Kouabren kasset gant ann awel,
Eùn tamm d'ann douar diskennet.
Ha bete ma brô ma douget.
— Làr d'in, anaout a rez ar vrô,
Lec'h kàner gwerzio ha zônio.
En tàl ar fornigal, bep-nôz.
En koùn olieriou ar rc gôz?
FRANÇOIS-MARIE LTZEL. 169
— Dis-moi, connais-tu le pays, — où nul ne tremble
devant la mort, — où l'on vit dans le respect de son
Dieu, — et aussi de la loi de son pays?
— Oui, ce pays-là c'est Breiz-Izell ; — et pour loin
que j'en sois aujourd'hui, — aux lieux où est resté
mon cœur, — mon esprit s'envole, comme la colombe.
— Dis-moi , connais-tu le pays , — où , comme les
fleurs dans les champs, — on voit les jeunes filles, —
aux Pardons, joyeuses et belles?
Oui, ce pays-là c'est Breiz-Izell. — Ramier bleu,
qui voles — à tire-dailes du côté de mon pays, sou-
haite, ô ramier, — le bonjour à ma douce Môna.
— Dis-moi, connais-tu le pays, — où l'on aime tou-
jours les anciennes coutumes, — où l'on prie encore
dans les églises, — et dans les cimetières, sur les
tombes?
Oui, ce pays-là c'est Breiz-Izell. — 0 nuage, poussé
par le vent, — descendez un peu jusqu'à terre, — et
emportez-moi jusqu'à mon pays !
— Dis-moi, connais-tu le pays, — où l'on chante de
vieux gioerz et des sônes, — le soir, au coin du foyer,
— en souvenir des exploits des ancêtres?
!70
LE PARNASSF^ BRKTON CONTEMPORAIN.
— la, ar vrô-ze eo Breiz-Izell,
Lec'h ma fell d'in mont da verwel,
lia bezaii eùu deiz doùaret,
Gant ma broïz, en ho béred.
— Ann hiuin a zavaz ar zôn,
'Zo eur zoudard, trist he galon,
Ilag a varwo gant keùn d'he vrô,
Med prest da Yreiz e ve distro.
FRANÇOIS-MARIE LUZEL.
171
— Oui, ce pays-là c'est Breiz-Izell. — C'est là que je
voudrais aller mourir, — et être enterré , un jour, —
parmi ceux de mon pays, dans leur cimetière !
— Celui qui fit ce sône, — est un soldat, triste de
cœur, — et qui mourra de regret du pays, — s'il n'est
bientôt de retour en Breiz.
ABBÉ JEAN MARBŒUF
LE COMBAT DE CORBILO
C'est la nuit , et César s'avance vers la côte ,
Et l'on entend au loin retentir les clairons ;
Sur le sable mouvant passent les escadrons
Avec la lance haute.
Aux clartés de la lune, on voit sur un dolmen
Le druide agiter sa hache ; de colère
Il frémit, et sa bouche entonne un chant de guerre
En criant: Torriben!
Torriben ! — Mille voix, qui font vibrer la nue ,
Répètent le bardit du poète inspiré :
Un prisonnier est là, haletant, elTaré
Et la poitrine nue.
Qu'il meure, ce Romain! hurh; un peuple ameuté;
Ce soldat de ('ésar dont le joug nous opprime ,
Qu'il meure! Que le cri poussé par la victime
Proclame notre liberté!
ABBÉ JEAN MABBOEUF. 173
Des larmes, ô guerrier, ont mouillé ta paupière.
Tu pleures... Le druide approche menaçant,
Lève son ])ras : la tète a roulé dans le sang*
Sous la hache de pierre.
Et le prêtre saisit d'une sauvage main
Le cœur de la victime, et tandis qu'il palpite,
Il le montre , en disant : C'est ici la limite
De Tempirc romain!
Le goéland dans les airs soudain jette une plainte ,
La vague fait mugir le récif qu'elle bat :
Femmes, vieillards, enfants, tout s'élance au combat
Pour la liberté sainte.
On lutte : mais bientôt un long cri de douleur
Vient troubler les échos de la vieille Armorique ;
César triomphe , crie une voix fatidique ,
Malheur à nous ! malheur !
Seul un barde chantait un hymne d'allégresse
Mon Arvor! mon Arvor! espère en l'avenir;
Signe libérateur, je vois sur un menhir
Une croix qui se dresse!
-^&
^^M
THOMAS MAISOINNEUVE
POEME DU SOIR
LE soir a pour moi tant de charmes
Que, malgré rabaudonnement
De l'aJjsence, je sens les larmes
S'arrêter dans mon cœur d'amant, '
Je t'envoie, ô mon enfant blonde,
Ces quelques vers rêvés jadis
Lorsque devant la mer profonde
Tu m' entr' ouvrais le paradis !
Le brouillard d'or du soir s'étend sur les chemins,
Tout s'apaise. Aux grands bois de vagues ritournelles,
En glissant sur les prés parfumés de cenelles,
Dans leurs discrets accords parlent des lendemains.
Le brouillard d'or du soir s'étend sur les chemins.
THOMAS MA.ISONNEUVE. 175
Les amoureux s'en vont attendre les aimées
An rendez-vous divin dans les soml)res sentiers ;
Sur leur lit de rameaux dorment les églantiers ;
Et, tandis que les nids chantent sous les ramées,
Les amoureux s'en vont attendre les aimées.
Les cieux sont parsemés de flocons de carmin
Qui flottent dans l'azur insensiblement rose.
Il n'est plus sur la terre une chanson morose.
Si dans l'ombre surgit la blancheur d'un jasmin,
Les cieux sont parsemés de flocons de carmin.
L'aveu renaît au cœur, idéalement tendre,
La lèvre sent monter la chaleur du baiser.
Et le désir d'amour lentement vient poser
Le doux étonnement que l'on cherche à comprendre.
L'aveu renaît au cœur, idéalement tendre.
C'est le nocturne chant qui rend l'homme songeur.
Qui fait frémir en nous l'immense poésie,
Où chaque mot nous semble un parfum d'ambroisie
Flottant sur le parcours du zéphir voyageur.
C'est le nocturne chant qui rend l'homme songeur.
*
Dans les pourpres crépusculaires
Les chansons ont plus de douceurs.
Et les rêves se font berceurs ;
Partout se calment les colères
Dans les pourpres crépusculaires,
17() LK PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Dans leurs sillons des firmaments,
Une à une sortant des voiles,
Les harmonieuses étoiles
Reviennent sourire aux amants
Dans leurs sillons des firmaments.
Si tu le voulais, ma mignonne.
Afin d'imiter les oiseaux
Qui s'embrassent dans les roseaux,
Nous irions au bois qui fleuronne,
Si tu le voulais, ma mignonne.
Nous échangerions nos aveux,
Blottis sous les feuiUes dormantes ;
Tandis que les brises charmantes
Entremêleraient nos cheveux.
Nous échangerions nos aveux.
Le soir est l'heure où tout soupire :
Roses des bois, oiseaux chanteurs.
Poète, amant, cieux enchanteurs.
Ce qui rêve, ce qui respire;
Le soir est l'heure où tout soupire !
Dans son rayonnement superbe
S'est couché le soleil divin.
Ajoutant au sombre ravin
Un rulîis à chaque brin d'herbe.
THOMAS MAISONNEUVE. 177
Les subtiles senteurs légères
Qui glissent sur les halliers verts
Font au cœur à peine entr'ouverts
Naître des chansons passagères.
Le couchant ressemble à l'aurore
Dans ses mousselines d'ors fins,
Et l'on entend les séraphins
Préluder sur le luth sonore.
L'ineffable concert des anges
Berce le frais sommeil des fleurs
Au boudoir des sentiers siffleurs
Où ne chantent plus les mésanges.
Illuminons notre jeunesse
A ce flambeau mystérieux,
Où les désirs victorieux
Allument leur chaude caresse.
Unissons nos voix amoureuses
Aux voix exquises des vallons.
Où d'invisibles violons
Murmurent leurs notes heureuses !
*
Viens sous le dôme des ramées
Où s'endort le dernier rayon ;
La nuit du bout de son crayon
Ecrit les romances aimées ;
Viens sous le dôme des ramées.
\2
178 LK PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Dans V Alléluia des amants,
Que tout redit aux cieux immenses,
Cherchons les candides démences.
Il est des baisers, des serments
Dans Y Alléluia des amants.
Sur le parchemin des nuages,
Où se livrent bien des secrets.
Les beaux chérubins indiscrets
Brossent d'étranges paysages
Sur le parchemin des nuages.
Dans le calme du calme soir.
L'âme des jeunes fiancées
Laisse s'envoler leurs pensées
Vers le fiancé plein d'espoir,
Dans le calme du calme soir.
Partout Famour étend son aile .
n plane un long frémissement
Dans ce suprême enchantement;
Comme une caresse éternelle,
Partout l'amour étend son aile.
Tout dort. Voici la nuit, faisons comme les bois.
Endormons-nous. Rêvons d'un rêve plein d'ivresse.
Repose sur mon cœur ton front lourd de paresse,
Et pour les pays bleus partons les doigts aux doigts.
Tout dort. Voici la nuit, faisons comme les bois.
THOMAS MAISONNEUVE. 179
Nous aurons luèiiie songe, est-ce pas, mon amie?
Car nous avons même âge et même illusion.
Le printemps nous a mis au cœur la passion
Qui nous rendra joyeux l'espace de la vie.
Nous aurons même songe, est-ce pas, mon amie ?
Pour bercer ton sommeil, veux-tu, je chanterai
De nos vieux souvenirs la tendre ritournelle ;
Et, d'un baiser furtif effleurant ta prunelle,
Pour t'admirer longtemps, pensif, je veillerai.
Pour bercer ton sommeil, veux-tu, je chanterai?
En voyant nos amours si chastement heureuses,
Le soir apaise encor ses dernières clartés;
Et l'essaim vagabond des lentes voluptés
Fait surgir au ciel noir les étoiles peureuses.
En voyant nos amours si chastement heureuses.
Le même ange sur nous étend son aile d'or.
Il te prend pour ma sœur, tant ta caresse est pure.
Ton sein soulève à peine un coin de la guipure,
Et ton àme parfois en mon âme s'endort.
Le môme ange sur nous étend son aile d'or.
LOUIS marsolleàu
OPHELIE
0
PHÉLiE , avec des fleurs , bercée au flot ,
S'en va très pâle et trépassée au fil de F eau.
Renversée , et ses cheveux tramant sur l'onde ,
Ses froids yeux bleus perdus au ciel, fragile et blonde,
Elle va, la bouclie ouverte, laissant voir
Ses blanches dents. Le fleuve lent semble un miroir.
C'est l'aurore. Un frais frisson court dans les branches ,
Les nénuphars ouvrent sur l'eau leurs splendeurs blanches.
Sur les bords, s'éveillent clairs les chants d'oiseaux.
La brise penche, à son passage, les roseaux.
Ophélie, avec des fleurs, au flot bercée,
Au lil de l'eau s'en va très pâle et trépassée.
LOUIS MARSOLLEAU. 181
Romarins déchiquetés, l)OU(|uets broyés;
Espoirs finis, baisers perdus, amours noyés,
*
Quelquefois , désir de gloire , amour de femme ,
On sent en soi passer un rêve, au fil de l'âme.
Ln beau rêve, aurore en fleur, joyeux et fort.
On s'aperçoit quand on y touche, qu'il est mort.
Romarins déchiquetés, roses broyées,
Espoirs finis, baisers perdus, amours noyés.
*
Ophélie, avec des fleurs, bercée au flot ,
Là-bas, bien loin, s'en est allée, au fil de l'eau.
SONNET EN ROUGE
Aux quatre coins de l'horizon, quatre cités
Brûlent, lançant vers le ciel rouge leurs flambées ;
Dans la plaine, où le soir met ses rougeurs plombées,
Quatre échafauds , drapés de roug-e, sont plantés.
Et le crépitement des étincelles fauves,
Sur la foule écarlate et bruyante qui bout ,
Sonne; on voit , éclairés sinistrement, debout,
Quatre bourreaux en rouge auprès des billots chauves.
182 LE PARLASSE URETON CONTEMPORAIN.
Les quatre rois vaincus attendent à genoux ;
Et de brusques lueurs passent sous les cieux roux ,
Comme un éclair de lampe au plafond bas d'un bouge.
Alors, d'un même coup des quatre haches d'or,
Les quatre bourreaux font tomber la même mort,
Et sur la pourpre on voit le sang qui coule — rouge!
SONNET EN VERT
TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes,
Ëmeraude , la fée au sourire pervers
Est debout, près de la source verte aux flots pers ,
Dans la forêt de jaspe aux fraîcheurs murmurantes.
Et sur le gazon vert que parfument les menthes ,
Le soleil , avec des rayonnements d'ors verts ,
Découpe sa dentelle adorable à travers
L'élan capricieux des feuilles frissonnantes.
Et toute la forêt éblouissante étreint ,
De l'intense reflet de sa verdeur divine ,
La verte fée aux yeux pâles d'algue marine.
Mais elle alors, ainsi qu'un rêve qui s'éteint.
S'évapore; et l'on voit, sous la charmille ouverte,
Flotter une nuée indescriptible et verte !
LOUIS MARSOLLEAU. 183
SONNET EN BLANC
LE ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement,
Sans trêve, en flocons blancs, la neige tombe, tombe
Dans le grand cimetière hagard, où chaque tombe
Disparait sous le morne ensevelissement.
C'est alors que, blafards, hideux, formant cortèg-e ,
Avec un effroyable et grêle cliquetis ,
Entrechoquant leurs os pâles, grands et petits,
Les blêmes trépassés se dressent dans la neige ,
Et s'en vont vers le vide horizon sépulcral,
Détachant leurs blancheurs livides de squelettes,
Mystérieusement, sur les neiges muettes ,
Tandis que, sous l'horreur d'un demi-jour spectral,
De vagues oiseaux blancs glissent de branche en branche. . .
Et cependant le ciel est blanc, la terre est blanche.
(Les Baisers perdus.)
HENRI MAUGER
LE MOULIN DU DIABLE
DIEU ! le joli petit moulin
Oue possédait mon ami Pierre !
Sous le lierre
Et le jasmin,
Dieu ! le joli petit moulin !
On entendait jusqu'au village
Le joyeux tic-tac qui troubla
Longtemps le rustique hermitag'e.
Le diable avait passé par là !
Les fillettes des alentours
En souriant levaient leurs têtes,
Les coquettes
Dans leurs atours !
Les fillettes des alentours
Se demandaient avec mystère :
Laquelle de nous séduira
Le beau meunier célibataire ?
Le diable avait passé par là !
HENRI MAUGER. 185
Quand on a l'embarras du choix,
Mieux vaut aimer à l'aveuglette
Pâquerette
Ou fleur des hois,
Quand on a l'embarras du choix.
Mais, entre toutes, la mignonne
Vers qui son cœur, enfin, vola,
Fut Rosette — Dieu lui pardonne ! —
Le dia])le avait passé par là !
Que ne fait-on pour de beaux yeux ?
Rosette devint la meunière.
Toute fière
Et lui joyeux.
Que ne fait-on pour de beaux yeux?
Mais la petite était volag-e
Et frivole. Elle s'ennuya;
Huit jours après le mariage,
Le diable avait passé par là !
Le vent emporta le moulin,
Cn soir, qu'à la fête voisine.
Sa Rosine
Dansait un brin.
Le vent emporta le moulin.
Plus de moulin, plus de meunière,
La vieille histoire que voilà I
11 eu mourut le pauvre Pierre :
Le dicible avait passé par là!
FRANCIS MELYIL
(LÉONCE GIBERT)
PATRIA
EXTREME ORIENT
CIEL d'Asie. Au matin, cris d'alerte, tambours,
Coups de feu. Des éclairs reluisent dans la brume.
Autour d'eux la bataille effroyable s'allume ;
Nul abri, nul renfort, nul espoir de secours.
L'un sur l'autre s'abat sans plainte ni discours ;
Lentement, sûrement, la flamme les consume :
Noirs de poudre, rougis d'une sanglante écume.
Broyés, un contre mille, ils se battent toujours.
L'aube Inille, et d'amour la campagne frissonne.
Tandis que ces héros inconnus, dont personne
Ne redira jamais les tragiques exploits.
Opposant à la mort leurs sourires tranquilles,
Tombent, comme jadis glorifiant tes lois,
0 Sparte, les Trois Cents tombaient aux Tlicrmopyles !
FRANCIS MKLVIT.. 187
SOUS LA MOUSSE
Il n'avait pas vingt ans. Longtemps avant l'aurore
Il combattait, l'éclair s'allumant en ses yeux,
Quand, parmi les clameurs, l'ouragan furieux
De la guerre éclatait dans le clairon sonore.
De son sang frais et pur la terre se colore ;
Son Ame ardente a pris l'essor mystérieux :
Comme en mourant riaient les Celtes, ses aïeux,
Couché sur le gazon humide, il rit encore.
Sur la rive d'un lac dont l'étrang-e cristal
Reflète la splendeur du ciel oriental.
On a creusé la fosse où le soldat repose ;
Alentour, dans les bois odorants de santal.
Chantent les bengalis^ et sur la tombe close
Flotte un souffle divin de lotus et de rose.
RETOUR
A l'ombre des bosquets aux feuillages divers
Le corps est étendu dans un linceul de soie,
Et le sang- généreux va nourrir avec joie
Les fleurs qu'on voit jaillir des tombeaux entr'ouverts.
Mais l'âme a pris son vol par delà les flots verts.
Elle a fui l'horizon où la terre est en proie
Au dévorant amour de l'été qui flamboie,
Pour le lointain pays des éternels hivers.
188 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ce qu'elle va chercher, ce sont des landes somhres
Où rimplacahle mer, sous des nuages lourds,
Se brise en gémissant à d'étranges décombres ;
C'est un étroit vallon aux bizarres détours,
Et, sous un toit obscur et chancelant, deux ombres
Qui regardent le ciel en attendant toujours,
ON CHANTE
A l'heure où le soleil teint de pourpre les nues.
Au bord des flots vermeils nous irons nous asseoir,
Et nous répéterons les chansons ingénues
Que l'enfant attardé jette à l'écho du soir.
Nous fêterons l'Amour libre, les Nymphes nues.
Ce que tous ont cherché, ce que nul n'a pu voir,
Et nous enlacerons des strophes inconnues
Avec des rimes d'or plus riches que l'espoir.
0 souvenirs éteints ! ô faible cœur des hommes !
Dormons-nous? veillons-nous? Oublieux que nous sommes.
Nous aimons, nous rêvons, et je chante, et tu ris.
Nous qui vhnes jadis, les yeux brûlés de larmes,
Quand le sort en nos mains brisait toutes nos armes.
Le Germain triomphant aux portes de Paris !
PRIÈRE D'ENFANT
Il est vêtu de noir; il est pâle. Naguère
Sa mère l'a quitté ; tous les siens sont proscrits.
Il grandit lentement au fond du vieux Paris,
Dans une chambre étroite où le jour n'entre guère.
FRANCIS MELVIL. 189
La nuit vient. Il est seul. Dans un cadre vulgaire,
Un reflet ég-aré sur le morne lambris
Effleure le portrait d'un brave à cheveux gris,
Tué jadis à Metz pendant la grande guerre.
L'enfant sourit au mort et se sent raiîermi.
Il songe à l'avenir, et son rêve l'entraîne
Vers sa ville tombée aux mains de l'ennemi ;
Dans le ciel une étoile a lui, chaste et sereine,
Et le petit soldat, qui s'endort à demi,
Murmure une piière à Jeanne la Lorraine.
FEMME EN DEUIL
Sur ses mornes regards un voile est étendu ;
D'angoisses et d'amers regrets son âme est pleine;
Son cœur, désespérant du jour trop attendu.
Bat douloureusement sous la robe de laine.
Oh ! d'un essor de flamme et d'un vol éperdu,
Comme à travers l'espace et l'effrayante plaine,
Là-bas, à l'Orient, sur le pays perdu
Ce pauvre cœur voudrait s'abattre, hors d'haleine !
Sa bouche a murmuré le nom du cher absent.
Nom sacré qu'à jamais grave en lettres de sang
Le doigt du souvenir au fond de sa pensée,
Et, quand l'aube se lève et quand le soir descend,
Sans cesse, elle aperçoit sous le ciel pâlissant
La flèche de Strasbourg à l'horizon dressée.
190 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
JUSQU'AU JOUR
Taisons-nous. Les vainqueurs ont droit d'être charmants.
De chanter le plaisir, le vin, les dieux sublimes,
Les fièvres du combat, l'ivresse des abimes,
L'effroyable beauté des villages fumants.
Laissons ces gais refrains aux bardes allemands ;
Qu'ils célèbrent en paix leurs exploits ou leurs crimes :
Il est doux de penser qu'ils accouplent des rimes
Jusqu'au matni fatal des épouvanteuients.
Nous, notre rôle, c'est d'aiguiser nos épées,
De songer à toute heure aux grandes épopées
Qu'écrit en traits de feu le glaive souverain,
Et, devançant le jour des revanches prochaines,
D'étreindre, l'œil fixé sur la brèche du Rhin,
L'implacable étendard des éternelles haines !
VICOMTE DU MESNIL
(MADAME 1)K BEliU)
NOUS
IL est un mot naïf qui charme notre oreille,
{ n mot que veulent dire et l'épouse et Tépoux,
Et le frère à son frère , et la mère qui veille
Auprès de son enfant... Ce mot si doux, c'est Nous!
11 semble faire éclore, en l'ànie qui s'éveille,
Tout un monde d'amour à rendre Dieu jaloux;
Et le monarque altier a cru faire merveille
En l'adressant du trône aux peuples à genoux.
Le soldat le répète après chaque victoire;
Comme aussi les savants qui marchent vers la gloire,
Ou les moines courbés sous la céleste loi. . .
Qu'elle est dure, mon Dieul cette angoisse suprême,
Quand la mort a frappé sur tous ceux que l'on aime ,
Alors qu'on reste seul... et qu'il faut dire : Moi!
192 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
A CELLE QUE J'AIME
COMME un bijou nacré brillent tes ongles roses,
S'effilant sur la chair au reflet velouté.
Tes yeux, comme un miroir, reflètent toutes choses,
Mais semblent accablés d'un poids de volupté.
Quand sur le divan ])leu mollement tu reposes,
,1'aime, pour travailler, t'avoir à mon côté;
Entre mes bengalis et mes bouquets de roses,
Tu règnes sans souci, blanche divinité!
Mais quoi! Les feux du jour ont rouvert ta paupière,
Le soleil, t'inondant de ses flots de lumière,
Glisse ses flèches d'or à travers le lampas;
Et tu marches vers moi, caressante et plaintive,
Comme une jeune fée à la fois douce et vive. . .
Tout beau! Tout beau. Minette? Et qu'on ne griffe pas!
■■MMBiw^aaKBwwHiawnHûauiiHiimuuiiiJMbiijj'jsa^g^^fliBSBBais^
h^^r^în^TTS^SpEx^S^j-!?}™'?' I c^'^' r; ?vA\C\:l^-vr-^lî^=s^'
~'v:^^,^\Y^vr■s■ \i^:s^':;5^•^A'^^^~^^^' 1^ — i r^r'^-V-^ - v-^^ -/-^-^-■
EMILE MlCllELET
VESPERAL
MÉLANCOLIQUEMENT tombe le soir d'automne :
L'or pâle du couchant baigne les arbres roux.
Lointaine, une vapeur par masses met des flous
Sur les contours lavés de teinte monotone.
Lentement vers le sol le silence descend,
Comme avec un regret de quitter les cieux vastes,
Comme avec un refus du labeur salissant
De jeter sur les cris humains ses voiles chastes.
Moribondes, les voix, dans leur suprême ampleur,
Yont s'assoupir avec l'inerte effort des râles,
Lointain rappel d'ahans vomis par la douleur,
Et de mots chuchotes au coin des nuques pâles.
Et sous tes plis fermés portant le vague espoir
D'un lendemain nouveau, révélateur d'un monde,
Dans l'âme triste tu descends, ô calme soir!
Mélancolique et doux comme un amour de blonde.
13
194 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
VESPERAL
Dans le calme des soirs pâlis,
Notre étreinte se fait meilleure :
De la sérénité de l'heure,
Frêle amante, tu t'embellis.
Notre étreinte se fait meilleure :
Tu te nommes Amaryllis,
Et le dernier soupir des lys.
Mélancolique, nous effleure.
De la sérénité de l'heure
Naissent pour nos cœurs amollis
Les souvenirs et les oublis ;
L'espoir sourit, le regret pleure.
Frêle amante, tu t'embelhs
De la splendeur extérieure,
Tandis que la chose demeure
Dans le calme des soirs pâhs.
VESPERAL
Ne tends plus vers l'horizon
Tes yeux frissonnants de rêves :
Parut-il une saison
Dont tu n'aies senti les glaives?
Ne hausse plus vers les cieux
Tes yeux fleuris d'espérance :
Les oiseaux des soirs joyeux
Sont partis dans le silence.
EMILE MICHELET. 19o
Ne penche plus vei'S la mer
Tes yeux alourdis de larmes :
La Sirène au vent d'hiver
Perdit l'art sacré des charmes.
LUNAIRE
JE rêve bien souvent d'une femme mystique
Qui glisse autour de moi ses vagues formes nues
Avec la majesté langoureuse des nues
Déroulant dans l'azur leur cortège apathique.
Dans ses yeux clairs repose une flamme extatique,
Et je crois voir flotter sur ses lèvres ténues
Des paroles d'amour vainement retenues,
Des effluves d'encens et des airs de cantique.
Mais elle tient toujours vers les cieux ses prunelles,
Et sur ses lèvres les paroles solennelles
D'amour, sans s'exhaler, meurent l'une après l'une.
Et muette, sans voir, elle m'étreint, très lente
Et très douce, inondant ma tète chancelante
Avec ses cheveux blonds enveloppés de lune.
STANISLAS MILLET
RESURRECTION
Mors et vita duello
Conflixere mirando.
SUR ma tète à demi baissée
Je posais ma main lentement,
Et je sentais que ma pensée
N'avait plus de frémissement.
Je voyais mes enthousiasmes,
Les rêves purs que je rêvais,
Empoisonnés par les miasmes
One soufflent tous les vents mauvais.
L'égoïsme de ta doctrine,
0 siècle, ton doute moqueur,
Plongeant au fond de ma poitrine,
Empêchait de Ijattre mon cœur.
Et lorsqu'on moi fut tué Thomme
Qu'animait la foi du passé,
Il me sembla (|ue j'étais comme
Un cadavre eralvanisé,
STANISLAS MILLFT. 197
Une machine ingénieuse
Qu'un ressort caché fait mouvoir,
Une chose très curieuse
Qui chemine sans le savoir.
Et tout en moi, par la magie
D'un sombre désenchantement,
Dans l'immobile léthargie
S'endormait éternellement.
Tel qu'un mort dans la fosse noire
J'allais bientôt me consumer :
Mon àme ne savait plus croire ,
Mon cœur ne savait plus aimer.
Mais le jour bleu, charmant et rose,
Sait réveiller l'homme qui dort.
En balayant la nuit morose
Qui ressemble tant à la mort.
Un amour plus frais que l'aurore
Et plus ardent que le midi,
Plus pur qu'un ciel que le jour dore,
Recréa mon être engourdi :
L'âme qui croit, l'esprit qui pense,
Le cœur qui sent s'est réveillé
Sous la tant bénigne influence
De mon amour ensoleillé.
198 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
CHANT DE MYRTIS
Myrlis, jeune Troyeniie, captive d'Ulysse, jetée par une tempête sur
une île déserte aveu quelques compagnons, chante ces stances au lever
du soleil.
CE rivage solitaire ,
Pour d'autres plein de mystère,
Est pour moi plein de douceur :
Ici je réponds encore
A tes sourires, Aurore,
Aurore, ô ma blonde sœur !
Aux lointains pôles des mondes,
Sur les plaines infécondes
Où dorment les alcyons,
Et sur la terre opulente.
Tu dardes étincelante
La flèche de tes rayons.
Dans ta marche triomphale,
Douce amante de Céphale,
Tu visites l'univers;
Sous tes baisers l'herbe ploie ;
Tu mêles souvent la joie
Aux tristesses des hivers.
Sœur divine de Cybèle,
N'est-ce pas que je suis belle.
Et que nous nous ressemblons ?
Nos cœAirs ne sont point moroses.
Et nous baignons nos pieds roses
Dans l'eau pure des vallons.
STANISLAS MILLET. 199
0 ma sœur immaculée,
Lorsque ta robe emperlée
S'accroche aux feuilles du thym,
Aède à la voix touchante
Le divin rossignol chante
Les poèmes du matin.
Avec l'aube je m'éveille :
J'entends alors, ô merveille !
Au fond de mon cœur joyeux
Une chanson cadencée
Si douce, que la rosée
Tombe en perles de mes yeux.
Donc, que tout être renaisse
En adorant ta jeunesse
Et la mienne tour à tour !
Que la nature ravie
Par toi revienne à la vie,
Par moi revienne à l'amour.
(Extrait de Vile des Baisers, pièce en un acte.)
'Vvl'/^
y-^-#^
ABBÉ MAX NICOL
LA FEVE
ILS étaient là, campés près d'une vieille église,
Surveillant l'ennemi, sans être vus, gaiement ;
Quand l'un deux, un vieux brave à la moustache grise,
Gourmandant un conscrit qui songeait tristement :
« Allons, dit-il, je hais ces gens à face blême,
Qui rentrent dans leur coque, ainsi qu'un escarg^ot.
Laisse donc de côté ta mine de carême ;
Et puis, tu chanteras, en jouant du flingot.
Vois-tu ma croix, petit? Ça fait lever la tête :
Quand on la sent briller sur son cœur, on est fier.
— Je voudrais bien l'avoir aussi. — Mais ça s'achète :
Il faut donner son sang. — Bah ! ce n'est pas trop cher. »
Et le conscrit, levant sa figure enflammée,
Regardait, sans pâlir, de ses yeux éblouis.
Le rude vétéran d'Afrique et de Crimée,
Redevenu soldat pour venger son pays.
« Bravo ! dit le troupier ; mais d'où vient ton air triste ?
— C'est que. . . — C'est que parfois l'on tremble pour sa peau ?
Qu'on a peur, n'est-ce pas ? de compter sur la liste
De ceux qui sont tombés sous les plis du drapeau?
ABBÉ MAX NICOL. 201
— Non ! l'ainoiir du pays des enfants fait des hommes,
Qui meurent, s'il le faut, et ne reculent pas.
Si je rêve aujourd'hui, c'est que de doux fantômes
Viennent me rappeler les miens, qui sont là-bas.
L'avez-vous oublié? demain, c'est grande fête.
Dans la vieille maison perdue au fond des bois,
Je vois, avec mon cœur, la famille inquiète.
Sans moi, se réunir près du gâteau des rois...
— Allons, dit le sergent, faut pas pleurer : c'est bête! »
Et sa main essuyait furtivement ses yeux.
« A festoyer sans nous la famille s'apprête ;
Le regretter, c'est lîien ; mais l'imiter, c'est mieux. »
A ces mots, la gaieté reparait dans le groupe.
Un four est là, tout près, au penchant du coteau :
De ses habiles mains l'artiste de la troupe
Façonne avec amour un énorme gâteau.
Ce n'était qu'un amas de farine noirâtre ;
Mais, contents de leur œuvre et narguant le péril,
Les soldats le portaient sur les pierres de l'àtre,
Embroché crânement au canon d'un fusil.
« Attendez! s'écria soudain l'enfant. — Attendre?
Ce petit volontaire est comique aujourd'hui.
Quand on fera les parts du gâteau jaune et tendre...
— Mais il y manquera... — Quoi donc? — La fève. — Ah! oui!
— Je voudrais bien pourtant la trouver dans la mienne.
Sans elle, pas de roi; sans roi... — C'est désolant! »
Il n'avait pas fini, qu'une balle prussienne,
A deux pas, sur le mur, s'aplatit en sifflant.
« Merci, messieurs ! reprit le héros : c'est la fève.
Enfournons maintenant le chef-d'œuvre, et demain
Avec tous les soucis nous ferons une trêve.
Pour fêter dignement le roi, le verre en main.
— Adopté ! »
Le jour vint, et la pièce royale
Couronna le banquet eu charmant tous les yeux.
202
LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Dans la part du conscrit on retrouva la balle ;
Il fut acclamé roi par ses amis joyeux.
Et, pendant que leur joie éclatait en fusée,
Ébranlant de ses cris leur salle de gala,
Le roi d'un jour, prenant la fève improvisée,
Murmurait tout rêveur : « Je leur rendrai cela. »
Il la rendit, deux jours après, avec usure.
Parmi les corps tombés sur le gazon sanglant.
Plus d'un reçut de lui sa dernière blessure ;
Et, quand le vil troupeau prit la fuite en tremblant,
Seul contre trois Prussiens acculés dans un bouge,
Il frappait sans relâche... il tomba sans effroi.
On lui mit pour emplAtre un bout de ruban rouge ;
Et le petit soldat fut heureux comme un roi.
ADOLPHE ORÂIN
DE BOURG-DES-COMPTES A POLIGNE
PROMENADE D'HIVER
JANVIER est un dur mois, au pays de Bretagne,
Les brouillards sont épais et le vent fait fureur ;
La neige, bien souvent, recouvre la campagne,
Quand le torrent mugit au pied de la montagne
Qu'effleure de son aile un héron voyageur.
Qu'importe les saisons? L'hiver même a son charme,
Avec ses noirs frimas ou son grand manteau blanc;
La goutte d'eau se change en diamant ou larme;
Le braconnier, au bois, dissimule son arme;
Tout au fond d'un fossé, le geai déterre un gland.
Un dimanche matin, selon mon habitude.
Je parcourais à pied un chemin tortueux,
Allant vers Poligné. Le temps était très rude
Et les lourds paysans, à la sombre attitude.
Avec leurs gros sabots cheminaient deux par deux.
204 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
D'un côté de la route une immense vallée
Que découpe un ruisseau, brillant fdet d'argent;
Sur le bord des talus , comme une longue allée
De gros châtaigniers gris. La mésange éveillée
Pour saisir un insecte aux branches se suspend.
A gauche du chemin, se dresse un tertre aride,
Où de sombres ajoncs montrent quelques fleurs d'or.
Au bout d'un fil soyeux une humble chrysalide,
Que soutient un rameau, s'agite dans le vide,
Rêvant du beau soleil que verse Messidor.
Au milieu d'un landier on voit une chapelle,
Vieille de trois cents ans. Elle fut autrefois
Le temple d'un grand fief que le vieillard appelle
Fief de la Chalouzais. Au printemps l'hirondelle
Colle un nid au clocher et perche sur la croix.
Sur la glace, à genoux, à deux pas d'un calvaire,
Une femme gémit sa tète dans la main.
Un jeune enfant me dit : « De Georges c'est la mère,
Sans pain et sans abri , plus rien que la misère ,
Elle n'avait qu'un fils, il est mort au Tonkin!... »
,_^iia.-Uf^"^-^,^iiaSi4_jj_
JOS PARKER
(JOSEPH PARQUER)
LE CORN-BOUD
'(fragment)
AS-TU bien regardé la ferme, au crépuscule,
Alors que l'horizon clans la brume recule,
Que le couchant rougit entre les rameaux verts,
Comme des yeux de feu dans le ciel entr'ouverts,
Quand le bruit du labour s'éteint, et que les crèches
Répandent dans l'air doux l'odeur des pailles fraîches?
As-tu vu le retour des troupeaux mugissants?
Le pâtre qui se pend aux chevaux bondissants ;
Les bêtes lentement s'arrètant à la source,
Pour y boire un moment et reprendre leur course ;
Cette vieille branlante, au seuil, filant le lin,
Comme un reflet vivant du jour à son déclin,
Tandis que, dans le ciel majestueux, la lune
Brille paisiblement sur la chaumière brune...
Après le grand chemin, un petit sentier vert ;
Des taillis ; un courtil de ses pommiers couvert ;
Du chanvre, des pruniers, . . . puis trois marches de pierre,
Pour monter le talus, et nous fûmes dans l'aire.
206 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Le seuil de la maison n'était pas clos encor ;
Parmi ses longs cheveux épars en boucles d'or,
A terre, presque nue, une petite fille
Se roulait ; le fermier aiguisait sa faucille;
Nous entrons. Aucun bruit ; tout était calme et noir.
A peine si nos yeux dans l'ombre pouvaient voir
La fillette courant derrière son aînée,
Qui berçait un petit près de la cheminée,
Le bahut, le lit clos, et l'àtre sans tisons.
L'homme vint... Cependant qu'avec lui nous causons
La servante apporta le Corn-Boiid.
— Ah! c'est elle
Qui me fait conserver ce souvenir fidèle,
Et placer ce récit au milieu de mes chants.
Comme une fleur cueillie en passant par les champs.
Ses bras levés semblaient ceux d'une canépliore
Antique, qui s'apprête à porter une amphore ;
Ses longs cheveux, serrés sous de minces bandeaux,
Se plaquaient comme ceux d'une nymphe des eaux,
Et la corne gonflait sa lèvre purpurine,
Comme leur bouche unie à la conque marine ;
Et^ pareils à des cris de sauvages aurochs,
Les sons rauques roulaient, au loin, de rocs en rocs,
Courant sur les coteaux et rasant les bruyères,
Traversant les taillis, les landes, les rivières.
Et réveillant, dans l'ombre et le calme des bois.
Tous les échos dormants des âges d'autrefois.
MADAME AUGUSTE PENQUER
MON PAYS
QUEL beau pays que ma Bretagne,
Quand le chaud soleil des étés
Tombe en rayons sur la montagne
Et l'inonde de ses clartés !
Quel beau pays, quand nulle haleine
Ne fait frissonner les halhers !
Quand tout repose dans la plaine
Et dort dans les hauts peupliers ;
Quand nul vol d'oiseau ne s'élance
A travers les grands bois épais ;
Quel beau pays, dans le silence,
Dans le repos et dans la paix !
Et qu'il est bon de fuir les villes
Pour les rivages de l'Armor,
Quand la mer, aux ondes tranquilles,
Couvre d'azur les sables d'or !
208 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Qu'il est bon croublier un monde
Tourmenté par un ouragan,
En écoutant la voix profonde
Et paisible d'un Océan !...
Qu'il est bon d'errer solitaire
Tout à son rêve, tout à soi.
Sur les côtes du Finistère,
Pays où règne encor la Foi ! . . .
Où le Dieu, qu'ailleurs on détrône,
Est toujours le Dieu couronné ;
Où l'astre des Mages rayonne
Toujours sur l'Enfant nouveau-né !
Que la Bretagne est sainte et belle !..
Je suis fière, j'en fais l'aveu,
D'être encore à genoux comme elle ,
Encore à genoux devant Dieu!...
Et, comme elle, toujours croyante,
Les yeux ouverts, mais éblouis,
De voir, moi poète et voyante.
Mon Dieu planant sur mon pays!,..
Quel beau pays que ma Bretagne,
Sous ses longs voiles de brouillard,
Quand le front nu de la montagne
Semble un front chauve de vieillard !
Lorsque l'hiver gronde et foudroie
La cime des rocs de granit,
Et que tous les oiseaux de proie
Pour l'orage quittent leur nid ;
MADAME AUGUSTE PENQUER. 209
Lorsque tous vont à la curée
Comme des dogues dévorants,
Fous de cette rage enivrée
Des petits contre les plus grands,
Poursuivant ainsi, dans Tespace,
La route du vaisseau géant
Qui sombre sous Forage... ou passe.
En roi, maître de l'Océan !...
Quel beau pays que ma patrie !
Pays des forts et des ékis.
Où l'honneur se révolte et crie
Contre qui ne l'écoute plus ;
Contre la froide indifférence
Qui frappe et détruit, en ce jour,
Le plus beau des fruits que la France
Ait cultivé : Le fruit d'amour!...
Quel beau pays que ma Bretagne,
Pays sublime en ses efforts.
Où ceux que l'honneur accompagne
Sont les élus et sont les forts !
Sois bénie, ô Bretag-ne aimée !
Bretagne qui me regardas
Et confias ma renommée
Au nom divin des Vellédas!...
Sois bénie, 6 mon Armorique !
Par moi, bénie !... et, mieux encor,
Par la prêtresse druidique,
Velléda, l'org-ueil de l'Armor!...
14
210 LE PA.RNASSE BRETON CONTEMPORAIN,
SYNDORIX
LE BARDE DE PENMARC'H
(fragment)
L'orage redoublait de furie, et la houle
Jaillissait eu torreuts d'écume sur la foule.
Le prophète, toujours debout sur son autel.
Parlait toujours. Il dit :
<( L'esprit est immortel ;
Comme l'âme, l'esprit est de divine essence.
La mort est le séjour, et la vie est l'absence.
Je vais mourir, afin de revivre au soleil.
Notre globe est obscur et n'a rien de pareil
Aux splendeurs des foyers qu'allument les étoiles.
Je vais mourir afin de perdre tous mes voiles ;
Mais avant de mourir je veux vous dire encor
Ce que VAiveii m'apprend des destins de YArmor :
Un héros, dont l'esprit sera iirand, l'âme grande,
Naîtra dans Rome. Un jour il viendra. Cette lande
Portera la profonde empreinte de ses pas.
L'empreinte sur le sol ne s'effacera pas ;
L'empreinte pèsera sur vos noms, dans l'histoire,
Sur vos titres d'honneur, sur vos titres de gloire,
Et ce front qu'aujourd'hui vous portez haut et fier,
Demain sera courbé sous un talon de fer.
Un seul maitre fera de vous de vils esclaves ;
De vos nobles sayons de honteux laticlaves.
Vous servirez, après avoir été servis ;
Jusque sur vos autels vous serez poursuivis.
Dans vos déserts, au fond de vos forêts de chênes,
Dans vos foyers, partout vous porterez des chaînes.
MADAME AUGUSTE PENQUER. 211
« La Rome dont Brennus pesa la rançon d'or,
« A son tour pèsera les destins de VArmor;
« La Gaule deviendra romaine... Ig-nominie !
« La Gaule servira Rome et la tyrannie!... »
Un cri d'horreur monta vers le barde. Le flot
Répondit par un long et lugubre sanglot.
La chouette des mers frappa le rocher sombre.
Le prophète reprit soudain :
« Quelle est cette ombre
(( Qui traverse la nuit dans un nuage bleu ?
« Que porte-t-elle au front? Trois mots. Trois mots de fru :
« L'Espérance, la Foi, la Charité... Mystère !
(( Trois mots de feu qui vont illuminer la terre !
« Esus, prépare-toi. L'ombre s'avance. Un dieu,
« Ennemi de ta loi, descendra dans ce lieu.
« Esus, un dieu peut donc vivre où vivent les hommes,
« Et marcher comme nousdans lasphère oùnoussommes,
« Avoir soif comme nous, comme nous avoir faim,
(( S'asseoir à nos banquets et rompre notre pain,
« Et garder, dans le sein de l'humaine matière,
« La divinité sainte et pure tout entière ?
« Esus, prépare-toi pour des combats divins.
« Prends ton tonnerre. jNon. Tes tonnerres sont vains.
« L'ombre, qui m'apparaît à travers un nuage,
« D'un seul souffle, d'un seul, détruira ton image ;
« Par ce souffle d'en haut tout sera dispersé.
« L'avenir sortira des cendres du passé ;
« Les dieux disparaîtront dans un grand cataclysme,
« Entraînant avec eux l'autel du druidisme,
« Les idoles, le Gui, le temple, le menhir :
« Des cendres du passé sortira l'avenir.
212 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
« Un dieu d amour naîtra. Le dieu vaincra la haine.
« Bientôt l'arbre sacré ne sera que le chêne,
(( Irmensul n'existera plus,
« Les froids autels, épars dans les froides enceintes,
« Tomberont foudroyés au pied des arches saintes,
« Asile des nouveaux élus.
« Une croix régnera, calme dans son prestige,
« Et féconde et bientôt forte comme une tige
« Qui supporte de forts rameaux.
« Le sang- d'un Homme-Dieu rougira ses racines,
(( Fertihsant partout les semences divines,
(( Partout stérilisant les maux.
« Une croix régnera, seule, puissante et ferme :
(( Règne de l'Infini sans mesure et sans terme
« Et debout pour l'Eternité ;
« IN'ayant qu'un appui : Dieu ! mais ayant trois symboles ;
« Mais ayant, au fronton divin, les trois paroles :
« Espérance, Foi, Charité.
« Lettres de flamme et d'or dans des traces funèbres,
« Ces mots rayonneront sur un fond de ténèbres ;
(( Le dernier druide à genoux,
« Débris dans les débris des idoles celtiques,
u Et ruine au milieu des raines antiques,
« Dira : — Yoici Dieu ! courbons-nous !
LOÏC PETIT
I]
LE RIVAGE
ANS un lointain floconneux, pâlissant,
As-tu vu s'enfuir le rivag'e?
Ami, comme il va s'efTaçant
Aussi vaporeux qu'un nuage !
Ilolà ! hé! matelots, de vos robustes bras
Hissez là-haut la toile grise!
Hissez la toile au haut des mâts!
n souffle une joyeuse brise.
Bientôt sur l'horizon sans fm,
Au-delà de la mer profonde.
Nous irons voir quelque matin
Le grand soleil du nouveau monde !
Bientôt l'orage grondera
Avec sa magique harmonie ;
Et la tempête entonnera
L'hymne de terreur infinie.
Ou bien les flots majestueux ,
Bleus comme un ciel ou semés d'étincelles,
Nous berceront, après des jours heureux,
Pendant des nuits plus belles.
214 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
CependaDt, au départ, n'avons-nous pas laissé,
Ami, dans notre ardeur extrême,
Un cœur qui n'était pas lassé
De nous répéter qu'il nous aime ?
Ami, te souvient-il
De ce foyer chaud de tendresse
Où nous reçûmes la caresse
De nos premiers soleil d'avril?.,.
Heures saintes trop tôt finies,
Où donc retrouver maintenant,
Dans nos ressouvenirs d'enfant.
Vos parfums et vos harmonies?
Ilélas ! les jours sont courts, fragile est le destin.
Nos pensers s'envolent moroses :
Adieu, foyer héui, qui gardes dans ton sein
Le trésor de si douces choses I
Dans un lointain floconneux, pâlissant.
As-tu vu s'enfuir le rivage?
Ami, comme il va s'effaçant.
Aussi vaporeux qu'un nuag-e !
EMILE PEYREFORT
LE FAUCHEUR
LE COU musclé, saillant de sa chemise ouverte,
Le faucheur fait siffler sa faulx, et, se tlressaat,
Affûte d'un coup sec le fer rude et grinçant
Oii la sève des blés roule une larme verte.
Depuis que les grands coqs ont sonné le réveil,
Au miUeu des épis pleins d'un bruit de cigales,
Le geste large, avec des cadences égales,
Il s'avance pieds nus et la tête au soleil.
Voici le soir. Il est maintenant hors d'haleine,
Et s'essuyant le front au revers de son bras.
Sur le sol crevassé que piquent les blés ras,
Lent et morne, il s'assied en regardant la plaine.
Enfin sa tâche est faite. En croulant, la moisson
A tracé sur la terre un lumineux sillage;
Bientôt il reprendra le chemin du village,
Marquant son pas moins lourd d'une allègre chanson,
216 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mais aussi que d'efforts, que d'heures douloureuses!
Pour ce peu de froment quels travaux sont les siens!
Et le noir souvenir de tous ses maux anciens
Yoile l'orgueil éclos en ses paupières creuses.
Il revit les matins éternellement longs
Que l'automne engourdit sous une brume froide,
Tandis que ses chevaux tirent, la tète roide.
L'essieu qui grince et bute au tournant des sillons.
Vient l'hiver. Oh ! les sourds fracas de la tourmente
Qui font crisper les poings et font serrer les dents,
Alors qu'à l'hoi'izon grincent les bois stridents
Et que par les vallons neigeux le grain fermente ;
Puis ce sont des défis, des luttes, des combats,
Sous l'orage, à travers le mistral qui vous broie;
Des combats où, pareils à des oiseaux de proie,
D'épais nuages noirs rôdent par les cieux bas.
Et ce sont les ardeurs blêmes des canicules
Dont le souffle embrasé brûle l'azur flétri,
Et, dans un lourd silence assoupissant tout cri.
Les labeurs sans repos des jours sans crépuscules.
Mais qu'importent les maux soufferts : sur les hauteurs,
Ainsi qu'un lever d'astre apparaissent les meules ;
11 croit ouïr déjà la chanson des aïeules
Se mêler aux fléaux rythmiques des batteurs.
Et consolé, voyant que l'occident rougeoie,
11 se lève, et, joyeux, contemple au bord du champ,
Les moissonneurs lointains qui, dans l'or du couchant,
Semblent danser autour d'un valc feu de joie.
EMILE PEYREFORT. 217
LES CARRIERS
AVEC ses éboiilis criblés de trous béants ,
Où rétiage olîscur des vieux âges s'incruste,
La Combe érige au loin sa montée âpre et fruste,
Formidable escalier taillé pour des géants.
Aveuglés, et des pleurs aux plis de leurs paupières,
Les carriers, soulevant les roches à grands coups,
Dans un effort qui tend les muscles de leurs cous.
S'agrippent, forcenés, aux nervures des pierres.
Les pics tombent d'aplomb et mordent les parois.
Entre deux sourds alians qui tombent par saccades.
Coupant d'un rythme aigu le fracas des cascades
Et le broiement lointain et rude des charrois.
Crispés sous l'étreignant labeur qui les accable,
Ils geignent sans répit, les mornes tâcherons,
Depuis l'aube, ployant leurs reins, courbant leurs fronts.
Sous l'éternel fardeau d'un soleil implacable.
Mais, à leurs pieds, les blocs s'entassent; derrière eux
Les granits déchirés saignent par larges brèches ;
Et brisés, s'arc-boutant au sol de leurs mains rêches,
Ils viennent de s'asseoir parmi les buis poudreux.
Oh! les sources jouant sous les forêts prochaines!
Pas un ombrage étroit pour draper son repos !
Qu'il ferait bon, hélas! vil meneur de troupeaux,
De dormir sa journée assis au long des chênes !
218 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ils se passent, muets, le grès empli de vin,
Et sans que leur bras cherche à soulever leurs rides.
Étouffant leur souffrance en les ardeurs torrides, /
Pris de sommeil, ils ont roulé par le ravin.
Et le calme descend sur leur âme ravie,
Et dans un rêve immense, ils s'imaginent voir
Dalles, pans et quartiers de roches se mouvoir,
Comme pris brusquement d'une fébrile vie.
De hardis compagnons s'agitent par milliers.
Hissant les madriers ou nouant les cordages,
Et par la chaux fumeuse et les échafaudages,
Le faite des maisons saille des hauts piliers.
Et la ville s'étage avec ses toits sans nombre,
Enjambant plaines, monts, et roulant vers les cieux,
En sorte que l'esprit se demande, anxieux.
Si la brume des nuits ne vient pas de son ombre ;
La ville avec sa vaste enceinte de remparts
Endiguant une foule énorme qui se rue.
Où parmi les rumeurs confuses de la rue,
Les métiers vagabonds jettent leurs cris épars;
La ville avec son port plein d'un frisson de voiles
Et d'une exaspérante odeur de cargaisons.
Et dont les fiers vaisseaux surgis des horizons
S'avancent en traînant un sillage d'étoiles !
Et le songe s'étend et se recule encor.
Et voici qu'à travers un nimbe ardent, rutile,
Des degrés du perron aux fûts du péristyle,
La masse des palais vermeils, aux rampes d'or.
EMILE PEYREFORT. 219
Tours, chapiteaux hantés par la candeur des marhres ;
Terrasses déroulant d'indolentes ampleurs;
Belvédères grimpés sur leurs porches en fleurs ;
Fontaines s'évasant, sveltes, sous les grands arhres ;
Corniches de porphyre et coupoles de feu,
Frontons ornés d'acanthe où les amphores souples
Semblent de blancs ramiers qui dormiraientpar couples;
Aqueducs charriant ce fleuve : le ciel bleu ;
Tout cela se pavoise aux fêtes des vêprées,
Cependant qu'incliné vers un arc triomphant,
L'astre rouge, au travers des nuages qu'il fend.
Entre en roi, revêtu de flammes empourprées!
Et partout, redoublant ses cris et ses travaux,
L'âpre cohue, avec ses gestes frénétiques,
Envahissant les quais, les places, les portiques.
Dans un long tourbillon d'essieux et de chevaux,
Clame ou hennit, bondit ou choit, piaffe ou se cabre.
Pour se perdre en le noir tumulte des faubourgs,
Tandis que la rumeur allègre des tambours
Roule au lointain que coupe une lueur de sabre.
Telle dans sa furie et son affolement
La ville débordante et fiévreuse se dresse,
Si bien que, pris aussi d'une sorte d'ivresse.
Le sol semble se mettre en marche, brusquement.
Et dans un soubresaut s'est envolé le rêve;
Et plus fiers, les carriers lèvent leurs fronts sereins ;
Et, de leurs yeux, fouillant les replis des terrains,
Cherchent à ressaisir la vision trop brève.
220 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Et par-delà les monts crénelés comme un mur^
Tout là-bas, leur regard joyeusement s'arrête
A contempler les pics flamboyants dont la crête
Trace une cathédrale immense sur l'azur.
S'
LES FILS DE LA VIERGE
ouPLES et longs, avec leur bout diamanté.
O Les beaux fils de la Vierge errent aux soirs d'été.
Si fraîche est leur blancheur, leur trame est si ténue,
Qu'ils semblent faits avec l'ouate de la nue.
Écoutez : sur les bois tourne un bruit de fuseaux.
Il semble que la main qui tissa leurs réseaux
Y suspendit les ors épars des nébuleuses.
Et le regard qui suit leurs fuites onduleuses,
Aperçoit, au-dessus des berges émergeant,
La lune ronde, ainsi qu'un grand rouet d'argent.
. ..n^^s
■^
^:^
FREDERIC PLESSIS
AU POÈTE DE L\4UR0RE, MAURICE BOUCHOR
TOI qui tenant foulé Satan sous ton orteil,
Appelles dans Tazur ràmc de la patrie,
Alors qu'épaississant sa litière pourrie ,
D'autres semblent vouloir retarder son réveil :
Que ta muse, pieuse amante du soleil,
Dont la voix en accents mystiques chante et prie ,
Nous revienne éblouir en sa robe fleurie,
Glaive d'archange au poing-, sous un casque vermeil !
Puisqu'elle veut le pur règne de la Justice,
Il faut que bien des fois encore retentisse
Sou clairon solitaire aux quatre coins du ciel.
Car voilà bien longtemps qu'infime créature
Bravant son Créateur, l'homme bète et cruel
S'est arrogé le droit d'opprimer la nature.
222 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
MON JARDIN
BORDEAUX
M
ON jardin, ombragé sous l'azur d'Aquitaine ,
Jusqu'en octobre n'est qu'à peine défleuri.
Les érables touffus m'y forment un abri
D'où la ville, à deux pas, semble presque lointaine.
Au désir de repos qui haute un cœur meurtri ,
A la timidité d'une muse hautaine,
Ce réduit, verdoyant comme uu bord de fontaine,
En sa grâce d'automne aussitôt a souri.
Lasse du vent amer et du bruit fou des grèves,
Mon âme, où l)at encore un ouragan de rêves
Dont l'étude et les ans n'ont eu pleine raison.
Mon âme voit ici comme une délivrance
Qu'arbres et murs partout lui ferment l'horizon,
Puisque toute échappée ouvre sur la souffrance.
II
Feuillages lourds et mats, verdure aux clairs reflets,
Géranium éclatant et sombre héliotrope,
Et vous dont le vieux tronc des poiriers s'enveloppe,
0 mes volubilis roses et violets !
FRÉDÉRIC PLESSIS. 223
Si votre solitude est celle où je me plais ,
Filles de l'Amérique ou de la vieille Europe,
Apaisez mes fiévreux ennuis de misanthrope,
Et de vos doux parfums, fleurs, rafraicliissez-les.
Veux-tu sincèrement la paix que tu demandes,
Poète? Creuse alors le sol des plates-bandes
Plutôt que de creuser sans profit ton cerveau.
Agis ainsi, ne fût-ce, ermite volontaire,
Que pour t'accoutumer à voir des vers de terre
Dont le commerce, un jour, te sera moins nouveau.
A LA BRETAGNE
BRETAGNE, cc quc j'aime en toi, mou cher pays,
Ce n'est pas seulement la grâce avec la force,
Le sol âpre et les fleurs douces, la rude écorce
Des chênes et la molle épaisseur des taillis ;
Ni qu'au brusque tournant d'une côte sauvage.
S'ouvre un golfe où des pins se mirent dans l'azur ;
Ou qu'un frais vallon vert, à midi même obscur,
Pende au versant d'un mont que le soleil ravage.
Ce n'est pas l'Atlantique et ton ciel tempéré,
Les chemins creux courant sous un talus doré,
Les vergers clos d'épine et qu'empourpre la pomme
C'est que, sur ta falaise ou ta grève, souvent,
Déjà triste et blessé lorsque j'étais enfant.
J'ai passé tout un jour sans voir paraître un homme.
224 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
SINE NOMINE
/
LE jeune lieutenant marche ;\ la mort certaine.
Il a vu, sans pâlir, pâlir son capitaine,
Quand celui-ci, poudreux et blessé : « ?{ous fuyons.
Vous, prenez vingt soldats, retournez en arrière.
Et faites-vous tuer dans cette fondrière
Pour couvrir le départ des derniers bataillons. »
Il va du même pas qu'aux matins de revue
Quand les Parisiens le suivaient dans la rue ;
Mais, sous le képi rouge aux minces galons d'or,
Il contemple, d'un œil plein de graves pensées,
Les formes de la vie à l'horizon dressées
Qu'à peine verra-t-il quelques heures encor.
Puis, baissant la paupière, au-dedans de lui-même
Avec les yeux de l'âme il revoit ce qu'il aime :
Sa mère en cheveux blancs, que tuera la douleur;
Sa sœur, près d'une amie^ à genoux dans l'église,
Si jeunes toutes deux... si chères! Tout se brise,
C'en est fait, et le rêve est tranché dans sa fleur.
Va! ta part sur la terre est toute dépensée.
Porte jeunesse, amour, force, avenir, pensée.
Où le devoir le veut, en pâture au canon.
De rien de consolant ta vertu n'est ternie :
Car nul n'assistera ta sanglante ag'onie,
Et ceux pour qui tu meurs ne sauront pas ton nom.
rRÉDÉRIC PLESSIS. 223
GLOIRE LATINE
NE crains pas. si la route est sombre où je te mène
L'ombre y vient des lauriers mêlés aux tamaris,
De ceux-lA qui plaisaient à la muse romaine
Quand TAurore et Yesper connai salent Lycoris ;
Quand l'eau de Bandusie, interdite au profane,
Dans son cristal, teinté par la rose et le vin,
Reflétait un front d'or de jeune courtisane
Auprès de ton front brun, poète au chant divin !
Quand, d'ache couronné, le nom de Quintilie,
Ou le tien, IXémésis, ou, ?s^éère, le tien.
Avaient conquis le monde à la mélancolie
Avant la mort de Pan et le règne chrétien.
La Ville ne voit plus, du haut des sept collines,
L'univers saluer ou César ou consul,
Et l'avenir, promis par les voix sibyllines,
N'est plus, dans le passé, qu'un fier et vain calcul.
»
Mais l'ombre de Gallus, mais l'âme de Virgile,
Sous les pins du Galèse, en la brise, passant,
Mais, taillés avec art dans l'écorce fragile,
Les Amours, avec elle, après elle croissant ;
Oui, l'Amour et la Muse, et la grâce éloquente
Des tours où le génie épuise ses secrets ;
Oui, la coupe de hêtre où s'enroule une acanthe,
Où la lyre d'Orphée entraine les forêts ;
15
226 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Du bois fie drynium à la mer de Sicile
Tout s'aniiuant aux sons des chalumeaux d'Ascra,
Et Fautel à Daphnis et le tigre docile,
Daphnis qu'aimait Paies et qu'Apollon pleura ;
Et Tcige d'or rustique et pourtant consulaire,
Tout ce dont notre enfance a redit la beauté,
Ce rêve, à jamais pur, d'un long rayon s'éclaire
Et donne à qui l'honore une immortalité.
De demain ne craignant ni l'oubli ni l'insulte.
Pour avoir, deux mille ans bientôt, bravé leurs coups,
Ce monde sans égal offre à qui cherche un culte
Ses temples habités par des dieux grands et doux.
C'est pourquoi, méprisant la foule, ne redoute
Ni les affronts nouveaux, ni les futurs dangers,
Ni ces arbres qui font de l'ombre sur ta route :
Avance, avance encore, enfant aux pieds légers !
Au fond de l'avenue où tu veux bien descendre.
Comme une blanche tour, vois luire ce tombeau :
C'est là, dans le paros protégeant notre cendre.
Qu'on inscrira ton nom sous l'arc et le flambeau.
Et nos noms et nos cœurs et mes vers déjeune homme,
Unis au grand passé par de nobles liens,
Revivront dans la vie éternelle de Rome
Et dans l'écho sacré des chants Yirgilieus.
VICOMTR ROBERT DU PONTAVICE DE HEUSSEY
^.V CORNOUAILLE
LES maîtres habitaient un modeste manoir
?s^on loin du erand chemin qui passait sans le voir,
Grâce au double rideau de branche et de feuillag'e
Qu'autour du vieux logis avait épaissi làg-e,
Tel que de la fenêtre on ne se doutait pas
Du tableau spacieux ([ui s'ouvrait à deux pas.
Mais comme on l'embrassait sitôt dans la campagne
Ce paysag-e intime à la Basse-Bretagne!...
Couvertes de débris et d'un maigre gazon
Les montagnes d'Arrhes traînent, à l'horizon.
Comme un fardeau trop lourd leurs masses uniformes
Que rompent seulement quelques brèches énormes
Où, vu le ciel sauvage et Tàpreté de l'air.
Involontairement les yeux cherchent la mer.
Un sol mouvementé, que découpent par bandes
Les champs, les bois taillis, les marais et les landes,
S'élance de leurs pieds, et de plis en replis,
Se perd dans le lointain comme un large roulis.
De ce terrain fuyant, pareils à des balises,
Les croix, les vieux men-hirs, les cimes des églises,
228 LE PARNASSE BRETOiN CONTEMPORAIN.
Une ruine, un chêne, un revêche hameau,
Un seul toit de genêts fumant sur un coteau
Montent de loin en loin avec une attitude
Farouche et qui convient à cette terre rude;
Au centre Plouié tient, comme un glaive bénit,
La pointe vers le ciel, son clocher de granit;
Au delà Lokefred et ses pâles bruyères,
A droite Brenilis debout sur les tourbières,
Le sombre mamelon de Saint-Michel au bord
De son fleuve muet et de son marais mort;
A gauche, vers Carhaix, dont les tours la dominent,
Comme un serpent coupé dont les tronçons cheminent,
La vieille grande route, au hasard du terrain
Ou contourne ou gravit les hauteurs de Gourin.
Sur ce panorama flottent les ombres vastes
Et les vastes lueurs d'un ciel plein de contrastes,
Ciel vraiment théâtral, soumis par TOcéan
Tantôt au calme plat, tantôt à l'ouragan
Qu'apporte le vent d'Ouest à l'heure des marées;
Ciel où la pluie ondoie en masses éclairées
Par un pâle rayon, où l'aurore, en été.
Porte un voile brumeux et parfois argenté.
L'air a des chants de guerre, ou murmure des psaumes;
Les brouillards au vallon font surgir des fantômes
Qui s'emparent du jour, ou montent les degrés
Sinistres et lointains des montagnes d'Arrhes
Sous les rayons sanglants du soleil qui se couche.
Puis vient la nuit d'hiver et sa lune farouche
Avec les hurlements du fauve carnassier
Et son azur profond aux étoiles d'acier.
Ciel des Cornouaillais, ciel terrible et superbe
Qui dispute au colon le fruit, l'arbre, la gerbe,
Le foyer ! C'est pourquoi la prudente maison
Avait massé des bois entre elle et l'horizon
Et tiré sur ses yeux ce voile nécessaire.
VICOMTE ROBERT DU PONTAVICE DE HEUSSEY. 229
La cour se prélassait dans cette vaste serre
Avec son attirail, ses poules, son vieux puits;
Le jardin y cachait sa tonnelle de buis.
Ses larges tulipiers, ses cyprès, ses mélèzes,
Ses rouges framboisiers, ses bordures de fraises,
Et son petit parterre où Ton voyait souvent
Les fleurs rire au soleil en écoutant le vent.
Mais qu'il avait fallu de soins et d'artifices
Pour couvrir le logis de ces arbres propices
Et pour les protéger de l'orage envieux.
C'était du trisaïeul que dataient les plus vieux.
Le jour où son aîné recevait le baptême ,
Il planta le premier, comme il écrit lui-même ;
Et le curé, son aide, à l'œuvre s' échauffant,
Avait béni la plante ayant béni l'enfant.
A partir de ce jour on vit les routes nues
Se changer, sous sa main, en larges avenues,
Autour de la maison les ombrages grandir,
Dans les vergers voisins les pommiers s'arrondir,
Les semis de sapins couvrir les froides terres
Et les chênes peupler les talus solitaires :
Ainsi qu'un général dans un fort assiégé
Visite, après le feu, l'ouvrage endommagé.
Les vides qu'ont creusés la bombe et la mitraille
Dans chaque régiment et dans chaque muraille
Et, pour remettre au pair la place et ses abords,
Ferme la sombre brèche et remplace les morts ;
Après les coups de vent, la pluie et les gelées,
Le planteur dihgent parcourait les allées,
Les talus, redressait les jeunes plants courbés,
Remplaçait les sapins ou les chênes tombés
Et, secouru du temps, opposait à l'orage,
Plus large et plus épais, son bouclier d'ombrage;
Bientôt, grâces aux nids qu'ils pouvaient abriter.
Les arbres plus touffus se prirent à chanter;
230 L^. PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Par leurs rideaux flottants les roses garanties
Leur durent leur fraîcheur; dès lors des sympathies
Lièrent la famille et les bois d'alentour,
Doux nœud que l'habitude avait fait jour à jour
Et qu'elle resserrait jour à jour en silence;
Enfants, oiseaux avaient un air de ressemblance :
Quand le chef, couronné de ses beaux cheveux blancs,
Soutenant d'un bâton ses pas un peu tremblants.
S'en allait visiter les plants déjà robustes.
Tous le reconnaissaient, des arbres aux arbustes;
Il courait dans la feuille un frisson de plaisir,
La branche se baissait, qu'il désirait saisir;
Si parfois, avisant un chêne plein de force,
D'un geste satisfait il en frappait lécorce.
Comme il le rendait fier!... Il parlait à chacun.
Le sage qu'il était, un lang-age opportun ;
Quelque chose de lui passait dans ses élèves!
Lui-même reprenait de la vie à leurs sèves
Et de ses ans chenus oubliait la moitié.
Oh ! vous ne savez pas quelle bonne amitié
Le travail établit entre la terre et l'homme.
Vous les gens du trottoir, vous dont la faim consomme
En vos larges festins, pleins de lièvre et de bruit.
Le fruit du bon sillon, le vénérable fruit;
Votre or peut acheter ce que le corps réclame.
Mais l'aliment n'a plus le suc qui nourrit l'âme,
Et, croyant vous asseoir au banquet des élus,
Vous ne mangez qu'un pain sous le{[uel Dieu n'est plus.
Mais celui qui nourrit la terre maternelle
Non seulement pour soi, mais par amour pour elle.
Qui du sable au rocher, de la plaine au coteau,
La couvre jour à jour d'un radieux manteau
De fruits et de moissons, de forêts, d'herbes grasses,
En reçoit à sou tour des faveurs et des grâces.
Je ne sais quelle effluve au feu doux et puissant
VICOMTE ROBERT DU POrSTAVICE DE IIEUSSEY. 231
Lui monte dans le ca'ur du sol reconnaissant.
Vieux, en dépit du temps sa voix est jeune encore,
Sa tête vénéraljle a des reflets d'aurore,
D'un tranquille bonheur son œil est animé.
De quelqu'un d'éternel on sent qu'il est aimé !
On dirait, au moment où ce vaillant décline,
Que la terre fait signe aux champs, à la colline,
Aux bois affectueux, aux tremblantes moissons.
D'apaiser les lueurs et d'affaiblir les sons.
Décroissant par degrés vers l'ombre et le silence
Afin de lui changer la mort en somnolence !
Quand le corps du planteur, porté par les fermiers,
S'en alla du milieu des bois et des pommiers
Avec le fils aîné qui suivait, tète nue ,
Pendant que le convoi passait dans l'avenue.
Oh ! comme on s'aperçut que les arbres en deuil
Regrettaient celui-là qu'enfermait le cercueil !
Les plus voisins tâchaient de toucher de leurs branches
Le funèbre manteau qui recouvrait les planches,
Les faibles frissonnaient et, pour lui faire honneur.
Les plus forts s'inclinaient devant leur vieux seigneur,
Secouaient leur couronne et jetaient sur la bière
Une feuille, une fleur, une larme dernière ;
Les oiseaux se taisaient, en songeant que le mort
Avait créé pour eux l'ombrage où le nid dort :
Dernier remerciment, adieu charmant et triste
De la nature à l'homme et de l'œuvre à l'artiste !
La tombe du planteur est à Loc-Maria.
Arbres, roses, vergers, aucun né l'oublia.
Un poète passant par les vertes allées
Entendit bien longtemps après, dans les feuillées,
Tout ce peuple ombrageux, pour d'autres endormi,
Murmurer, chaque soir, le nom de son ami !
ONÉSIME PRADÈHE
LES DEUX VOYAGEURS
LE ruisseau court dans sa patrie ;
Le jeune homme, hélas ! en est loin.
Tous deux s'en vont de compagnie ,
A travers la lande et le foin.
L'œil de l'adolescent se mouille,
11 marche d'un pas soucieux ;
Le ruisseau, lui, gaiement gazouille
Sur son petit lit rocailleux.
La lèvre du jeune homme, au pâtre
Qui sourit, répond tristement ;
Mais le ruisseau coule folâtre,
Saute et hondit joyeusement.
Tous deux maintenant en silence
Descendent le même chemin :
Le ruisseau moins joyeux s'élance ;
Le jeune homme a l'air moins chagrin.
ONÉSIME PRADÈRE. 233
Dites-moi, je ne comprends guère
Ce changement dans votre sort,
Toi, ruisseau, si content naguère ;
Toi, garçon , si triste d'abord !
Lentement le ruisseau se traîne
Sous riierbe verte et le cresson ;
Le g'arçon sourit à la plaine.
Pousse un cri, dit une chanson.
Le ruisseau voit avec tristesse
Qu'il a quitté des lieux chéris ;
Le jeune homme est plein d'allégresse
Il a retrouvé son pays !
LARMES SILENCIEUSES
I^CLAiROT tout à coup de tes feux les campagnes,
Jj Gai soleil, au matin tu te lèves vermeil,
Tu souris aux vallons, tu souris aux montag-nes,
Et tout parait joyeux à ton premier réveil ;
Tu ne te doutes pas que dans la nuit, dans l'ombre.
Quand ton disque à nos yeux lassés se dérobait^
Que, quandtu te drapais dans ton g-rand manteau sombre,
La pluie abondamment sur la terre tombait.
Hélas ! hélas ! combien en voyons-nous paraître
De visages ainsi qui nous semblent joyeux ,
Et qui, de longs instants, toute la nuit peut-être,
Toute la nuit, ont eu des larmes dans les veux.
r"j3TiBaaans?E3;ra!!K!aî2EffïSCf^ifiiiBïai3
N. QUELLIEN
MIN-BE '
I
A
newe koiiet 'barz ar Ger-Vraz,
En lion zouez eunu nozvez deuaz
— Deuz bro ar balan glaz on me ,
Lec'h a giemni d'ann noz ar freze;
Er biniou me oar c'houeza
Ha g'werjo koz 'm euz da gana. —
Ha goude ze n'hen gwelaz den ,
Ka bet he hano klewet ken ;
rs'emed eunn dewez zo laret :
— Hamonik gand Doue zo et. —
ïremenet 'vel ar gwennili
Goude Ijet kanet ouz hou zi.
1. Ces vers ont été lus au Dîner Celtique de Paris, en novembre, au
souvenir de M. Ilamonic , qui tut uii ccltisant de la première heure.
N. Ql'eluen.
N. QUELLIEN
PIERRE TOMBALE
POUR la première fois il venait clans Paris ;
Un soir, il aborda les Celtisants surpris :
« Je suis du vieux pays bordé de genêts verts ,
Où l'orfraie a son chant de nuit, comme aux déserts;
Je tiens le bmlou dont sonnait Matilinn ,
Et je sais les beaux r/ioerz cVAliès ou de Marzinn. »
Retourna-t-il ensuite aux brumeux horizons?
Nul ne parlait du barde aux banquets des Bretons.
Un jour, je leur ai dit , funèl^re messager :
« Dieu l'a trouvé trop las sous ce ciel étranger. »
IL partit dès l'automne, oiseau d'une saison;
L'écho de ses doux airs demeure en la maison.
236 LK P.VRNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
11
Mar klewed 'barz ar c'hoajo don
Eur vouezig" o lenva eur son ,
Son ar barz divroet a vo ,
Dindan kazel ge a g-ano.
'Wecho d'ann noz tro-dro d'al lann
Welfed o vesk eur c'horf en poan :
Eur paourig- en lie binijen,
Kouitet he vroïk da viken.
Ra vo skanv ar goabr o ruzan,
Uz d'al lanneier, en noz-man;
Ha ra stoko didrouz ar mor
D'ar gerek endro d'ann Arvor :
'Wid ann tremeniad ma glevo
Ar barz o lenva er c'hoajo !
N. QUELLIEN. 237
II
Peut-être entendrez-vous au milieu des grands bois
S'élever un chant triste et pleurer une voix :
C'est le vieux barde mort sans pays qui revient
Et qu'un charme cent ans à chanter là retient.
Quelquefois vous verrez sur la lande, le soir.
Un spectre errer autour d'une croix et s'asseoir :
Laissez cette âme en peine ; elle expie en ces lieux
D'avoir quitté le sol consacré des aïeux.
Nuages du grand ciel, glissez légers et blancs
Sur la lande des morts , la nuit des revenants ;
Et sois clémente, ô mer rude! touche sans bruit
Aux écueils de l'Arvor, — pour nos morts ! — celte nuit
Pour que le pèlerin entende au loin la voix
Et la chanson du barde au milieu des grands bois !
HUGUES REBELL
(GEORGES GRASSAL)
LE SACRE DE V ARTISTE
LOIN des vieilles cités où triomphe le Mal,
L'Artiste saint qu'exalte un souriant génie
Va cliercher la rosée aux gouttes de cristal;
La rosée où le jour met sa clarté bénie,
Où les yeux et le cœur trouvent un élixir.
Pour braver la douleur et railler l'ironie.
Il court vers les grands bois et regarde bleuir
Les, cimes des sapins qu'arrose la lumière;
Il lit dans l'horizon où pleure un souvenir.
Kt pour lui le soleil fait rayonner la pierre,
Et la source qui craint de troubler les songeurs,
Eteint le gazouillis de son eau sur le lierre.
Les abeilles déjà laissant le suc des fleurs,
Forment un nimbe d'or au-dessus de sa tête,
Et les prés sonnent au chant des merles siffleurs.
HUGUES REBELL. 239
Tel un lévite pur saluant le prophète,
A son aspect le lis baisse un calice blanc ;
Dans la noire for«!;t tourbillonne une fête.
Heureux, enthousiaste, il marche d'un pas lent;
Il s'enivre à longs flots de parfums, de nuances,
Et sent battre son cœur dans un mystique élan.
Car la Gloire qu'il prie en ses soirs d'espérances,
Pose sur son front mûr pour Tlmmortalité ,
La couronne qui fait oublier les souffrances :
« 0 prés resplendissants d'amour et de clarté ,
Clame-t-il à la Terre, annonçant sa venue,
De quels divins tableaux m'avez-vous enchanté!
(( Yous avez rajeuni d'une robe inconnue
L'ancienne majesté dont j'avais autrefois
Gardé le souvenir dans ma mémoire nue.
(( Je vous retrouve encor plus riants, je vous vois
Plus adorables qu'aux songes de mes veillées.
Je m'entends acclamer par un millier de voix.
u Que vous ai-je donc fait, rives ensoleillées,
Pour murmurer en chœur de si douces chansons,
Et vous , nénuphars blancs, roses échevelées?
Et la Terre parmi les couleurs et les sons ,
Dit au penseur ému qui loue et s'extasie :
« Prêtre, tu n'es pas le seul que nous caressons.
« Nous offrons à chacun une même ambroisie ,
Mais ils refusent tous le breuvage des dieux :
Par le plaisir, l'arg-ent, leur vue est obscurcie.
240 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
« Leur cœur ue s'émeut pas du bel hymne joyeux
Que chuchotent les Bois à l'Après-midi blonde ,
Les Cigales aux Fleurs des verts Gazons soyeux.
« Leurs rêves ne vont point aux méandres de Tonde,
Glisser, s'évanouir en mystérieux phs
Comme un vol de lutins dont s'effare la ronde.
« Pourtant ces yeux fermés aux choses que tu lis,
Ces esprits végétant sans amour et sans joie.
Que dédaigne la Mort, tant ils sont affaiblis!
« Ces hommes-là triomphent sous les dais de soie ,
Ils te volent la gloire et tôt ils oseront
Te meurtrir, te briser l'âme comme leur proie.
« Jusqu'alors prodiguant le mépris et l'affront,
Ils régnent, rois d'un jour, sur des trônes de cendre,
Mais un sacre réel illumine ton front :
Le mystère dps champs que seul tu peux comprendre.
DIMANCHE DES BORDS DE LA MER
LE ciel a pris le bleu de la pâle saison
Où le soleil mourant s'enfonce dans la brume,
Et sa lumière brode une frange d'écume
Aux sillons déroulés jusqu'au rouge horizon.
Parfois les champs déserts tressaillent d'un frisson
Au vent battant la mer comme une immense enclume;
Tout au loin une étoile étincelle et s'allume
Au vitrage ébréché d'une pauvre maison.
HUGUES reëëll. â4l
Le village s'endort. Aux portes des masures
Une vieille apparaît dans les blanches cassures
De sa coiffe de fête aux ailes de moulin.
Et rien ne vient troubler cette calme tristesse ;
Sauf un vol de pigeons, et sortant de la messe,
Un pas lourd de travail, craquant sur le chemin.
LA CHEVAUCHÉE DES PREUX BRETONS
LES clairons ébranlant le caveau sépulcral
Ont réveillé les Preux aux farouches crinières :
Tenant leur glaive nu, sous les plis des bannières,
Ils défdent ainsi qu'aux jours pieux du Gral,
Tous, les croisés blessés montrant leur cœur féal.
Les chevaliers chassant les monstres des tanières,
S'en vont revivre les l)atailles meurtrières,
Chantant les g-rands combats et l'amour idéal.
Des tours de Jocelyn au chAteau de Goulaine,
La chevauchée à travers la lande et la plaine,
Quand l'église est muette et le foyer s'endort,
Passe sur ses coursiers aux naseaux pleins de flammes,
Et la lune bénit de ses caresses d'or
Les hauts casques d'acier sous les verts oriflammes.
16
ARY RENAN
A LA DOUCE LUNE
LORSQUE le crépuscule étend son voile noir
Sur le jardin des cœurs où les fleurs sont pâmées,
Les pauvres fleurs d'amour tendent, pour être aimées,
La chair de leur corolle aux caresses du soir.
Viens, beau disque d'araent, impassible miroir !
Emplis les horizons de bleuâtres fumées,
Sur le rideau nacré des paupières fermées
Versant Toubli, l'extase et l'immortel espoir;
L'oubli des bruits du monde et des volontés vaines,
L'extase du silence et des langueurs sereines.
L'espoir des nuits sans nombre et d'un néant sans corps.
Ravis nos âmes sœurs, comme en apothéose,
Dans la paix d'un sommeil sans crainte et sans remords,
Et fais de nos deux cœurs u?ie immobile chose.
ÀRY ftËNAN. â4â
A UN BARDE
BARDE breton qui vas, cherchant partout les dieux,
N'as-tu pas rencontré, dis-moi, la belle Urgande,
Ou les vieux saints venus, à la voile, d'Irlande,
Dans une auge de pierre, eu péril des flots bleus ?
N'as-tu pas découvert, dans quelque Broceliande,
Le manteau de Merlin, assez grand pour nous deux ?
N'as-tu pas recueilli, comme un tendre amoureux.
Des cheveux de Viviane, accrochés dans la lande?
As-tu trouvé la table où s'est assis Arthur,
Aux vieux temps que les Preux, ivres d'hydromel pur
Chantèrent les bardits, couronnés d'anbépine?
Ou, quand tu te sens las, à l'approche du soir,
Pour étancher ta soiF, as-tii, sous le bois noir,
Bu dans l'Urne enchantée où buvait Mélusine?
BI^:[1TI{ÂND ROBinOU
LA CATHEDRALE
SALUT ! palais de Dieu, superbe cathédrale
Où s'ouvre avec splendeur l'ogive magistrale !
Éblouissant vitrail déployé sur l'autel,
Comme un reflet lointain de la gloire du ciel !
]Nef aux faisceaux légers, à la forme élancée,
Jusqu'au trône éternel emportant la pensée !
Sanctuaire profond plus merveilleux encor !
Colonnes qui, prenant votre multiple essor,
Bondissez d'un seul jet jusqu'aux voûtes hardies
Sous le dôme imposant avec grâce arrondies !
Lianes de granit courant sur les vitraux,
De feuilles et de fleurs tressant les chapiteaux !
Arcades embrassant l'enceinte de vos ailes,
Pour voiler le Très-Haut et couvrir les fidèles!
Double étage brodé dans la muraille à jour
Dont l'ample galerie éclaire le pourtour.
Coupoles du saint lieu vers la nue envolées,
Avec le vaste cri des cloches ébranlées,
Quand l'orgue, préludant à des concerts nouveaux,
De six siècles de chants éveille les échos !
TIEUTRAND ROTîIBOU. 215
Ensemble ravissant de svelte architecture
Où Tàine, devinant sa sublime nature,
Lit sa grandeur empreinte au front de l'art chrétien
Et reprend vers le ciel son vol aérien.
Mon Dieu ! qu'il est heureux celui qui te contemple !
Ici tout prie, adore et chante avec le temple,
Et chaque arceau gothique est un accord jeté
Pour célébrer ta gloire et ton éternité !
LES FLEURS QUI PARLENT
C'est le goût qui fait la parure
Et les fleurs savent s'habiller.
Sans le céder, je vous le jure,
Dans le g-rand art de babiller.
Souvent j'admire les toilettes
Que leur tisse Monsieur Printemps ;
Je vois que dames et fillettes
Ont des costumes éclatants.
Les époux sont-ils toujours sages?
Qu'importe? Ils sont gentils toujours;
La brise échange leurs messages,
La brise sème leurs amours.
Et fleurs et papillons, sans doute.
Forment les concerts les plus doux.
La fauvette, ravie, écoute.
Et les rossignols sont jaloux.
246 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ainsi la nature éternelle,
Qui de soleils peuple les cieux,
Sur la terre ici renouvelle
D'autres paradis sous nos yeux.
Ces parfums, ces rayons, ces gammes,
Invitant doucement les cœurs,
Semblent aux sympathiques âmes
Des voix, des amantes, des sœurs.
Donc promenant par les campagnes,
INous trouverons à qui causer,
Car les fleurs, coquettes compagnes,
INe demandent qu'à deviser.
PAN0RA3IA D'UN BEAU PAYS
(PRÉFACK PU SECOND VOLU-MEj
Qu'il est doux de chanter sous le ciel du pays !
0 brises qui passez sur nos belles campagnes,
Eveillez en concert l'écho de nos montagnes.
Versez-moi les senteurs, les murmures, les bruits
Du val ombreux et frais, de l'océan qui tonne.
Et les plaintifs roulis des forêts en automne.
IN'ai-je pas comme vous effleuré bien souvent,
Dans mes jours fugitifs comme Tonde et le vent,
Les tertres, les bois et les plaines
Où soufflent vos jeunes haleines,
0 brises, portez donc à tous les coeurs épris
D'amour tendre pour le pays.
Portez sur vos folâtres ailes
Les fleurs et les parfums que nous avons cueillis
Sur les collines maternelles.
J.-GUY ROPARTZ
CHEVAUCHEE
A Albéric MaKiiard.
A l'heure où le mystère épais des soirs commence,
A travers les brouillards de la lande bretonne,
J'ai vu passer, dans l'or fauve d'un ciel d'automne,
Des guerriers d'autrefois la chevauchée immense.
Qu'ils étaient grands et beaux, ces preux des temps antiques
En leurs yeux rayonnait l'orgueil des fortes races ;
Casqués de peau, bardés de fer, sous les cuirasses
Lourdes, ils redressaient leurs torses athlétiques.
Et le scintillement échitant des épées
Allumait l'horizon de lueurs triomphales ;
Les vieux chênes courbaient leurs fronts sous les rafales,
Saluant ces héros de vastes épopées.
Les cerfs effarouchés fuyaient par les forières ;
L'air vibrait aux appels puissants des cors sonores.
Et le vent qui gémit dans les hauts sycomores
Mêlait sa voix énorme aux fanfares guerrières.
248 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ils passèrent longtemps en escadrons sans nombre,
Eblouissant mes yeux à leurs apothéoses ;
Puis la réalité décevante des choses ,
Assaillant leur splendeur, les effondra dans l'ombre
VERS POUR ELLE
GooD Morning ! . . . Il me semble entendre encor sa voix,
Sa voix claire, sa voix vibrante et cristalline ;
Je crois voir de ses yeux l'expression câline
Et sentir, dans ma main, trembler ses petits doigts.
Quand le soleil riait, le long de la jetée,
C'était si bon d'aller promener seuls tous deux,
D'écouter la chanson très vague des flots bleus
Ou de suivre, bizarre en ses tours anguleux.
L'ombre de la falaise au lointain projetée.
C'était si bon, le soir, de rester très longtemps
Assis l'un près de l'autre et sans se parler, presque,
Quand le couchant peignait sa merveilleuse fresque.
Mélangeant les ors mats aux rouges éclatants.
Robe blanche, chapeau blanc et blanche jaquette.
Elle était si mignonne ainsi, que les pinsons,
En la voyant venir, suspendaient leurs chansons
Et, balançant les fleurs aux branches des buissons,
S'inclinaient devant elle en leur façon coquette.
Elle était si mignonne ainsi, que j'étais fier
Et portais haut la tète en marchant auprès d'elle,
Nouant en mon esprit, par un lien fidèle,
Les espoirs de demain aux souvenirs d'hier.
J.-GUY ROPARTZ. 249
Elle était si mignonne ainsi, que les étoiles
Arrêtaient leurs regards lumineux sur son front
Et que le vent, sur la grève souftlant en rond,
Précipitait l'appel cuivré de son clairon,
Lançant son nom aux bricks voilés de grises toiles.
Elle était si mignonne ainsi, que j'ai senti
Chaque jour, chaque instant, ma tendresse s'accroitre
Dans les bleus paradis où mon espoir se cloître
Délicieusement mon rêve s'est blotti.
PAYSAGE LUGUBRE
LE soleil s'est couché derrière les îlots,
Pointant de ses derniers rayons la mer changeante,
Qui tantôt se bronze et tantôt s'argente,
Avant que le jour ait tout à fait clos
Ses yeux, évocateurs de paysages vagues
Dans les nuages gris que reflètent les vagues.
Voici la nuit qui vient et la terre s'endort,
Enveloppée en son épais manteau de brume ,
Et nulle étoile au ciel n'allume
Sa flamme d'or.
J'écoute au loin la cloche errante des choristes
Accompagnant le prêtre au lit d'un moribond ;
A travers les bois, le cerf vagabond
Désespérément brame en notes tristes
Et répond aux appels lugubres des hibous,
Hurlant la mort au haut des hêtres et des houx.
250 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
BOUTADE
A mon ami H. Lefeuvre-Méaulle.
MONTANT vers la nue irisée ,
Voici que le matin frileux
Floconne aux angles des toits bleus
Que diamante la rosée.
C'est un délicieux matin,
Un apaisant matin d'automne,
Si délicieux, qu'on s'étonne
De rêver de l'été lointain.
Et pourtant j'en rêve, et je pleure :
M'affolant en de vains regrets,
Je me lasse à courir après
Le fantôme bleu qui me leurre.
Par les chauds après-midi d'août,
Les douleurs semblent endormies,
Et l'on sent, en ces accalmies,
Passer, venant on ne sait d'où.
Dans l'atmosphère transparente,
Des vols de bonheurs égarés
Qui s'abattent sur les grands prés
Tout rouges de fleurs d'amarante.
Je regrette les frisons blancs
Qu'en sa coquetterie exquise
Mettait à son front de marquise
La mer vieille de six mille ans.
J.-GUY ROPARTZ, 231
Je regrette la l)loiide plage
Où, tout en jouant au croquet,
Mainte fillette provoquait
Le flirt, avant d'en avoir l'c^g-e.
Je regrette vos rires francs,
Pensionnaires échappées ,
Durant nos folles équipées
Loin de l'œil g-rave des parents.
Je reg-rette surtout, Marie,
De vos grands yeux énamourés
Les charmes longtemps savourés
Dans nos heures de causerie.
Et les discrets demi-aveux
Tombés de vos lèvres tremblantes.
Quand la langueur des valses lentes
Unissait presque nos cheveux.
De peur d'en trop dire, j'arrête
Ici mes souvenirs d'été ;
Je crains d'avoir encore été
Amoureux... et je le regrette.
AU POETE
N'alanguis pas ton âme à de vaines chimères.
Mais, courbant ton vouloir sous des efforts puissants,
Chasse la décevante illusion des sens :
Car les rêves d'amour, vois-tu, sont éphémères.
252 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Lorsque tu vois, pendus aux seins féconds des mères ,
Les enfants aux grands yeux d'azur si caressants,
Tu les voudrais à toi peut-être et tu ressens^
De vivre délaissé, les tristesses amères.
Mais si le Ciel t'a fait poète, tu dois, seul.
Parcourir les sentiers où le rêve te mène ,
Enveloppé dans Tart comme dans un linceul ;
Reste libre de toute affection humaine
Et, quand la mort viendra, les anges poseront
Le diadème lourd des niaqes à ton front.
DANS L'EGLISE
A ma Mère.
L'orgue s'est endormi sur un dernier accord
Et le temple désert rentre dans le silence;
Devant le maitre-autel la lampe se balance
Et des sacrés parvis éclaire le décor.
Vers la voûte où For rouge étend son opulence ,
Le mystique parfum des encens monte encor ;
Comme dans les forêts le son grave du cor,
La prière de chaque arceau vers Dieu s'élance.
Les yeux pieusement baissés sur son missel ,
Qu'enlumina jadis au fond d'un cloître austère
L'habile et sainte main d'un moine du Carmel,
Une femme à genoux semble oublier la terre
Et dans la majesté du soir silencieux.
Goûte ici-l3as la paix iueii'ablc des cieux.
J.-GUY ROPARTZ. 2o3
JEFFIK
(poème imité du barzaz breiz)
Au V'c Th. Hersart de la A'ilicmarqué.
Avoir Jeffik, au Ijord de la dernière vague,
Rider la nier tranquille en triples ricochets,
Ou suivre au ciel le vol calme des émouchets,
Comme on suit en son âme un rêve lent et vag"ue ;
A voir Jeflîk danser le vieux Jabadao ,
Avec un onduleux balancement de hanches ,
Sur la place du bourg-, par les soirs de dimanches,
Jasant comme un tic-tac de g"ais moulins à eau ;
A voir Jeffik si jeune, et si pure, et si rose,
J^étais joyeux ; et qui donc ne l'eût pas été ?
Sur son lit blanc, et plus pâle qu'un lis d'été,
Attendant doucement la mort, Jeffdv repose.
Psalmodiant très bas les mystiques Avés
Et voyant sa vigueur qui fuit à tire d'aile.
Ses compagnes du bourg* sont assises près d'elle.
« Ne pleurez pas, il faut mourir, vous le savez, »
Dit-elle, « Jésus même est mort sur le calvaire ;
(( Il a sauvé notre àme en torturant son corps ;
« La mort vient!... Ecoutez les funèbres accords!...
« La mort m'ouvre le ciel ; je l'aime et la révère !... »
Près de la source fraîche où je venais puiser,
Le i'ossig7iol de nuit chantait en notes douces :
« Voici le mois de mai qui passe et dans les mousses
(( La fleur nouvelle éclot sous son ardent baiser.
2o4 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
« Le coquelicot monte à travers les javelles,
« Empourprant leur pâleur de reflets éclatants ;
« Heureuses les beautés qui meurent au printemps :
<( Leur lit de mort sera semé de fleurs nouvelles !
« Et du milieu des fleurs leurs âmes monteront
« Vers les cieux purs, auprès d'un ange aux ailes roses,
(( Comme le papillon du calice des roses ;
« Et , les voyant venir, les Elus chanteront ! »
*
Jeffik a mis ses mains en croix sur sa poitrine ;
C'est le soir ; le soleil rougeoie à l'horizon ;
Et les troupeaux hélants regagnent la maison,
Marchant au tintement joyeux de leur clarine.
Son chapelet de buis glisse entre ses doigts blancs.
Un sourire indistinct de ses lèvres glacées
Change en Avés pieux ses dernières pensées ;
Et son cœur bat toujours en battements plus lents.
Elle pâlit : ses yeux se ferment : sa prière
Une dernière fois passe, en un souffle éteint :
Son âme a fui... — Déjà les lueurs du matin
Argentent faiblement les souffles de bruyère.
*
Le rossignol de nuit chante au bord des étangs.
Répondant aux appels lointains des bartavelles :
« Enguirlandez son lit d'aubépines nouvelles,
« Heureuses les beautés qui meurent au printemps. »
^
'*-i«'!a'*-i''**'
^.
ALEXIS ROUAULT
UN OUVRIER QUE PEUT-IL DIRE ?
BIEN loin, Messieurs, d'être un poète,
Je suis à peine un rimailleur,
Et vous voulez me mettre en tète
D'écrire, moi, vieux travailleur !
Mais, en tout cas, avant d'écrire,
Réfléchissons à ce détail :
Un ouvrier, que peut-il dire
Saus faire tort à son travail ?
Faut-il parler de politique ?
jN'en faites rien, me dites- vous.
Faut-il parler de ma boutique?
Mes confrères seront jaloux.
Vous le voyez, c'est à maudire
Encre, plume et tout l'attirail...
Un ouvrier, que peut-il dire
Sans faire tort à son travail ?
Mieux vaut-il peindre l'arrogance
De quelques sots, frais parvenus.
Qui vendraient tout, même la France,
Pour en tirer des revenus?
256 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Mais si je lais de la satire ,
Je vais servir cVépouvantail.
Un ouvrier, que peut-il dire
Sans faire tort à son travail?
Puisqu'il est vrai que tout m'empêche
De critiquer plus d'un travers,
Eli bien 1 je vais chanter la pèche,
Nos frais sentiers et nos prés verts.
A la campagne où tout m'inspire
Quand donc pourrai-je, avec long bail,
Aller vivre et pouvoir tout dire,
Sans rien craindre pour mon travail?
ALLONS AMORCER LES PETITS POISSONS
DÉJÀ le soleil succède à l'aurore,
Partout les oiseaux reprennent leurs chants ;
La fleur des pommiers est humide encore
Des pleurs que la nuit répand sur les champs.
Tout parle bonheur; le pied sur sa bêche,
Le vieux laboureur sourit aux moissons.
Ami, quel beau jour pour un jour de pèche;
Allons amorcer les petits poissons !
Suivons les sentiers des vertes prairies.
Nous arriverons au riant coteau
Qui domine au loin les berges fleuries,
Où Ton est si bien assis près de l'eau.
Là-bas, le moulin, sous la brise fraîche.
Tourne, et du tic-tac on entend les sons...
Amis, quel beau jour pour un jour de pêche !
Allons amorcer les petits poissons.
ALEXIS ROUAUtT. ^57
Dans le chemin creux, plein d'épines blanches,
Ecoutez ce chant pur et gracieux :
C'est le rossignol caché dans les branches
Qui vient comme nous rendre hommage aux cieux.
Mais je vois enfin les bords de la Seiche ;
Je sens les parfums de ses g-rands buissons...
Amis, point de bruit, c'est ici la pêche !
Il faut amorcer les petits poissons.
LES PLAISIRS DE LA PÊCHE
PARTIR de grand matin et, parmi l'herbe tendre.
Dont la blanche rosée annonce les chaleurs ,
Se rendre au bord de l'eau, dans le but d'y surprendre
Quelques joyeux poissons folâtrant sous les fleurs.
Vivre un jour, seul, en paix, à rêver sous l'ombrage
Aux plus doux souvenirs qui charment notre cœur ;
Contempler la nature et, dans un juste hommage.
Bénir avec amour l'œuvre du Créateur.
Entendre, au loin, sonner les cloches d'un village
Annonçant, pour prier, l'heure de V Angélus,
Et se trouver encore assis près du rivage
Le soir, quand les oiseaux ne nous enchantent plus.
Fleurs, parfums, liberté, Ijrise embaumée et fraîche,
Voilà ce qu'en péchant on trouve au bord de l'eau ;
Et qui ne connaît pas les plaisirs de la pêche
Ne connaîtra jamais ni le grand, ni le beau.
17
â58 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
LE VIEUX MOBILIER
A nos enfants.
NON, mes enfants, ce vieux ménage,
N'est plus de mode de nos jours,
Mais il a vu votre jeune âge,
Et c'est pourquoi j'y tiens toujours.
Il fut témoin, quand la misère
Soir et matin régnait chez nous,
Des pleurs versées par votre mère
En vous berçant sur ses genoux.
Ce pauvre lit que je révère
Comme l'abeille aime les fleurs,
Ne fùt-il pas l'ami sincère
Où sommeillèrent nos douleurs.
Et ce buffet si misérable,
Il me rappelle un jour sans pain.
Où tristement, à cette table,
Yous me disiez : Père, j'ai faim !
A ces heures infortunées
Ont succédé des jours meilleurs ;
L'enfant grandit et les années
Ont fait de vous des travailleurs.
Yoilà pourquoi, j'ai l'assurance
Que vos meubles seront plus beaux.
Mais les amis de votre enfance
Les vendrez-vous pour des nouveaux ?
JOSEPH ROUSSE
LE BOURG NATAL
L
'abeille se souvient de sa ruche natale ;
L'hirondelle à son nid revient chaque printemps ;
Mon âme, allons revoir et parcourir les champs
Où la vie eut pour nous sa beauté matinale.
J'aime notre vieux bourg- au miUeu des blés mûrs,
Bornés dans le lointain par la mer azurée ;
.J'aime notre maison de sa treille entourée,
Avec les liserons qui grimpent à ses murs.
Voilà cette fenêtre où, les soirs de novembre,
J'entendais les pluviers passer dans le ciel gris.
Du haut de ce balcon, quelquefois j'ai surpris
L'aurore souriant aux neig-es de décembre.
Mon père s'asseyait au pied de ce jasmin ;
Des loriots suspendaient leurs nids dans ce grand chêne ;
Mes sœurs, en se penchant au bord de la fontaine,
Agaçaient les échos de leur rire argentin.
260 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Quand on cueillait les fruits, je me souviens encore
De la senteur des coing"s parfumant le grenier ;
Nos jeunes bras pliaient sous le poids d'un panier,
Et les pommes roulaient dans Fescalier sonore.
De riants souvenirs remplissent la maison :
Voici le grand foyer et ses chenets antiques ;
C'est là qu'on nous disait des récits fantastiques,
Devant un feu de lande, au chant clair du grillon.
Le bourg a peu changé, mais le vieux presbytère
Est tombé sous les coups du stupide marteau,
Avec son beau portique ombragé d'un ormeau
Et qui semblait gardé par deux anges de pierre.
Dans ce chemin je vis un triomphe brillant,
Plus de cent bœufs ornés de tleurs et de verdure,
Traînant un char couvert d'une riche tenture.
Qui portait un évêque au regard souriant.
Cette maison moussue, à la porte ogivale.
Est celle où, dans les soirs qui précèdent Noël,
En habits de théâtre et d'un ton solennel.
Les jeunes paysans jouaient la pastorale.
Noël! à cette nuit je songe avec bonheur!
On voyait scintiller, dans la campagne sombre,
Et s'approcher du bourg des lanternes sans nombre.
Quand les cloches sonnaient la messe du Sauveur!
L'église est toujours pauvre, et ses vieilles toitures
Tremblent au vent de mer sur des murs chancelants.
J'ai reconnu les saints, le Christ aux pieds sanglants,
Les tableaux, les autels aux gothiques sculptures.
JOSEPH ROUSSE. 261
J'aurais aiiiié goûter un jour le vrai repos
Sous Todorant fenouil, auprès de cette église :
Mais on dit que les morts ont corrompu la brise,
Et dans un champ lointain on va porter leurs os.
LES COUCHERS DE SOLEIL
QUAND j'ai vu le soleil se coucher sous les chênes,
La mer, à l'orient, assombrir ses flots bleus,
Les phares s'allumer dans les îles lointaines.
Je regagne mon toit, calme et presque joyeux.
C'est une goutte d'eau sur ma lèvre brûlante.
Un éclair de plaisir dans mes longues douleurs.
Car celui ([ui n'a rien de bien peu se contente,
Et les Heurs du désert sont les plus douces tleurs.
Je souffre, et ma tristesse est amère et profonde ;
Mais, tant d'autres meilleurs ont soufiert avant moi.
Qui, courbés sous la croix, ont traversé le monde.
Sans jamais, ô mou Dieu, vous demander pourquoi!
LA HULOTTE
LA hulotte se plaît au milieu des ruines.
Sur les remparts chargés de lierres et d'épines,
Les colombiers déserts, les tours, les vieux clochers.
Elle aime au bord des flots les antres des rochers,
Les chênes dont l'hiver épargne le feuillage.
Les sapins isolés dans la lande sauvage.
Elle chante la nuit, et ses gémissements.
Doux pour quelques rêveurs, attristent les passants.
262 LK PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Ainsi que la hulotte, amante des ruines,
Je vais cherchant partout, dans les plaines voisines,
Les antiques débris et les vieux souvenirs ;
Et, quand j'ai cru toucher le but de mes désirs ,
Je reviens tout joyeux, rêvant de poésie.
A ce qui chante en moi je veux donner la vie ;
Je prends mon humble luth, mais je sais que mes chants
Ne seront écoutés que des rêveurs souffrants.
A UN POÈTE SCEPTIQUE
,,N fixant mon regard sur tes vitres glacées
J Qu'argentait un rayon, je songeais à tes vers :
Ils sont comme un tissu de brillantes pensées,
Mais j'aurais bien voulu voir le ciel au travers.
(Poésies Bretonnes.)
E
JULES ROUXEL
SAINT-NAZAIRE
ASSISE sur le sable et sur le rocher dur,
0 toi qu'on voit briller le long du promontoire
Où l'Océan reçoit les baisers de la Loire,
Comme une perle au bout d'un long ruban d'azur !
Dans un blason jaloux, toi qui dès ton enfance
Mis fièrement la clef de ce fleuve enchanté :
Maltresse de l'accès de son cours emporté
Et du chemin qui mène aux Jardins de la France !
Dernier enfantement et dernières amours
Du vieux monde caduc et vingt fois centenaire,
Toi dont la puberté réchauffe et régénère
Ce qui reste d'un siècle au déclin de ses jours !
Toi, quand on souriait de ses ardeurs stériles,
Qui vins planter tes murs devant les grandes Eaux,
Comme pour attester les Continents nouveaux
Qu'ils ne sont pas les seuls à concevoir des Villes !
264 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Pucelle saiue et forte aux naissantes beautés,
Toi qui t'épanouis et qui grandis encore
Quand l'herbe pousse aux flancs des antiques cités,
0 ma Ville ! je veux saluer ton aurore !
Au sommet de leur poupe, en grosses lettres d'or.
Déjà les longs-courriers et les Transatlantiques
Avaient porté ton nom sur les routes nautiques
Du Levant au Couchant, du Midi jusqu'au Nord!
Partout où l'Océan fait aboutir son onde
Et partout où se dresse un rivage habité,
Des milliers de marins avaient déjà vanté
Ton port tranquille et sûr et ta rade profonde.
Et les Français pourtant ne te connaissaient pas... !
Et le pays semblait, malgré ta renommée,
Te traiter en fillette ingrate et sans appas,
Certes belle déjà^ mais à peine formée.
Or voilà que soudain ton prestige a forcé
Tous les yeux : et chacun s'arrête et te regarde,
Telle l'enfant à qui, sans qu'on y prenne garde.
Du jour au lendemain la poitrine a poussé
Et voilà qu'à ton tour aujourd'hui tu tressailles
Nubile : car tu viens, pour la première fois.
De convier la France entière à des tournois.
Comme si tu voulais fêter tes Fiançailles... !
Eh bien ! à tous ces gens pressés au rendez-vous
Qu'en tes murs trop étroits cette fête rassemble,
A tous les habitants de l'Univers, à tous,
0 ma ville, je veux que nous criions ensemble!
JULES ROUXEL. 265
« 0 VOUS que la fortune a déçus ou trahis,
« Quel que soit votre peuple et comment qu'on vous nomme,
« Ouvriers et marchands, bourgeois de tous pays,
« Ici vous trouverez le bois sacré de Rome !
« Et vous qui proclamez que le vieux monde est mort,
(( Vous qui ne croyez plus à sa chaleur féconde,
« Là-bas, chez les Bretons, aux rivages d'Armor,
« Accourez voir comment une ville se fonde! »
PHILIPPE DE SANVAL
(AIMÉ MOTTIN)
AU BORD DE VEAU
IL est un sentier tout blanc d'aubépine,
Près de l'eau, le long des coteaux ombreux,
Sur un vert tapis de mousse il chemine,
Un petit sentier étroit d'amoureux ;
Et nous y venions dès que le sourire
Du printemps mettait des nids aux buissons.
Au sein des roseaux des accords de lyre.
Au haut des gaulis des chants de pinsons.
Et nous y faisions des projets sans nombre,
De tendres projets qui ne lassent pas,
Et sous le vieux saule aux rameaux pleins d'ombre,
La main dans la main nous causions tout bas.
Hier j'y revenais : tout me semblait morne,
Le vent froid dans l'arbre avait des sanglots,
Un pâtre soufflait au loin dans sa corne,
Les roseaux courbés pleuraient sur les flots.
PHILIPPE DE SANVAL. 267
Et pourtant la brise était aussi douce,
Les oiseaux avaient les mêmes chansons,
La même violette embaumait la mousse,
Les nids se faisaient aux mêmes buissons.
Mais j'étais là seul, hier, et sans elle :
En vain les pinsons gazouillaient en chœur.
En vain la forêt tremblante était belle.
La plainte et le froid étaient dans mon cœur.
MATINÉE DE JUILLET
ON était en juillet, les moissons étaient mûres,
Les blés courbaient leur front sous le poids des épis,
Et parmi les ronciers tout empourprés de mûres
Les grillons s'éveillaient dans leurs trous assoupis.
Les coqs dorés chantaient dans les cours des villages,
La caille rappelait dans l'avoine gaiement,
Les cloches des bœufs roux épars dans les herbages
Jetaient dans le ciel clair un grêle tintement.
Le grand soleil joyeux souriait dans les chênes,
Mettait des diamants aux branches des buissons,
La brise s'imprégnait de senteurs de verveines.
Les échos répétaient des refrains de chansons.
Et par un doux chemin tapissé d'églantine,
Parmi des voix d'oiseaux et des parfums de fleurs,
Un cercueil s'en allait à l'église voisine
D'où des glas un à un tombaient comme des pleurs.
LEON SECHE
VERS ÉCRITS SUR UN EXEMPLAIRE
D EVANGELINE DE LON'OFELOW
QUAND 011 est petit on lit pour apprendre ;
Pour se souvenir on lit, étant vieux.
La vie est un livre écrit pour les cieux
Qu'on relit toujours sans y rien comprendre.
Le commencement jessemble à la fin,
Comme le berceau ressemble à la tombe ;
Le siècle le prend au siècle qui tombe
Pour le repasser au siècle, demain.
Ainsi va le monde autour de ce livre.
Puisqu'il faut apprendre avant de mourir,
Lisons doucement pour nous souvenir,
Car le souvenir aide riiomnie à vivre.
Que cliaque feuillet du livre éternel
Nous compte des jours passés à bien faire.
Puisqu'il faut laisser le corps à la terre,
Que rame ait les yeux ouverts sur le ciel !
LÉON SÉCHÉ. 269
MO m AU CHAMP DU ON N EUR
C'était un chevalier, si Ton donne ce nom
A riiomme de principe et de haute raison
Qui regarde le mal en face,
Et qui, dans les combats , dùt-il être battu,
A l'intrigue, au mensonge oppose sa vertu,
Laissant à d'autres la cuirasse.
Oui, c'était un Breton dans la force du mot.
Droit de cœur et d'esprit, il portait le front haut,
De fierté n'en ayant aucune
Que la fierté permise à tout homme de foi
Qui demeure attaché malgré tout à son roi
Et qui le suit dans sa fortune.
Qu'importaient à ce preux les lâches compromis
Que les partis passaient avec leurs ennemis
Pour se créer un ministère !
Ses actes, sa parole allaient au même but.
La loyauté^ voilà quel fut son attribut.
Enfin c'était un caractère.
Caractère héroïque et fortement trempé,
Que rien n'avait séduit, que rien n'avait trompé.
Politique de couleur franche,
Aimant la liberté clans ce qu'elle a de pur,
Comme un fruit que l'on doit cueillir, une fois mûr,
A l'arbre et sans casser la branche.
270 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Qu'il dorme donc en paix le chevalier chrétien
Qui resta jusqu'au bout le plus ferme soutien
Du droit légitime qui toml)e,
Et qui, comme Henri cinq, parlant de son drapeau,
Aurait pu dire : Il a flotté sur mon berceau,
Je veux qu'il ombrage ma tombe.
AMOUR ET PATRIE
A M. André Theuriet.
SI j'avais un blason, ce serait ma devise.
Je prendrais un écu sablé d'or et d'argent
Sur lequel on verrait courir en s'allongeant,
Avec un collier rouge, une levrette grise.
Soldat, j'aurais gravé ces mots sans vantardise
Sur la lame d'acier de mon sabre luisant,
Afin que l'ennemi qui dans ma main l'eût prise
Connût pour quel amour j'avais donné mon sang.
Mais je n'ai point été gâté par la nature :
J'ai pour tout écusson mes lettres de roture ;
Ma plume jusqu'ici fut mon sabre d'honneur.
Ce qui n'empêche pas qu'au bout de ma carrière,
Je veux que ces deux mots soient écrits sur ma pierre,
Comme durant ma vie ils l'étaient dans mon cœur !
CHARLES SINOIR
/iV CQBZO ET IN TERRA
A Mlle A. Souvestre.
ON dit que dans le ciel c'est le bonheur suprême,
Et que les chérubins prosternés à genoux,
Adorant le vrai Dieu, sont plus heureux que nous!
Moi, je ne le crois plus depuis que je vous aime.
Depuis que dans vos yeux si tendres et si doux
J'ai lu de votre cœur le très touchant poème,
Depuis que, mon amour, tremblant d'un trouble extrême,
Attendant un aveu, je l'ai reçu de vous.
Pourquoi donc envier la céleste patrie ?
Ici-bas, cher trésor, vous serez tant chérie
Que vous ne voudrez pas d'autre félicité.
Pourtant, de notre monde où tout est éphémère,
Quand nous serons partis, toute une éternité
Je veux que, dans les cieux, vous regrettiez la terre!
272 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
SONNET-PREFACE
AUX EGLANTINES ET BLUETS
A M. François Coppée.
COMPTANT sur votre bon accueil,
C'est peut-être un peu téméraire,
0 poète, je viens vous faire
Juge de ce petit recueil.
Je crains la critique sévère
Et passe en tremblant votre seuil;
Mais j'aurais bien un peu d'orgueil
Si tous ces riens pouvaient vous plaire,
Daig"nez-vous approuver mes vers?
Ma muse, qui craint ses travers,
N'en sera plus préoccupée ;
Et pour fermer la bouche aux sots.
Elle ose espérer quelques mots
De la main de François Coppée.
SONNET A MES LECTRICES
CHÈRE lectrice, c'est à vous
Que j'offre, avec un peu d'audace,
Ce dernier sonnet que je place
Timidement à vos genoux.
CHARLES SINOIR. 273
Acceptez-vous ma dédicace?
Dites oui, du ton le plus doux.
Oh! n'ayez pas l'air en courroux,
Je vous vois rire dans la glace.
Chacun a ses petits travers ;
Moi, je souhaite que ces vers
Vous rendent un peu mon amie...
Si je l'apprenais dans vos yeux,
Mon livre ne vaudrait pas mieux,
Couronné par l'Académie.
LE RELIQUAIRE
C'est un gentil coffret doublé de satin rose,
Où gisent, Lien classés, cinquante objets divers :
Des portraits de tout genre et des billets en vers,
Des dessins inédits et des lettres en prose.
Sur tous ces riens si chers l'œil aime à revenir;
Et lorsque tout s'endort, toutes portes bien closes,
Comme avec un ami, des plus futiles choses
Longuement avec eux on vient s'entretenir.
Car ils vous parlent tous le plus tendre langage;
Et comme on leur sourit à ces chers messagers !
Puis, le sommeil venu, dans ses rêves légers.
Des meilleurs souvenirs ils font vivre l'image.
Charmant petit coffret, loin du monde moqueur
On te caclie avec soin... tel un saint reliquaire!
Moi, j'ai le mien aussi, qui veut même mystère :
Il n'est plein que de vous, et s'ouvre dans mon cœur!
18
iiw.Hwiwni<iiiiiiifiiim'miniiir"'"'"'"'"iBgE!gBBai'™aiBag^^
■gpMBBBgiail^MaiMMBWMKBIlMIiiiMeaiiaiiaillIMLIIlglIIIBgliBBS!^^
ROBERT SURCOUF
5f/i? L^ MOItT D'UN MARIN
JE ne crains pas la mort ; la mort peut être donce
Quand on meurt au pays, quand un tombeau de mousse,
Arrosé par les pleurs de ceux que nous aimons.
Couvre notre dépouille, ou lorsque nous voyons
Tous nos amis présents à notre heure dernière.
Nous emportons alors avec nous leur prière,
Et nous la déposons aux pieds de TEternel ;
Puis nous les attendons au séjour immortel.
Mais pour le malheureux que menace l'orage
La mort est bien affreuse, et, malgré son courage,
Quand le sombre reflet des sinistres éclairs
Montre à ses yeux, béants, les abimes des mers;
Quand il se voit perdu, quand son pauvre navire,
Ecrasé par la foudre, éclate et se déchire,
Il cherche autour de lui. La mort seule apparaît!
Il pense en frémissant à ceux qu'il adorait...
Il était le soutien, l'espoir de sa famille ;
Sans lui que deviendront et sa femme et sa fille !
Et de sa vieille mère, ô sombre et triste sort!
Qui fermera les yeux à l'heure de la mort?...
Il est seul , il périt ; pas une main amie
N'arrachera son corps à la vague en furie.
Il meurt, et loin des siens, sans amis, sans un seul,
La mer lui servira de tombe et de linceul.
SYLYANE
(MADAME FERDINAND LE BORGNE)
A L'ABANDON
LE vieux manoir breton, par caprice, est resté
Hermétiquement clos et muet tout Tété.
Lui, si resplendissant, il a ces airs moroses
Qui trahissent, parfois, la tristesse des choses.
Du parc silencieux les ondulants couverts
Penchent leur ombre en deuil autour des ronds-points verts.
Le troupeau de la ferme a, dans les avenues,
Repris droit de pâture, et des têtes cornues,
Sans respect pour autrui, dévastent les buissons
Où le merle sifflait ses dernières chansons.
L'herbe envahit le sable en ces blanches allées
Que l'automne remplit de feuilles envolées ;
Au milieu de l'étang" s'abattent les roseaux ;
Un lit de nénuphars s'est formé sur les eaux ;
Les ponts sont effondrés : dans cette solitude
Règ-ne de l'abandon la morne quiétude.
276 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Cependant les rosiers qui voilent la maison
Ont donné, depuis juin, des bouquets à foison.
Pour qui donc leurs parfums ?... Quelques rudes rafales
Demain vont lacérer ces languissants pétales
Et ces branchages verts qui, flottant librement,
Cachent le vieux logis sous nn masque charmant.
Lorsque, dans les massifs, nouvellement écloses,
Sur ce maussade seuil fleurissaient tant de roses,
Le souple chèvrefeuille, enroulant ses anneaux,
Suspendait alentour d'aériens berceaux ;
Les papillons légers y revenaient sans cesse,
Et la brise effleurait, d'une folle caresse.
Cette fraîche oasis, ce toit mystérieux
Que le soleil baignait de ses rayons joyeux.
De cette maison close où donc était le maître ?...
Durant les jours d'été nul ne le vit paraître...
Combien d'âmes, rêvant d'elles-mêmes le don,
Le monde ainsi dédaigne et livre à l'abandon !..
Sur elles, un moment, la jeunesse rayonne ;
Le printemps de ses fleurs fièrement les couronne :
Oh ! que d'êtres charmants, de tristesse voilés,
Sans que le bonheur vint se sont étiolés !
NUIT D'ORAGE
L'homme s'est endormi, l'ombre sent le mystère ;
Les voiles de la nuit, où percent des points d'or.
Semblent des crêpes nou^s suspendus sur la terre.
D'éclairs éblouissants la lueur éphémère
Enflamme l'horizon : fantastique décor !
SYLVANE. 277
Sans un souffle dans l'air le feuillage frissonne
Et toute la nature inquiète pressent
L'orage qui^ palpite en ce ciel menaçant ;
Déjà, clans les vallons ou sur la mer il tonne :
Un terrible équinoxe enfantera l'automne !
Des roulements puissants se heurtent dans la nuit
Et, de sillons croisés se traçant une voie,
Le feu du ciel rayonne, illumine, foudroie!...
Que pense l'homme ainsi tiré de son repos?...
Ces bouleversements dans la nuit flamboyante ,
Ces fracas d'éléments : les vents, le feu, les flots.
Ne remplissent-ils pas son âme d'épouvante ?
Là, verra-t-il toujours les efl'ets du hasard ;
Ou terrassé, confus, tremble-t-il à l'écart !
Oui, ses yeux dessillés retrouvent la lumière
Qui jusqu'à lui ramène un souvenir béni;
Et sa lèvre pâlie essaie une prière
Quand son être éperdu plonge dans l'hifîni :
« Me voici devant vous comme la feuille morte
Que l'ouragan détache et vers l'abime emporte . . .
Mais il ne tombera pas uu de mes cheveux
Que — vous l'avez promis ! — vous n'ayez dit : Je veux. )>
La tourmente s'apaise ; une indécise aurore
Vient annoncer le jour et de rose colore.
Ainsi que l'espérance, au loin , les sommets clairs.
Sur l'azur languissant pend encore un nuage
Frangé de lambeaux gris lacérés avec rage ;
Des oiseaux rassurés s'appellent par les airs.
Sur les bois de sapins passe un parfum de sève ;
S'il est troublé là-bas, ici le ciel est ])leu ;
L'homme s'est rendormi, quand tout s'éveille... il révo
Qu'un moment, dans la foudre, il a vu passer Dieu !
LOUIS TIERCELIN
SUR LA GREVE DU ME NE CE J
Au Maître, à Lecoiite de Lisle.
TRISTESSE de la mer que suit, au loin, mon rêve!
Tristesse du ciel rouge aux pâles teintes d'or;
Tristesse des flots bleus qui chantent sur la grève...
Volupté de la ?s^iit dont le cahne m'endort !
Tristesse de l'amour qui rit au cœur des hommes ;
Tristesse des espoirs, tristesse des aveux!
Tristesse du bonheur de ce monde où nous sommes...
Volupté de l'Oubli par qui je suis heureux !
Tristesse des splendeurs, des gloires et des flammes;
Tristesse des esprits sous le mystère épais ;
Tristesse de la folle illusion des âmes...
Volupté de la Mort qui donnera la paix !
LOUIS TIERCELIN. 279
LES TROIS PRIERES
EN LA CATHÉDRALE DE QUIMPER. *
A M. E. Renan,
après une lecture de « La double Prière. »
OUI, lorsque la nuit vient, quand l'ombre sépulcrale,
Lentement, doucement, emplit la Cathédrale,
Et lorsque, le long- des piliers^
Les dernières clartés glissent, se suivant toutes
Avec des rythmes réguliers
Et semblent s'attacher aux nervures des voûtes ;
Lorsque, s'affaiblissant vers les murs latéraux,
Sur la pourpre, sur l'or et l'azur des vitraux
Le jour mourant se cristallise.
Et, prêt à disparaître en un rayonnement,
Dans les verrières de l'église.
Allume la splendeur de son dernier moment ;
Lorsque, la nuit venue, au fond de la nef sombre.
On voit briller, lueurs mystiques de cette ombre.
Les lampes, ces étoiles d'or.
Parmi la solitude et parmi le silence,
S'élevant d'un plus libre essor,
De notre cœur vers Dieu la prière s'élance.
0 maitre, allons prier ! A ce déclin du soir.
Il est doux de marcher ensemble et de s'asseoir "
Dans cette abside solitaire
Et de s'abandonner aux troubles renaissants
Qu'éveille le divin mystère,
Au milieu du parfum des fleurs et de l'encens.
280 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
* *
Le Philosophe pense à l'Avenir. Il sonde
Les prohlèmes troulîlants de notre humanité;
11 rend hommage à la Puissance, à la Bonté
Du Créateur vivant dans la gloire du Monde.
Sous le tressaillement des seins et des cerveaux,
Il constate le Dieu présent, dont il honore,
Dans l'Homme et l'Univers, l'Qiluvre incomplète encore
Mais qui doit se parfaire en des efforts nouveaux.
Il s'offre pour aider l'Action Inlinie,
Ouvrant à l'Avenir l'espoir des jours meilleurs,
Car la force du Maître est dans les travailleurs
Dont les hras aideront l'acte de son génie.
Soyons des instruments dociles dans sa main.
Dure est souvent la tâche et longues sont les fièvres ;
Le murmure jamais ne souillera les lèvres
Du pieux ouvrier des honheurs de Demain.
Nous acceptons sur nous qu'un poids s'appesantisse
Plus lourd, et, résignés aux injustes fardeaux,
C'est volontairement que nous courhons le dos :
Il faut du temps à Dieu pour faire la Justice!
Cependant nous voulons la Joie et la Beauté
Et le Plaisir permis dans le culte des Charmes,
Mais soumis au Devoir, à la Souffrance, aux Larmes,
Nous aimons la Douleur, cette autre Volupté.
LOUIS TIERCELIN. 281
Et, l'œuvre humaine ainsi vaillamment poursuivie,
Fiers d'avoir aidé Dieu dans le progrès du Bien,
Sans lui rien demander, sans même espérer rien,
Nous attendons la Mort, ce repos de la Vie.
*
Le Poète, lui, rêve au passé radieux :
Du rivag-e des mers à la longue montagne,
Devant elle chassant toujours les anciens Dieux,
La croix du Bon Sauveur a conquis la Bretagne.
Enfermés dans la hutte à l'abri des grands bois,
Voici qu'ont pullulé les pieux solitaires,
Et, leur payant le prix des âmes aux abois.
Ducs et seigneurs soumis fondent des monastères.
Ils montent vers le ciel les fins granits bretons,
Suspendus aux portails en riches broderies,
Et les clochers à jour, juste orgueil des cantons,
Dans la paix des couchants mêlent leurs sonneries.
Les EgHses partout s'élèvent. On entend,
Des rochers de la Manche aux sables de la Loire,
Vibrer les unissons du cantique éclatant
Qui chante le saint nom de Jésus et sa gloire.
0 dogme merveilleux ! tes multiples accents
Ont séduit mon oreille et mon cœur de poète,
Et, sous l'obsession mystique de mes sens.
Mon esprit est docile et ma raison muette.
282 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
J'aime comme un enfant tes saints et tes martyrs,
Grandis dans les mépris du monde et ses insultes :
Pour leurs virginités ou pour leurs repentirs,
Tu n'as pas deux autels et tu n'as pas deux cultes.
Tes prêtres cliapés d'or, de soie et de velours.
Je les aime, en l'éclat de tes cérémonies.
Lorsque, dans la raideur de leurs ornements lourds,
Ils bénissent la foule au chant des Litanies.
Et je tombe à genoux sous l'encens et les fleurs.
Aux fanfares de l'orgue, à la lueur des cierges ;
Mon cœur a des sursauts et mes yeux ont des pleurs :
Il est mon Dieu, le Dieu des martyrs et des Vierges !
Il est mon Dieu, le Dieu dont l'extatique émoi
Abreuva d'idéal ma soif inassouvie.
Le Dieu qui dans ma vie humaine vit en moi.
En qui je revivrai pour l'Eternelle Yie !
Maître, est-ce là prier! Est-ce ainsi que l'on prie?
Oui, c'est votre pensée et c'est ma rêverie ;
Le Seigneur les bénira-t-il !
Ce regard en avant, ce regard en arrière.
Quelque Credo vague ou subtil,
Est-ce tout? Est-ce assez? Est-ce bien la prière?
Cette prière unique et la même en tout lieu,
Cette prière ardente et douloureuse et brève.
Qui n'a pas de système et qui n'est pas un rêve,
Qui monte comme un cri de notre Ame vers Dieu !
LOUIS TIERCELIN. 283
O prière naïve et toujours exaucée,
Heureux qui sait te dire avec simplicité !
Il en est, et j'en garde au fond de ma pensée
Un exemple touchant qu'un prêtre m'a conté.
*
Devers Tan treize cent dix, et près de la ville
De Lesneven, naquit, fils de race servile,
Un pauvre être, voué d'avance à tous les maux,
Qu'on nomma Salaûn sur les fonts baptismaux.
Cet enfant souffreteux, rebut de la nature,
Etait laid ; son esprit avait peu d'ouverture^
Si peu qu'en la maison d'école où l'avaient pris
Les moines, Salaiin avait à peine appris
A parler, ne semblant rien voir ni rien entendre.
Son regard était triste et son sourire tendre,
Mais de cette tristesse et de cette douceur
Des idiots, vivant dans un rêve obsesseur.
Du moins, son rêve était de très pieuse espèce,
Car, dans le bégaiement de cette langue épaisse,
Au doux clignotement de ces yeux insensés.
On distinguait deux mots à peine prononcés.
Les seuls qu'il dit : Ave Maria! Sa science
Se bornait là ; c'était, dans cette conscience.
Le seul éclair qui put indiquer la raison.
Ses parents étant morts, il quitta leur maison,
Et, comme il ne savait aucun métier pour vivre,
Il allait mendier son pain, dit un vieux livre.
Et marchait chaque jour par le même chemin.
De Lesneven à Guic-Elleau, tendant la main,
Pieds nus et mal couvert d'un lambeau de futaine.
284 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Il avait pris asile, au bord d'une fontaine,
Dans un bois et dormait sur le sol, à Fabri
D'un vieux cliêne aux rameaux noueux, au tronc pourri.
Chaque jour, quelque temps qu'il fit, en grand liesse,
Il venait à l'Eglise, ouïr la sainte messe,
Accroupi, dans un coin^ le pauvre paria,
Tout seul et bégayant ses Ave Maria.
Et, lorsqu'il en avait dit des mille et des mille,
Il allait demander l'aumône par la ville,
Pour revenir bien vite au bois de Guic-Elleau.
Quand il faisait grand froid, il se jetait dans l'eau
Et restait très longtemps, baigné jusqu'aux aisselles,
Grelottant. Tout à coup, comme s'il eût des ailes.
Il sautait dans le chêne, où, tantôt chevauchant
L'arbre et tantôt pendu par les mains, au doux chant
De VAve Mai'ia souriant sur ses lèvres,
Il demeurait des jours entiers', tremblant les fièvres
Et regardant en l'air, toujours, sans savoir où...
Les gens qui le voyaient l'avaient nommé Le Fou !
Un matin, des soldats de Blois, battant l'estrade.
L'arrêtèrent : u Holà, dis-nous, mon camarade,
Qui donc es-tu? Breton, Français, Blois ou Montfort? »
Et, le tenant toujours, ils le houspillaient fort,
Etonnés qu'il g-ardàt cet obstiné silence ;
Quand, soudain, menacé par le fer d'une lance,
Le fou joignit les mains lentement et pria.
Et c'était si touchant, cet Ave Maria
Psalmodié devant cette troupe en furie !
« C'est quelque serviteur de madame Marie,
Dit le chef, et qui n'est ni pour ni contre nous ;
Laissons-le. » Salaun^ mains jointes, à genoux.
D'une si douce voix récitait sa prière
Que tous, en s'en allant, regardaient en arrière
Son front qui leur semblait rayonnant et ses yeux
Dont le regard avait comme un reflet des cieux...
LOUIS TIERCELIN. 285
Et, sans avoir connu ni l'amour ni la haine,
Le fou vivait depuis longtemps, au pied du chêne,
N'ayant parlé que pour prier, quand, une nuit
De l'an de grâce mil trois cent cinquante-huit,
Repoussant les hons soins des femmes du village
Qui voulaient Temmener dans leur maison, vers l'âge
De cinquante ans, le pauvre agonisant cria
Pour la dernière fois un Ave Maria,
Les seuls mots qu'il eût dits pendant sa vie entière,
Et mourut...
On creusa sa fosse au cimetière
De Guic-Elleau.
Les jours passèrent et les jours :
On avait oublié Salaiin pour toujours
Et nul ne parlait plus de lui dans la contrée,
Lorsque, par un miracle éclatant, fut montrée
La gloire dont Marie et son fils Tout-Puissant
Voulaient qu'on illustrât Salaûn l'Innocent.
Sur la tombe du fou délaissée, ô prodige !
Fleurit un lys si blanc, dressant sa haute tige,
D'une si douce odeur et d'un si vif éclat.
Qu'il n'était pas un bon chrétien qui ne parlât
De cet événement, très loin, dans les domaines.
Ce lys miraculeux vécut là six semaines,
Et chacun put le voir et constater encor
Sur ses feuilles, tracés en caractères d'or,
Ces mots bénis : Ave Maria!... La nouvelle
Du miracle, car c'est ainsi cj[ue Dieu révèle
La sainteté de ceux qu'il choisit, rassembla
Un grand concours de peuple ; et les gens venus là,
Des gens de tout état et de toute paroisse.
Afin que le renom du bienheureux s'accroisse
Et pour perpétuer un miracle si beau,
Pensèrent qu'on devait honorer d'un tombeau
L'humble corps que le ciel marquait par de tels signes.
286 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
On choisit donc, parmi les hommes les plus dignes,
De pieux travailleurs pour creuser tout autour
Du beau lys, et chacun fit son œuvre à son tour.
Et quand la fosse fut entièrement creusée,
Quand la tète apparut, souriante et rosée.
Plus belle qu'autrefois, alors ce fut un cri :
Sur les lèvres du Saint le lys avait fleuri !
0 maître, allons prier ! Salaïm nous appelle !
Là, derrière le chœur, je sais une chapelle
Dont l'asile s'ouvre pour nous :
J'y veux dire avec vous la prière bretonne,
Celle qu'on récite à genoux,
Mains jointes, d'une voix très lente et monotone.
0 maitre, allons prier! Elle est très douce au cœur,
Notre vieille prière 1 Et quel accent vainqueur,
Et quelles grâces souveraines !
Quel espoir, quelle force on puise dans ces mots
Où nos mères et nos marraines
Ont enfermé pour nous le baume à tous les maux.
0 maitre, allons prier! La prière si tendre
A nos lèvres d'enfant, souhaitons de l'entendre
Réciter encore à nos fds ;
Et les mâles efforts et les saines pensées,
Pareils à des moissons de lys,
Viendront fleurir aussi leurs Ames exaucées !
LOUIS TIERCELIN. 28"
AU PAYS DU REVE
A mon cher maître, J.-M. de Heredia.
JE rêve rinconnii ! J'ai soif de l'Impossible !
Et, vers un But très haut, mes désirs anxieux
Voient, comme une flèche ardente, ayant pour cible
La Fleur de la Montagne ou l'Etoile des Cieux.
Je voudrais les pouvoir saisir, tous ces Mensonges
Qui dressent devant moi ton mirage alléchant,
0 Terre Sidérale, où vivent dans mes songes
La Couleur et la Forme et le Rythme et le Chant.
Par tes vallons, et par tes bois, et par tes plaines,
J'irais, Pays du Rêve, aspirer lentement
Les arômes subtils dont les molles haleines
Autour de moi feraient comme un enlacement.
Sur tes monts les plus hauts, au choc des avalanches.
Je heurterais l'orgueil de mon front indompté ;
Je chercherais, parmi tes neiges les plus blanches,
Un voile radieux à ma Virginité.
Dans les fauves rayons du soleil qui la dore,
Je plongerais ma chevelure aux flots soyeux ;
Sur ma joue étendant les roseurs de l'aurore ,
Je mettrais tout Tazur de la nuit dans mes yeux.
J'écraserais des fleurs de pourpre sur mes lèvres ;
Dans la mer je prendrais des perles pour mes dents,
Et la Lune qui tient ma pensée en ses fièvres,
Froide, frissonnerait sur mes membres ardents.
288 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Et dans riieureiix oubli des Anciens Jours moroses,
Eu proie à cette ivresse aux magiques accords,
Sur un lit constellé d'edelweiss et de roses ,
J'étendrais la blancheur sereine de mon corps.
J'écouterais monter les pures Harmonies
Où le Silence et l'Ombre ont uni leurs élans ;
Et la Voix qui se plaît aux langueurs infinies
Bercerait mon extase en des cantiques lents.
Et je regarderais la pâle Silhouette
Longuement, longuement encor et longuement,
Et j'entendrais monter les doux vers du Poète
Que la Voix douce pleure avec enchantement,
Les heures, autrefois lentes, me seraient lîrèves.
Et, sans regrets, sentant mon Etre se briser,
Je mourrais du bonheur d'avoir vécu mes Rêves,
En bégayant Son nom dans un vague baiser.
LES ROSES EFFEUILLEES
A mon ami Henri Dronioii.
ON ne ramasse pas les roses effeuillées !
Qu'importe si le pied stupide d'un manant
Les foule, ou si le vent les chasse maintenant!
Ayant touché le sol, les roses sont souillées.
Souvent, oh ! trop souvent, mes regards effrayés
Ont vu tomber la fleur divine de mes rêves ;
Mais si j'ai pu pleurer mes illusions brèves.
Je ne ramasse pas mes rêves effeuillés!
YVES DE TREBRESSAN
(VICOMTE XAVIER DE BELLEVUE)
BÊVES DU PASSE
RÊVES des temps passés, souvenirs de reiifance,
Vers vous le cœur au milieu du silence
Revient souvent...
Vers vous, jours enchantés, aube trop tôt ravie.
Premières fleurs de notre vie
Qui s'efTeuillent au premier vent...
On entend sous les bois comme un frisson qui passe.
Dans les brandies ce sont des appels à voix basse
Me reconnais-tu?... Regarde : c'est moi,
Ta dixième, onzième, ou quinzième année.
Je reviens à toi de fleurs couronnée :
Me reconnais-tu?... Tu pleures!... Pourquoi?...
Pourquoi, quand je passe et que je t'appelle,
En pleurant, de moi détourner les yeux ?
x\utrefois pourtant je te semblais belle
Lorsque le printemps brillait dans les cieux...
Oh! Pourquoi de moi détourner les yeux?...
19
290 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
C'est qu'à ton cœur vieilli, de bien loin je rappelle
Les bonheurs du passé, tous les élans pieux
De tes dix ans, de tes quinze ans, les espérances,
Les songes, les désirs. Ce qu'alors tu rêvais,
Ce qu'alors tu voulais, ce qu'alors tu pensais,
Est-ce encore ce que tu veux, ce que tu penses?...
Depuis as-tu soufTert? As-tu des jours mauvais
Subi la dure étreinte et fléchi sous le faix?
Et les ans dont je fus suivie,
Dans la marche du Temps vainqueur,
N'ont-ils rien brisé dans ta vie
Et rien effacé dans ton cœur?. .
Ton cœur! D'espoir et de courage,
D'enthousiasme pur lors il battait son plein;
Et le soleil de ton matin
Promettait un jour sans orage...
(f C'était le printemps dans les cieux ;
C'était les chansons, la Jeunesse,
Dont la baguette enchanteresse
Transformait le monde à tes yeux!...
(( Hier, le rêve! Aujourd'hui la prose!
Le rêve qui ment : fol espoir!
Mais maintenant il ment en noir
Et jadis il mentait en rose... »
Ainsi du passé, dans les rameaux verts,
Murmurent les voix, chantant à l'oreille
Leurs.chants de jeunesse, hymnes sans pareille.
Echos du printemps, enivrants concerts.
YVES DE TREBRESSAN. 291
Et le cœur, soudain, se prend à renaître.
Et, se ranimant à ce souvenir,
Rajeunis, plus forts, et plus purs peut-être,
Les yeux, sans effroi , fouillent l'avenir.
Et l'étoile encor, dans la nuit moins noire,
Scintille, éclairant le ciel de ses feux...
Et l'on se reprend à rêver, à croire
A des jours meilleurs, à des jours heureux.
Aux pensers d'antan notre âme ravie
Aperçoit encor des fleurs au chemin.
Revient à l'espoir, renaît à la vie.
Et, pleurant Hier, compte sur Demain...
Rêves des temps passés, souvenirs de l'enfance,
Que notre cœur vers vous, au milieu du silence,
Revienne souvent!
Vers vous, jours enchantés, aube trop tôt ravie.
Premières fleurs de notre vie
Qui s'effeuillent au premier vent!...
SORTIR OU RESTER
Odi profamim vulgiis.
GRANDE nouvelle ! on dit que l'on joue au théâtre
Je ne sais quelle pièce, et tous courent la voir. . .
Moi, je me trouve, en somme, encor mieux près de l'âtre
A fumer ma pipe, ce soir.
Pour sortir, il faudrait d'abord que je m'habille :
Rien ne m'est ennuyeux à l'égal de cela !
Puis marcher dans la boue, en me rendant en ville :
Être mouillé, crotté, quand j'arriverai là.
âÔâ LE pAtiNAssË bueton contemporain.
Trouver viogt citoyens qui, vers moi, main tendue,
Viendraient : Que faites-vous, cher? on ne vous voit plus.
Répondre à tout ce monde et dans cette cohue
Se sentir bousculer, être comme perclus.
En pantoufles, les pieds tendus devant la flamme.
Je contemple mon chien, qui dort à mon côté ;
Mille chers souvenirs me reviennent à l'âme
Et dans des rêves d'or je me vois emporté.
Quelquefois, je relis alors quelque beau livre :
Lamartine, Musset, Hugo, surtout Brizeux.
De leurs songes brillants je me reprends à vivre
Et je me sens meilleur en causant avec eux.
Puis, quand je les ai lus, parfois je prends la plume
Et griflbnne, au hasard de mon cœur, quelques vers.
J'écris sur mes genoux, je me chauffe, je fume,
Et tant pis si j'écris ou pense de travers.
Puis, quand je sens mes yeux se fermer, je me couche
Et m'endors, en songeant à ceux qu'aime mon cœur,
Et dont les noms chéris se pressent sur ma bouche
Et me font, en dormant, croire en rêve au bonheur.
Désormais , qu'il neige ou qu'il vente ;
Pluie ou soleil, froid ou chaleur,
Mon Ame y reste indifférente :
11 fait si jjeau temps dans mon cœur.
MARIE DE YALANDRE
(MADEMOISELLE MATIIILDE CLARET DE LA TOUCHE)
UN BAISER SUR LA PAGE
SI je meurs avant toi, rouvre parfois ce livre,
A cette page émue où je mets un baiser;
ïu verras dans ces vers mon amour me survivre,
Et mon âme sur toi reviendra se poser . . .
Enlacé d'autres bras, grisé d'autres ivresses,
Tourne vers le passé tes regards francs et clairs
Et souviens-toi de l'heure où, pleines de caresses ,
Nos prunelles dans l'ombre ont croisé leurs éclairs.
Ne livre pas au vent les ileurs que j'ai cueillies,
Ni ces feuillets froissés et tant de fois relus ;
Mais prends-les quelquefois dans tes mains recueillies,
Et que ton œil se plaise où mes yeux se sont plus.
Et si l'oubli te vient, rouvre en passant ce livre,
A cette page émue où je mets un baiser;
ïu verras dans ces vers mon amour me survivre.
Et mon âme sur toi reviendra se poser
294 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
A LA BRETAGNE
MÈRE des cœurs virils où vit la foi robuste,
Bretagne âpre et mystique aux rochers de granit,
Qui, dans le pur miroir de l'océan aug-uste,
D'un œil méditatif contemples Tlnfini,
Je n'ai jamais foulé tes landes ni ta grève,
Ni respiré ta brise à l'arôme puissant ;
Mais je suis ton enfant par l'amour et le rêve ;
ïu m'as donné ton àme en me donnant ton sang !
LE PIANISTE AVEUGLE
LA valse allait mourir sur le clavier sonore ;
Mais l'accord expirant se ranimait parfois,
Tombait et renaissait pour retomber encore.
Et l'instrument divin chantait comme une voix.
Or, celui qui jouait cette valse très lente
Où les phrases d'amour se mêlaient aux sang-lots,
Inclinait tout songeur sa tête nonchalante,
Car ses yeux sans regard étaient à jamais clos.
Et tandis que les doigts habiles de l'artiste
Faisaient vibrer ainsi l'air aimé des heureux,
Dans la nuit de son âme il écoutait, plus triste.
Des échos d'alentour le concert langoureux :
MARIE DE VALANDRÉ. 29o
Haleine de la femme et frou-frou de la soie,
Parfums mystérieux qu'on respire au sérail,
Craquement du satin sur la taille qui ploie,
Cliquetis des bijoux, soupirs de l'éventail.
Vol des couples légers qui glissent en cadence
Entraînés à la fois dans un tourbillon fou,
Doux serments emportés sur l'aile de la danse,
Bruit furtif d'un baiser venu d'on ne sait d'où^
Tous ces accents railleurs s'unissaient pour lui dire
« Que sais-tu du bonheur, toi qui n'es pas aimé ?
« Tu ne connaîtras pas l'ivresse d'un sourire ;
(( Au soleil de Tamour ton cœur sera fermé ! . . . »
Et pendant qu'il prêtait Toreille à ce murmure
Lentement sur sa joue une larme glissa ;
Personne ne la vit, et cette larme pure
Vint tomber sur l'ébène où sa main l'effaça.
Mais quand le lendemain, du bal joyeux lassées,
Emportant avec vous lombre d'un beau valseur,
Vous avez, repliant vos dentelles froissées,
De cette nuit de fête évoqué la douceur.
Femmes, nulle de vous n'avait gardé mémoire
De celui dont les yeux n'ont pu chercher vos yeux
Et qui, le front penché sur le clavier d'ivoire.
De ses trilles perlés a couvert vos aveux.
296
LE PARNASSE BRETON COMEMPORAIN.
LES CHEVEUX DE MA MERE
LE soir, quand pour dormir elle a défait ses tresses
Et me laisse à genoux baiser ses cheveux longs,
J'aime, en les renattant, à couvrir de caresses
Les premiers fils d'argent éclos dans ces fils blonds.
J'y lis tout un passé de soucis et de crainte ;
J'y vois mes maux d'enfant qui l'ont tant fait souffrir,
Et chaque nuit veillée a laissé son empreinte
Sur ce front adoré que le temps va flétrir.
Des efforts qu'elle a faits pour me rendre meilleure,
Plus vaillante, plus sage et plus digne d'amour,
Pour soulager qui souffre et consoler qui pleure,
Chacun de ces fils blancs me représente un jour.
Aussi tous les joyaux et tout l'éclat d'un trône
La rendraient bien moins belle à mes yeux attendris.
Bien moins chère à mon cœur, que la double couronne
De sa bonté pensive et de ses cheveux gris.
C'est pourquoi, quand le soir elle a défait ses tresses
Qui baignent son front pur de leur reflet changeant,
J'aime à compter tout bas, par autant de caresses.
Entre ces fils dorés les premiers fils d'argent.
ROBERT DE LA VILLEHERYÉ
M
LE FLORENTIN A EEPEE
AIGRE comme un ardent coureur de grands chemins,
Hàlé par les soleils qui font , lors des batailles ,
Fumer le sang- aux bords déchirés des entailles
Qu'en sa furie ouvrit son épée à deux mains ,
Le Florentin repose en sa force. Son âme
A passé tout entière au regard de ses yeux
Immobiles qu'emplit un rêve audacieux
De combats meurtriers et de moissons en flamme !
Il n'a d'autre désir ni d'autre espoir au cœur,
Serviteur des courroux ou jaloux des estimes ,
Que d'abattre à ses pieds de livides victimes ,
Sans même souhaiter l'org'ueil d'être vainqueur.
Que lui font le triomphe et les pleurs éphémères?
Sa joie est d'entasser des mourants sur des morts.
Gardez vos fleurs pour ceux qu'étreignent les Remords
Et qui, frappant les fils, song-ent qu'ils ont des mères.
298 LE PARNASSE BRETON CONTEMPORAIN.
Lui n'a pas de ces vains soucis ! Calme et hautain ,
Il va dans la mêlée et se jette aux tueries,
Sans hauberts imbriqués , sans cuirasses fleuries,
Car il sait ce qu'il vaut , le brave Florentin !
Qu'il n'est pas de ceux-là que le nombre épouvante ,
Fût-il seul contre dix, contre vingt, contre cent,
Que rien ne brisera son glaive éblouissant.
Et que la Mort, toujours fidèle, est sa servante.
Aussi regardez-le, vêtu de noir, front nu.
Les mains sur le pommeau de l'arme inéluctable ,
Comme l'Olympien Ares très redoutable,
Beau, réellement beau, le tueur ingénu.
Et quand vous l'aurez vu , pâle de l'espérance
Que bientôt les combats anciens continueront.
Essayez d'oublier le front cruel, le front
Magnétique du fier meurtrier de Florence.
Faites pour le chasser des efforts surhumains
Et fuyez vers le ciel, où les blancs Dioscures
Rêvent, l'obsession des batailles obscures
Que domine le vol de l'épée à deux mains.
Avec ses yeux d'acier luisant comme une lame ,
Avec sa lèvre mince, où se tord durement
Sa moustache, sa lèvre au pli rude et dormant
Et qui ne rit jamais qu'à Iheure où la Mort clame,
Comme un spectre entrevu, la nuit, dans la vapeur,
Vous ne l'oublierez plus, et dans votre mémoire,
Il restera debout en son pourpoint de moire.
Si grand que l'on admire et si froid qu'on a peur!
ROBEai DE LA VILLEHERVÉ. 299
VIEUX MAITRES
NICOLAS uteo Zwane , àme juste , occupée
Du ciel , et que la Mort éternelle épouvante ,
A taillé clans la pierre une image vivante
De sainte Barbe ayant clans ses deux mains l'Epée.
Et sous sa vitre d'où descend une échappée
De clair azur, avec des splendeurs qu'il invente
Henri de Blés, jeune homme admirable et qu'on vante,
Peint l'étoffe aux longs plis dont la Vierge est drapée.
Or pour parfaire ainsi des robes solennelles,
Hélas! il a laissé vides et sans prunelles
Les yeux qu'il faut emplir de toute la lumière.
Le doute alors le prend. Mais une enfant l'épie.
Celle cju il aime , elle est la seule et la première !
Et douce , elle lui dit : « Voici les miens. Copie ! »
DIZAIN EN L'HONNEUR DE LA MÈRE TANISSE
So:n nom, Marie ou Thérèse, il n'importe.
Elle est très vieille, et vécut si longtemps
Que plus un être aimé, lorscju'à sa porte
Elle revient du bois ou des étangs,
Ne lui sourit, lui criant: Je t'attends,
Et pour toujours elle est seule, 6 torture!
Mais la vaillante et bonne créature
Craint le repos. Elle dit : J'en mourrais ,
Et bravement s'absorbe en sa couture
Près du foyer que peuplent ses regrets.
VICOMTE HËRSAllT DE LÀ YILLEMARQUÉ
LA PATRIE
Sur l'air de la Tour d'Armor
DE notre Bretagne, naguères
Je partais, les larmes aux yeux
Je la retrouve ici, mes frères,
La patrie est où sont les dieux.
Ma patrie I elle a pour emblème
La blanche hermine des aïeux ;
Ma patrie est où l'on s'entr'aime :
La patrie est où sont les dieux.
Ma patrie est où l'on n'encense
Ni l'or ni les noms odieux,
Ni la plèbe ni la puissance :
La «patrie est où sont les dieux.
Ma patrie est où le génie
Ne rencontre pas d'envieux ;
L'honneur est roi dans ma patrie ;
La patrie est où sont les dieux.
VICOMTE HERSART DK LA VlLLEiMARQUÉ.
301
Ma patrie est où chaque tête
S'élève lil)re vers les cieux ;
Dans le calme et dans la tempête,
La patrie est où sont les dieux.
A toi, noble terre bretonne,
Bonheur du cœur, charme des yeux,
A toi la gloire et la couronne !
La patrie est où sont les dieux.
HIPPOLYTE VIOLEAU
LE PRINTEMPS DU VIEILLARD
DANS un de ces manoirs aux tourelles gothiques,
Débris cliers à l'artiste, au poète, au penseur.
Et qu'un affreux démolisseur
Renferme et transforme en fabriques,
Aux premiers rayons du matin.
Un vieillard, appuyé sur le fds de sa fdle.
Promenait vaguement son regard incertain
Du perron solitaire à l'horizon lointain,
Des vergers à l'étang, des bois à la charmille.
Presque nonagénaire, et les yeux obscurcis
Par tant de longs hivers, tant de larmes peut-être,
Il voulait contempler, il voulait reconnaître
Ce qu'il vit tout enfant près de sa mère assis.
Aymar aidait ses yeux, ou plutôt sa mémoire :
— Voyez là, devant vous ! Voyez quelles couleurs !
Ce lilas dans toute sa gloire.
Ce frais lilas chargé de parfums et de fleurs !
— Des fleurs ! dit le vieillard ; la saison rigoureuse
Touche donc à sa fin? — Père, avril est passé ;
Le printemps est bien avancé :
Dans peu de jours la fraise savoureuse
Aura tout son carmin. — Eh! quoi, reprend l'aïeul,
HIPPOLYTE YIOLEAL . 303
Ce rayon sans chaleur, sans éclat, sans promesse,
Que j'aurais cru funeste aux bourgeons du tilleul.
C'est le soleil de mai si beau dans ma jeunesse !
Le printemps ? Mais tous les oiseaux
Arrivaient avec lui, chantaient sa bienvenue,
Le rossignol au courant des ruisseaux,
La fauvette dans les roseaux,
Et l'alouette dans la nue.
Ces oiseaux où sont-ils ? Et tes fleurs, tes lilas
Par quel suave encens leurs grappes embaumées
Se révélaient au loin, même où je suis !... Hélas !
Que me veut le printemps, puisqu'il ne me rend pas
Le soleil, les oiseaux, les brises parfumées?.., »
Et l'aïeul attristé retourne à son fauteuil :
« — Enfant, dit-il, jouis de la saison nouvelle.
Pourquoi languir ici ? Va, ta sœur Isabelle
De ma froide prison ne franchit plus le seuil.
Ta main presse ma main, tes sanglots me répondent...
Ta sœur, je m'en souviens, moi qui ne puis mourir,
Elle est sous le gazon si lent à recouvrir
Ces traits flétris que tes larmes inondent.
Elle est où Dieu m'appelle, où je serai demain,
Où l'immortelle vie après la délivrance
M'attend, belle et féconde, au terme du chemin,
Au but que tant de fois rêva mon espérance.
Ah ! gémis sur ta sœur ravie avant le temps !
Pèlerin fatigué, dépouillé, solitaire.
Comme elle je n'ai plus pour regretter la terre
Le trésor de mes dix-sept ans.
Sa tâche commençait et la mienne est finie.
Qu'avez-vous à m'offrir? Un hiver éternel?
Là-haut sont les parfums, les rayons, l'harmonie.
L'impérissable amour, la sève rajeunie :
Le printemps du vieillard, le printemps n'est qu'au ciel.
304 LE PARNASSE BMTON CONTEMPORAIN.
L'ADIEU DE LA NOURRICE
(hallade)
yoici l'heure ! — Au seuil de ma porte
S'arrête l'âne du meunier ;
A ta mère, dans son panier,
Pauvre ange, il faut qu'on te rapporte,
Hélas I tes frères affligés,
Autour de ton berceau rangés,
Pleurent et ne peuvent comprendre
Pourquoi celle qui m'a donné
Son petit enfant nouveau-né.
Veut aujourd'hui me le reprendre.
Va, cependant, va, mon chéri,
Puisque ta mère te réclame ;
Va réjouir une autre femme
Dont le sein ne t'a point nourri.
Devant le fagot de bruyère
Où je réchauffais tes pieds nus.
Avec toi, je ne viendrai plus
M'asseoir au foyer sur la pierre.
ïa mère prendra soin de toi ;
Mais saura-t-elle comme moi
D'eau bénite asperger tes langes,
Et renouveler chaque soir
Le petit morceau de pain noir
Qui préserve des mauvais anges?
Va, cependant, va, mon chéri,
Puisque ta mère te réclame ;
Va réjouir une autre femme
Dont le sein ne t'a point nourri.
y
1 9 Wu
PB Tiercelin, Louis
2887 Le Parnasse breton con-
T5 temporain
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY